Les émanations gazeuses sur les basses pentes de l’Etna

    Au vu des statistiques, l’Etna serait l’un des volcans les plus pollueurs au monde, du fait de l’abondance de son dégazage. Selon T. M. Gerlach, les cratères émettraient 25000 tonnes de CO2 par jour, ce qui correspondrait à 10% du CO2 d’origine volcanique de notre planète.

    S’il émane essentiellement des zones sommitales du volcan, le CO2 est aussi présent (en plus petites quantités) à basse altitude, dans les régions où les structures tectoniques sont les plus actives.

Présentation générale.

    Les sources de CO2  sur les basses pentes de l’Etna se concentrent essentiellement autour de Paterno ( où elles sont mieux connues sous le nom de salinelle à cause de leur forte salinité) mais aussi dans les régions de Bronte ou Giarre.

Signalons également les émanations gazeuses qui se situent au niveau de la fracture de 1989, à environ 1650 m d’altitude, à l’endroit où elle traverse la route provinciale S.P.92. Suite à une intrusion de magma, ce système fissural – par ailleurs réactivé pendant l’éruption de 1991-93 – représente un risque potentiel pour certains villages, d’où la nécessité d’une surveillance accrue. La présence des gaz à basse altitude s’expliquerait par une épaisseur moindre des couches imperméables à dominante argileuse, ce qui favoriserait leur passage.

    Ces manifestations gazeuses sont citées depuis des temps lointains et plusieurs études en font état dès le 19ème siècle.  Les rapports de l’époque décrivent parfois des fontaines d’eau boueuse d’une hauteur allant de 50 cm à 3 mètres, avec une température moyenne de 46°C. Ces paroxysmes « boueux » étaient souvent liés à des événements sismiques dans la région.

Les salinelle de Paterno.

    Les salinelle sont des volcans de boue qui occupent trois sites autour de Paterno :

  • Le site 1 – Simeto – se trouve à l’ouest du bourg, tout près de la rivière du même nom.
  • Le site 2 – Stadio – jouxte le terrain de sports ; il est sans aucun doute le mieux connu et le plus accessible ; c’est aujourd’hui un terrain vague bordé de dépôts d’ordures. L’instabilité du sol demande d’être vigilant car la croûte superficielle peut se rompre et entraîner un bain de pieds très désagréable, même s’il est sans danger !
  • Le site 3 – Vallone Salato – se trouve au sud-est.

Chaque site couvre plusieurs milliers de mètres carrés. Les mares de boue ont une forte salinité, un PH moyen de 6 et une conductivité de 88ms / cm. Dans la plupart des cas, la température de l’eau se situe aux alentours de 19°C ; ainsi, sur le site de Stadio, les relevés que j’ai effectués vont de 18°1 à 20°3. On note de petits écarts d’une source à l’autre, mais l’ensemble reste stable, que ce soit au printemps ou en été , époques où j’ai effectué les mesures. La composition chimique (sur une base équivalente) est la suivante :

        Na  »  Ca  >  Mg >   K              et        Cl   »  HCO 3  >  SO4       

     La forte salinité, la faible teneur en sulfates et l’absence de variations saisonnières dans la composition chimique indique qu’il s’agit d’eaux associées à des dépôts d’hydrocarbures.

     En dehors des salinelle de Paterno, on observe d’autres lieux où les gaz sont libérés en plus ou moins grande quantité. Ainsi, la source d’Aqua Grassa, non loin de Paterno, rejette environ 20 m³ de gaz par jour. Dans le passé, le CO2 y était exploité à des fins industrielles et en 1937 le débit a même été évalué à 100 m³ par jour. La température de l’eau est de 19°C et son PH est de 6.

Les salse de Fondachello – près de Giarre – ont connu des éruptions de boue au 17ème siècle, peut-être en relation avec le séisme qui détruisit Catane. Les fontaines de boue ont parfois atteint six mètres de hauteur et les écrits de l’époque font mention d’un « vulcano di fango » – volcan de boue – riche en sel et de trois mètres d’élévation. D’autres éruptions, moins spectaculaires, ont eu lieu pendant les siècles suivants. Toutefois, il ne semble pas qu’il existe une description d’activité récente, bien que les habitants prétendent qu’un volcan de boue d’un mètre de hauteur était encore actif il y a une vingtaine d’années et que les gaz étaient utilisés pour faire chauffer les plats !… Aujourd’hui, l’activité gazeuse se limite à l’émission de bulles dans un fossé d’irrigation d’ailleurs difficile à trouver.

