Le 8 juin 1783, une fissure de 27 kilomètres de long déchire le paysage islandais. C’est le point de départ d’une éruption qui durera jusqu’au 7 février 1784. Elle a produit 14,7 kilomètres cubes de lave qui ont recouvert une superficie de 599 kilomètres carrés. La fissure est ponctuée de quelque 140 cratères, évents et de cônes orientés dans une direction SO-NE, celle du rift qui tranche l’Islande dans son ensemble.
Cette lave a menacé de nombreux Islandais, leurs animaux et leurs biens. L’éruption a produit de grandes quantités de gaz et de cendres. Ces dernières, très riches en fluor, ont empoisonné les champs, les prairies et les étangs. 50 % des bovins, 79 % des ovins et 76 % des chevaux ont péri entre 1783 et 1785.
L’éruption a également profondément affecté la vie de la population, avec la famine de la brume, ou Móðuharðindin. Le régime alimentaire islandais de l’époque était principalement basé sur la viande et le poisson, de sorte que les retombées de cette éruption ont été catastrophiques. En 1785, environ 20 % de la population islandaise était morte de faim, de malnutrition ou de maladie.
Cette éruption est remarquable par ses impacts bien au-delà de l’Islande. Les gaz – surtout le dioxyde de soufre (SO2) – ont été transportés en Europe par le jet-stream et le SO2 est apparu sous la forme d’un brouillard sec à odeur de soufre. Les populations en Europe ignoraient qu’une éruption volcanique s’était produite en Islande au même moment et que c’était cet événement qui causait ce brouillard sec inhabituel. Une autre caractéristique de l’été 1783 a été la coloration rouge sang du ciel au coucher et au lever du soleil.
Par sa durée, le brouillard sec a pu avoir des effets négatifs sur la végétation et la santé humaine en Europe continentale. Plusieurs plantes se sont fanées, les feuilles ont changé de couleur et certains arbres ont perdu leurs feuilles. Le brouillard sec a frappé plus durement les personnes souffrant de problèmes respiratoires ou cardiaques préexistants. Dans plusieurs régions, les gens se sont plaints de douleurs aux yeux.
Différentes explications ont été données par la population pour expliquer le temps inhabituel de 1783. La plus populaire pour justifier la présence du brouillard sec tournait autour des nombreux séismes qui ont semblé se produire tout au long de l’année : En février et mars 1783, une séquence de cinq très forts tremblements de terre a secoué la Sicile et la Calabre, faisant environ 30 000 victimes. D’autres séismes se sont produits pendant l’été. Ainsi, le 6 juillet, un tremblement de terre a secoué une partie de la France et a été ressenti en Franche-Comté, dans le Jura, en Bourgogne et à Genève. Il n’a pas fait beaucoup de dégâts, mais il s’est produit alors que le brouillard sec était encore dense et étendu.
Ces rapports de séismes ont donné foi à l’idée d’une « révolution souterraine » reliant entre eux les événements en Islande et en Calabre. On croyait que les volcans du monde entier étaient reliés par des canaux souterrains. On a également rapporté qu’un brouillard sec s’était formé juste avant le premier séisme en Calabre, faisant craindre que ce brouillard sec ne soit qu’un présage pour un grand tremblement de terre à venir.
Un fidèle lecteur de mon blog – que je remercie très sincèrement – vient de me faire parvenir plusieurs pages des archives paroissiales du village de Canet (Aude) où il est fait allusion à cette période tourmentée de 1783 -1784. En voici un extrait :
« Il a paru dans les jours de cette année un phénomène aussi rare qu’inexplicable ; il a excité la curiosité des savants et des plus habiles astronomes dans les villes les mieux instruites ; mais c’est en vain qu’on a cherché à deviner l’énigme. Le temps seul nous l’a appris et jusqu’à ce moment, le peuple a été dans la frayeur sur un événement qui paraissait (…..) des plus grands malheurs ! Voici le fait :
Le soleil, tant à son lever qu’à son coucher parut comme obscurci, la terre était alors couverte comme d’une fumée qui empêchait les personnes de pouvoir se connaître à vingt pas, quelquefois même il était impossible de s’apercevoir. Cet état durait jusque sur les sept heures du matin, le soleil reprenait alors la clarté naturelle et les nuages qui couvraient toute la terre se dissipaient. Vers les cinq heures du soir les mêmes nuages réapparaissaient, le soleil s’obscurcissait et disparaissait ainsi de notre hémisphère. Ce n’était que quelques heures après que le soleil s’était couché que les nuages disparaissaient aussi. Ce phénomène dura jusque vers la fin du mois d’août sans qu’on peut découvrir ce qu’il pouvait nous annoncer. Chacun se livrait à des conjonctures, les uns voulaient que ce fut le pronostic de quelques maladies contagieuses que nous aurions dans le pays, les autres prétendirent que nous aurions quelque fort tremblement de terre. D’autres enfin moins craintifs disaient que c’était la faute du tremblement de terre qui était arrivé il n’y avait pas longtemps à Messine. Ce tremblement fut si fort que toute la ville de Messine à l’exception d’un couvent de Cap(?) fut engloutie et les habitants par conséquent ensevelis dans les ruines. Il y a des maisons de campagne assez près de cette malheureuse ville qui furent transportées à quelques distances de leur sol. Les rivières changèrent de lit et il n’y eut que très peu d’habitants qui à la première secousse arrivèrent à courir dans les champs qui furent sauvés. »
On retrouve dans ces écrits paroissiaux du sud de la France nombre d’événements mentionnés par les historiens qui ont étudié l’époque autour l’éruption islandaise du Laki, en particulier la référence aux séismes qui se sont produits en Calabre et en Sicile.

