Fonte des glaciers : 2023 a encore été une mauvaise année // Glacier melting : 2023 was another bad year

Le 22 avril 2024, l’agence européenne Copernicus a publié son rapport annuel sur le climat, avec un chapitre consacré aux glaciers. L’agence annonce la couleur dès le préambule de son rapport : les glaciers dans le monde ont connu en 2023 une perte de masse annuelle record de 1,1 m d’épaisseur de glace, avec, à l’échelon local, des pertes d’épaisseur de 0,5 à 3,0 m.
En 2023, les glaciers ont aussi perdu 600 Gt d’eau. Il s’agit de la perte de masse annuelle la plus importante depuis 1976, et supérieure d’environ 100 Gt à toute autre année enregistrée. Cela équivaut à près de cinq fois la quantité de glace contenue dans tous les glaciers d’Europe centrale.
Les estimations indiquent que cette perte de masse a contribué à hauteur de 1,7 mm à l’élévation du niveau moyen de la mer à l’échelle de la planète. Il s’agit de la plus grande contribution annuelle depuis le début des relevés satellitaires en 1976.
Les quatre années au cours desquelles la perte de masse des glaciers dans le monde a été la plus importante sont toutes depuis 2019. 2022 et 2023 ont été les premières années enregistrées au cours desquelles toutes les régions glaciaires ont signalé une perte de glace.Les glaciers de l’ouest de l’Amérique du Nord ont connu une perte record d’épaisseur de glace d’environ 3 m. Une perte de glace bien supérieure à la moyenne a également été signalée en Alaska, en Europe centrale, dans les Andes du Sud, sur la chaîne de l’Himalaya en Asie, et en Nouvelle-Zélande.

Sans surprise, on peut lire que le réchauffement climatique a eu d’importantes conséquences sur les glaciers alpins en 2023. En deux ans, ils ont perdu environ 10 % de leur volume.

Après une année 2022 record, l’état des glaciers les Alpes s’est de nouveau détérioré. Au cours de l’année hydrologique 2022/2023, les glaciers de toutes les régions européennes ont connu une perte de glace. On peut lire dans le rapport de Copernicus que « les Alpes sont l’une des régions du monde où les glaciers reculent le plus rapidement, aux côtés de l’Islande, du sud des Andes, de l’Alaska, de l’ouest du Canada et de l’ouest des États-Unis. Dans les Alpes, 2023 a été une nouvelle année exceptionnelle en termes de perte de glace à cause d’une accumulation de neige hivernale inférieure à la moyenne et à une forte fonte estivale. »

Cette fonte s’explique notamment par des mois d’août et de septembre « exceptionnellement chauds ». Le rapport ajoute : « En Suisse, les glaciers ont perdu 4 % de leur volume de glace en 2023, après une perte de 6 % en 2022. Cela signifie qu’au cours des deux dernières années, les glaciers des Alpes ont perdu environ 10 % de leur volume. » En 2022, les glaciers suisses n’avaient jamais perdu autant de leur volume : 3 kilomètres cubes ont fondu, soit 6 % de la glace restante. L’année 2022 redéfinit donc la donne car jusqu’alors une perte de 2 % était déjà considérée comme extrême.

Selon le rapport Copernicus, l’année 2023 a également été marquée par des chutes de neige de plus en plus rares en Europe, avec toutefois quelques exceptions, comme en Scandinavie. Le reste du continent européen a globalement connu sur la période 1991-2020 un nombre bien inférieur à la moyenne de jours de neige en hiver. Les climatologues ont déjà prévenu que les conséquences peuvent être lourdes pour l’environnement. Le manque de neige peut contribuer à des conditions de sécheresse. De plus, la fonte de la neige au printemps et en été constitue une source d’eau importante pour de nombreux fleuves européens.

 

Perte de masse des glaciers en gigatonnes au fil des ans… Terrible !

Sources: C3S/ECMWF/WGMS

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On April 22nd, 2024, the European agency Copernicus published its annual climate report, with a chapter dedicated to glaciers. The agency des not mince words from the start of its report : glaciers around the world have experienced a record annual mass loss of 1.1 m of ice thickness in 2023, with, at the local level, losses of thickness of 0.5 to 3.0 m.
In 2023, glaciers also lost 600 Gt of water. This is the largest annual mass loss since 1976, and approximately 100 Gt greater than any other year on record. This is equivalent to almost five times the amount of ice contained in all the glaciers of Central Europe.
Estimates indicate that this loss of mass contributed 1.7 mm to the rise in average sea level globally. This is the largest annual contribution since satellite records began in 1976.
The four years in which glacier mass loss worldwide has been the greatest are all since 2019. 2022 and 2023 were the first years on record in which all glacial regions reported ice loss. Glaciers of western North America experienced a record loss of ice thickness of approximately 3 meters. Well-above-average ice loss was also reported in Alaska, central Europe, the Southern Andes, the Himalayan range in Asia, and New Zealand.