Des mofettes ou émanations gazeuses du même type sont également à signaler à San Venera (près d’Acireale), à San Nicola (près de Bronte) ou à Naftia (près de Palagonia) bien que dans ce dernier secteur le phénomène semble en relation beaucoup plus lointaine avec l’Etna.

Les gaz des salinelle.

     Dans les salinelle, les principaux gaz sont : CO(majoritaire), CH4, N2 et He. Chacune des mares de boue  ne présente que très peu de variation chimique dans le temps, mais la composition chimique peut varier d’une mare à l’autre, même si elles sont peu éloignées les unes des autres . Des études géothermiques basées sur la composition de l’eau et des gaz des salinelle laissent supposer que la température du réservoir oscille entre 100 et 150°C.

Chaque salinella a son propre rapport He / CH4 qui reste constant dans le temps et dans l’espace. En revanche, le CO2 peut varier, car au cours de son ascension il subit diverses interactions avec les eaux des différentes mares, alors que He et CH4 ne présentent qu’une très faible solubilité dans l’eau.

Les études réalisées dans le passé (Silvestri au 19ème siècle) ont fait apparaître de fortes concentrations d’H2  dans les salinelle alors qu’aujourd’hui  la présence de ce gaz est très rare. Cependant, une odeur caractéristique d’H2S imprègne le secteur des salinelle.

Salinelle et sismologie.

     Selon D’Alessandro, certaines salinelle montrent des variations de composition chimique en relation avec les événements sismiques qui se sont produits dans la partie Est de la Sicile entre 1990 et 1993. Ces variations concernent :

  • les concentrations de CH4 et He de la salinella de Stadio à Paterno (en relation avec un séisme ayant eu lieu le 13 décembre 1990).
  • les concentrations de H2, He, CH4 à Stadio et Vallone Salato (en relation avec un

séisme ayant eu lieu le 20 septembre 1991).

     Il n’a pas pu être prouvé si les variations de la composition chimique des gaz avaient – ou non – précédé les secousses sismiques.

     La modification en H2 est peut-être due à des réactions entre l’eau et la surface de roches riches en silicates. Ces réactions (et donc la production de H2) se trouvent accrues quand les roches subissent des microfractures lors de l’imminence d’un séisme.

     Les modifications en He et CH4 s’expliqueraient par des variations de pression exercées sur le réservoir magmatique situé en profondeur au cours de la période précédant le séisme.

     Ces hypothèses, pour être confirmées, demanderaient une étude plus fine, plus régulière aussi, avec un système de contrôle automatique permettant de mesurer certains paramètres des fluides (PH, température, CH4, He etc…), et qui pourrait contribuer à la mise en place d’un programme de surveillance en relation avec l’activité sismique.

Relation entre les émanations à basse altitude et l’activité éruptive de l’Etna.

     L’activité volcanologique est souvent annoncée par des signes d’ordre géochimique, tels que la modification de composition des fumerolles ou des lacs de cratères, entre autres. Paradoxalement, peu de recherches ont été effectuées sur les émissions de gaz au niveau du sol dans les régions volcaniques. Pourtant, des concentrations anormales dans les émanations de gaz rares en provenance du sol ont déjà été observées au moment de périodes d’activité sismique . En phase pré-éruptive, les microfractures des roches accroissent la perméabilité du sol et favorisent donc le passage des gaz accumulés sous l’édifice volcanique.

En Italie, des modifications concernant le CO2, le radon (Rn) ou l’hélium (He) ont été observées sur des sites aussi variés que les Champs Phlégréens (actuellement au repos), le Stromboli ou l’Etna (actuellement actifs). L’étude de ces gaz peut donc se révéler un indicateur précieux du processus évolutif à l’intérieur d’un volcan actif.