Unsurprisingly, we can read that global warming had significant consequences on Alpine glaciers in 2023. In two years, they have lost around 10% of their volume.
After a record year in 2022, the state of the glaciers in the Alps has deteriorated again. In the water year 2022/2023, glaciers in all European regions experienced ice loss. One can read in the Copernicus report that « the Alps are one of the regions in the world where glaciers are retreating most rapidly, alongside Iceland, the southern Andes, Alaska, the west of Canada and the western United States In the Alps, 2023 was another exceptional year for ice loss due to below-average winter snow accumulation and heavy summer melt.
This melting can be explained in particular by the “exceptionally hot” months of August and September. The report adds: “In Switzerland, glaciers lost 4% of their ice volume in 2023, following a loss of 6% in 2022. This means that over the past two years, glaciers in the Alps have lost around 10 % of their volume. » In 2022, Swiss glaciers never lost so much of their volume: 3 cubic kilometers have melted, or 6% of the remaining ice. The year 2022 therefore redefines the situation because until then a loss of 2% was already considered extreme.
According to the Copernicus report, the year 2023 was also marked by increasingly rare snowfall in Europe, although with a few exceptions, such as Scandinavia. The rest of the European continent generally experienced a much lower than average number of days of swowin winter over the period 1991-2020. Climatologists have already warned that the consequences could be serious for the environment. Lack of snow can contribute to drought conditions. Additionally, melting snow in spring and summer provides an important source of water for many European rivers.

En Alaska, le Columbia est l’un des glaciers dont la fonte est la plus rapide dans le monde (Source: NASA)

Le ski dans la tourmente

La saison de compétition de ski chez les professionnels s’est terminée à Saalbach en Autriche, le 24 mars 2024, comme elle avait commencé à Sölden, en octobre 2023, avec des annulations de courses. Cette saison, 16 courses majeures ont été annulées, cinq autres ont été reportées, dans tous les massifs d’Europe mais aussi en Amérique du Nord. Le nombre d’annulations a doublé par rapport à la saison 2022-2023, qui était déjà une saison record en la matière. Comme l’a déclaré le champion français Cyprien Sarrazin : « Ça a été compliqué cette année. Il faudra qu’on s’adapte et qu’on évolue. On ne peut pas continuer comme ça. Je n’ai pas les solutions. »

Pourtant, les stations ont tout essayé : stockage de neige de l’année précédente sous la sciure comme à Bessans ou au Grand Bornand, transport par camion, canons à neige, ou encore injection d’eau dans la piste. Cette situation a de quoi faire réfléchir les diffuseurs et les sponsors qui cautionnent et investissent des millions d’euros dans un sport que le réchauffement climatique met en sursis. La candidature de la France à l’organisation des Jeux d’Hiver de 2030 a de quoi faire réfléchir… Il va être urgent que les Alpes sortent de leur déni du réchauffement climatique.

Stockage de neige à Bessans (Savoie) [Photo: C. Grandpey]

S’agissant du ski de loisir, la situation n’est guère plus brillante, avec un déficit observé depuis le début de la saison, notamment dans les Pyrénées. Les difficultés deviennent de plus en plus fréquentes avec le réchauffement climatique, et un manque d’enneigement inquiétant pour les ressources en eau dans le Sud-Ouest. Toute la Catalogne voisine est en alerte hydrique depuis plusieurs mois.

D’ici 2050, selon certaines estimations, de nombreuses stations de ski situées à moins de 1 200 mètres d’altitude devront s’en remettre entièrement aux enneigeurs si elles ne veulent pas se retrouver en faillite. Depuis les années 1970, les relevés montrent que le manteau neigeux des Alpes diminue globalement de 5,6 % par décennie et l’épaisseur de la couche de neige de plus de 8,4 %. L’enneigement n’est plus la panacée que l’on croyait autrefois.

Enneigeur dans la station des Angles (Pyrénées Orientales) [Photo: C. Grandpey]

S’agissant de l’écologie souvent vantée par les stations, il faut savoir que les canons à neige représentent 25 % des émissions de carbone d’une station et ne peuvent pas fonctionner dans certaines conditions climatiques, à partir de 1 °C ou plus ou encore lorsque le temps est humide. Leurs besoins en énergie et en eau sont si importants que des chercheurs de l’université de Bâle, en Suisse, ont averti que l’augmentation potentielle de 79 % de la demande en eau dans les stations situées à moins de 1 800 mètres d’altitude pourrait entraîner des conflits avec les communautés locales.

Les dameuses sont encore plus polluantes que les enneigeurs. Jusqu’à 60 % des émissions de carbone d’une station proviennent des engins de damage des pistes. Pour y remédier, les stations font désormais la course pour convertir ces véhicules à l’huile végétale hydrotraitée (HVO) afin de réduire les émissions.

Avec la hausse des températures dans les montagnes, tous ces équipements et infrastructures de haute technologie sont vulnérables à un plus grand nombre d’avalanches de neige humide et lourde engendrées par les hivers plus chauds, les températures fluctuantes et les vents plus forts.

Adaptabilité et diversification des activités seront essentielles à la survie des stations pendant la saison de ski. Il est donc urgent de trouver de nouvelles stratégies pour l’hiver car des milliers de familles en dépendent et seul le tourisme permet aux gens de vivre de manière stable dans les vallées alpines.

Source: France Info, Sud-Ouest, National Geographic.

Quand la montagne s’effondre … // When the mountain collapses…

Un gros effondrement s’est produit dimanche 14 avril 2024 vers 7 heures dans le massif de la Bernina, près de la frontière avec l’Italie. Selon les premières informations, il n’a pas fait de victime ou de blessé. Il est vrai qu’à cette heure matinale, il n’y avait encore pas grand monde sur la montagne.

L’éboulement a eu lieu au Piz Scerscen qui culmine à 3970 mètres d’altitude. Il a mobilisé un volume de matériaux estimé à plus d’un million de mètres cubes. Ce volume est de l’ordre de grandeur d’un événement semblable qui s’était produit à Bondo. L’effondrement a été détecté par les sismomètres de la région. La roche qui s’est détachée de la montagne a dévalé le Val Roseg où elle s’est accumulée sur une longueur de plus de cinq kilomètres. Des vols ont été effectués pour rechercher d’éventuelles personnes en détresse, mais personne ne manque à l’appel. Les autorités déconseillent de se rendre dans le Val Roseg et dans la zone de l’éboulement.

L’effondrement au Piz Scerscen (Crédit photo : SAC Bernina)

Un effondrement d’une telle ampleur est très rare. Une analyse de la situation est en cours en collaboration avec l’Office cantonal des forêts et des risques naturels qui prendra d’éventuelles mesures. Le risque de formation d’un lac dans la vallée en raison de l’éboulement sera aussi examiné.

La zone à l’origine de ce glissement de terrain avait subi une rupture importante en janvier 2023 et montrait une fragilité, de sorte qu’il était conseillé aux alpinistes d’éviter cette partie de la montagne.
À première vue, il semble que l’effondrement se soit déclenché à partir d’une paroi rocheuse fortement inclinée qui aurait subi une fragmentation au pied de la pente initiale, avec formation d’une longue avalanche de matériaux.
De tels effondrements se produisent en général au printemps et au début de l’été. Cette année, ils sont bien sûr favorisés par les hautes températures qui règnent sur le massif alpin et en Europe en général depuis plusieurs semaines. Elles provoquent aussi le dégel du permafrost de roche qui assure la stabilité des montagnes. Sans ce ciment naturel, les flancs des montagnes s’effondrent de plus en plus souvent.

En relation avec cet événement, je vous invite à lire une note que j’ai rédigée le 8 juillet 2019 à propos de glissements de terrain similaires en milieu glaciaire en Alaska :

https://claudegrandpeyvolcansetglaciers.com/2019/07/08/nouvel-effondrement-glaciaire-en-alaska-new-glacial-landslide-in-alaska/

Effondrement sur le glacier Lamplugh (Alaska) le 28 juin 2016 (Crédit photo: Paul Swanstrom)

Glissement de terrain sur le volcan Iliamna le 21 juin 2019 (Crédit photo: USGS)