      C’est pourquoi depuis 1989 les scientifiques du CNR et de l’Université de Palerme ont entrepris une étude systématique des gaz dans des zones choisies sur les flancs de l’Etna :

  • Zafferana Etnea / San Venerina d’une part, où 69 points de relevés ont été répertoriés sur 42 km² à 600 mètres d’altitude.
  • Paterno, avec 69 points de relevés sur 45 km² à 200 mètres d’altitude.
  • La fracture sud/sud-est qui a déchiré sur 7 km le flanc de l’Etna en 1989 entre le cratère sud-est est l’altitude 1500m.

     Cette étude a été intensifiée fin 1989, fin 1991 et début 1992 lors des crises éruptives de l’Etna. Deux types de mesures du CO2 ont été effectuées : ponctuelles (avec des relevés mensuels) et continues (par l’intermédiaire d’une station installée dans la partie basse de la fracture de 1989.

    Lors des relevés, trois anomalies ont été notées sur la zone Zafferana / S. Venerina en été 1990, mars-avril 1991 et octobre 1991, respectivement.

A Paterno, seule l’anomalie de mars-avril a été perçue.

Sur la fracture de 1989, une anomalie de dégazage a été observée en avril-août 1990 et septembre-octobre 1991, ce qui correspond à deux des événements enregistrés à Zafferana / S. Venerina.

     Le bilan de ces différentes observations rend compte d’un accroissement du CO2 en mars-avril qui n’a été détecté que dans les zones périphériques, mais pas sur la fracture 1989. Cette augmentation de CO2 correspondait à une période de gonflement du volcan et donc à une accumulation de pression en profondeur.

En conséquence, il semblerait que les zones périphériques reçoivent une « perte de gaz tectonique » liée à l’alimentation en profondeur du volcan, profondeur trop grande pour que la fracture 1989 – beaucoup trop élevée – soit affectée. Le dégazage anormal de septembre-octobre 1991 relevé en même temps sur la fracture 1989 ainsi qu’à Zafferana / S. Venerina (mais pas à Paterno) peut s’expliquer par une intrusion précoce de magma dans la fracture. La proximité de Zafferana et S. Venerina et l’éloignement de Paterno expliquent les différences d’émissions entre ces deux zones.

      De ces observations, il ressort que les zones de Zafferana / S. Venerina d’une part et de Paterno d’autre part auraient une source commune et profonde de CO2. La seule augmentation propre à toutes ces zones a été relevée début 1991, avec une apogée fin mars. Elle correspondait à un gonflement de l’édifice volcanique par ailleurs enregistré par les inclinomètres (SEAN 1992). Ce gonflement du volcan traduisait une accumulation de pression en profondeur qui a conduit à la reprise de l’activité éruptive à la mi-décembre.

Un autre accroissement (bien que plus faible) du CO2 a été observé en octobre 1991. Puis une chute brutale est intervenue à basse altitude – ce qui correspondait au début de l’éruption – alors que, dans le même temps, le dégazage s’intensifiait au sommet de l’Etna. Cela suggère que la montée de la colonne de magma, en concentrant le dégazage principal dans les conduits d’alimentation supérieurs, a réduit les exhalaisons des zones périphériques.

 Conclusion.

     Les résultats ci-dessus montrent que le contrôle et l’analyse des émanations gazeuses à basse altitude peuvent permettre la détection des premières phases d’éveil d’un volcan, susceptibles de conduire à une éruption. D’autre part, le contrôle des gaz dans le secteur d’un système de fractures comme celui de 1989 peut donner des indications sur le comportement du magma et être utilisé à des fins de prévention.

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     La plupart des éléments qui ont permis la rédaction de ce rapport se trouvent dans l’Acta Vulcanologica (Journal of the National Volcanic Group of Italy) / Vol. 4 – 1994 et Vol. 8(1) – 1996. Ils viennent s’ajouter à un travail d’observation et de mesure que j’ai effectué entre 1994 et 1997.

Autres références:

T.M. Gerlach. Etna’s greenhouse pump. (1991).

G.A. Mercurio. Sulla Salsa di Fondachello nel commune di Mascali  (1847)