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A major landslide occurred on Sunday April 14th, 2024 around 7 a.m. in the Bernina massif, close to the border with Italy. According to initial information, there were no casualties or injuries. At this early hour, there were not many people on the mountain.
The landslide occurred at Piz Scerscen, which peaks at an altitude of 3,970 meters. it mobilized a volume of materials estimated at more than a million cubic meters. This volume is of the order of magnitude of a similar event which occurred in Bondo. It was detected by seismic networks in the region. The rock that broke away from the mountain accumulated in Val Roseg over a length of more than five kilometers. Search flights were carried out to look for possible people in distress, but no one was missing. The authorities advise against going to Val Roseg and the landslide area.
A landslide of this magnitude is very rare. An analysis of the situation is underway in collaboration with the Cantonal Office of Forests and Natural Hazards which will take possible measures. The risk of possible lake formation in the valley due to the landslide will also be examined.
The area where this landslide originated had suffered a significant rupture in January 2023 and was showing fragility, so climbers were advised to avoid this part of the mountain.
At first glance, it appears that the collapse was triggered by a steeply inclined rock wall which probably suffered fragmentation at the foot of the initial slope, with the formation of a long avalanche of material.
Such collapses usually occur in spring and early summer. They are of course favored by the high temperatures in the Alpine massif and in Europe in general for several weeks. They also cause the thawing of rock permafrost which ensures the stability of the mountains. Without this natural cement, mountain sides collapse more and more often.
In connection with this event, I invite you to read a post I wrote on July 8th , 2019 about similar landslides in glacial environments in Alaska:
https://claudegrandpeyvolcansetglaciers.com/2019/07/08/nouvel-collapse-glaciaire-en-alaska-new-glacial-landslide-in-alaska/

Hiver 2023-2024 : une mauvaise saison pour les stations de ski

Je ne cesse de le répéter sur ce blog : si les stations de ski, alpines en particulier, continuent de faire du déni du réchauffement climatique et refusent de se diversifier, elles courent à leur perte et beaucoup devront mettre la clé sous le paillasson.

En février 2024, les montagnes françaises ont subi les effets de la hausse des températures record enregistrées sur la planète. La neige a disparu d’une grande partie des massifs pendant la quasi-totalité du mois de février, une situation jamais observée ces dernières décennies à cette période. Certes, il a neigé en abondance fin février et début mars, mais trop tard pour vraiment sauver la saison car les vacances scolaires tiraient à leur fin. Sur la totalité du mois de février, la superficie au sol recouverte de neige dans les régions alpines était en moyenne de seulement 37,7%.

Vue satellite des pistes de ski à Font-Romeu et aux Angles (Pyrénées-orientales) le 14 février 2024. (Source : Copernicus Sentinal-2)

Au mois de février, des records de faible enneigement ont été enregistrés dans de nombreuses stations. Ce phénomène s’inscrit, bien sûr, dans un contexte de réchauffement climatique provoqué par les activité humaines. Le graphique ci-dessous montre l’évolution au jour le jour de la surface enneigée dans les Alpes françaises et une partie des Alpes suisses. La courbe rouge, qui représente le niveau de la saison 2023-2024, renoue avec les valeurs de référence, mais fait suite à une période particulièrement critique, avec 26 jours consécutifs en dessous des minimums connus, entre le 27 janvier et le 21 février 2024. L’enneigement a été très faible voire inexistant dans les zones de moyenne et de basse altitude. En revanche, à haute altitude, au-dessus de 2000 m, le stock de neige a été satisfaisant.

  Source : Cesbio (Alps Snow Monitor)

Dans les Pyrénées également, la neige a brillé par son absence et la chaîne a souffert de la sécheresse qui frappe la région. La surface enneigée du massif pyrénéen a battu des records à la baisse pendant 15 jours d’affilée, entre le 26 janvier et le 9 février. Le retour de la neige à la fin du mois a permis de limiter un peu les dégâts dans les stations de ski, mais certaines avaient dû fermer. Dans son dernier bulletin du 6 mars, Météo-France précise que l’enneigement dans les Pyrénées est désormais « proche des normales, en particulier aux altitudes intermédiaires, autour de 1 500 à 1 800 m ».

Source : Cesbio (Pyrenees Snow Monitor)

Le Massif Central et le Jura ont également été confrontés à un sévère manque de neige. J’ai publié plusieurs photos de la station du Mont-Dore (Puy-de-Dôme) et des compétitions traditionnelles de ski de fond ont dû être carrément annulées dans la région de Mouthe dans le Doubs.

 La station du Mont-Dore-Sancy à la mi février 2024

Les stations de ski sont en première ligne face au réchauffement climatique. Un rapport de la Cour des comptes, publié début février, estime que seules « quelques stations » pourront espérer poursuivre leur exploitation après 2050. Mais les sports d’hiver ne sont pas les seuls concernés. Les chercheurs s’interrogent également sur les conséquences que la hausse des températures pourrait avoir sur la biodiversité et les écosystèmes dans les montagnes.

Source : France Info.