Eruption aux Tonga : l’Italie se pose des questions // Tonga eruption : Italy asks questions

Est-ce que ça peut nous arriver? C’est la question traditionnelle que les gens se posent quand une catastrophe se produit ailleurs dans le monde. L’Italie, terre de volcans actifs, se la pose suite à l’éruption du volcan sous-marin Hunga Tonga-Hunga Ha’apai dans les îles Tonga. Ce n’est pas sans raison, car on sait que des volcans sous-marins se cachent au large de la botte italienne. Dans un article paru dans le journal La Sicilia, Boris Behncke (INGV Catane) rappelle l’existence de volcans qui ont pour noms Panarea, Marsili dans la mer Tyrrhénienne, ou Empedocle dans le Canal de Sicile – entre la Sicile et la Tunisie -, un volcan sous-marin d’une trentaine de kilomètres de diamètre à sa base et dont le Ferdinandea n’est que l’un des cônes éruptifs.

En 2019, l’Institut national d’océanographie et de géophysique expérimentale (OGS) a découvert six volcans sous-marins à quelques kilomètres de la côte sud-ouest de la Sicile, entre Mazara del Vallo et Sciacca. L’un d’eux, en particulier, n’est qu’à sept kilomètres de Capo Granitola. Il s’agit du volcan Actea qui présente une morphologie complexe et montre une grande coulée de lave qui s’étire sur plus de 4 kilomètres. Ces volcans sont situés à environ 14 kilomètres au nord de ceux déjà connus de Banco Graham. Il y a, entre autres, la célèbre île Ferdinandea, apparue en 1831 lors d’une éruption sous-marine et qui, après s’être élevée jusqu’à 65 mètres au-dessus de la surface de l’eau, s’enfonça dans la mer (voir ma note du 17 avril 2007).

Il ne faudrait pas négliger, non plus, le Vulcano Dimenticato, le Volcan Oublié d’Agrigente, qui a vomi des scories que l’on trouve souvent sur les plages du littoral, mais que les scientifiques italiens n’ont jamais vraiment réussi à localiser.
Selon Boris Behncke « on ne peut guère s’attendre à une éruption aussi violente [que celle des Tonga] sur un volcan sous-marin dans nos mers ». S’agissant du Marsili, le plus grand volcan sous-marin d’Europe et de Méditerranée, dans la mer Tyrrhénienne entre Palerme et Naples, Boris explique qu’il se situe à « une très grande profondeur » par rapport au volcan des Tonga et que « la pression de la colonne d’eau qui le surmonte réduit considérablement son énergie explosive ». On pouvait s’attendre a une éruption du volcan des Tonga car, déjà « dans le passé, il y a environ mille ans, il a enregistré une éruption similaire, très violente. Le phénomène semble donc cyclique. »
En revanche, Boris explique que si une éruption de la puissance de celle des Tonga « s’était produite sur terre, sur le Vésuve ou les Champs Phlégréens, les conséquences auraient été apocalyptiques. » Par bonheur, l’éruption du 15 janvier 2022 s’est produite dans une zone extrêmement reculée et peu habitée. « Si elle avait eu lieu sur terre dans une zone peuplée, elle n’aurait pas causé de tsunami, mais elle aurait fait des ravages même à plusieurs kilomètres de distance. »

Dans les Tonga « l’éruption, qui a eu des conséquences très graves sur les îles voisines, a probablement été particulièrement violente car elle s’est produite à l’interface entre la mer et l’atmosphère. L’ île qui s’était édifiée 6-7 ans plus tôt et qui avait grandi juste avant l’activité explosive, a été détruite dans sa totalité. » Selon Boris Behncke, l’aspect positif de l’éruption, « très intéressante d’un point de vue scientifique », est « le nombre étonnamment faible de victimes en termes de vies humaines ». Outre le fait qu’il s’agit d’îles peu peuplées, le bilan réduit est également dû au comportement des habitants qui sont habitués aux séismes, cyclones et autres tsunamis. C’est pourquoi ils se sont immédiatement enfuis pour se réfugier dans des zones plus élevées.
Suite à l’éruption, le problème le plus urgent concerne la présence de cendres du nuage éruptif qui contiennent des substances potentiellement toxiques. Contrairement à la cendre de l’Etna, celle de l’éruption du 15 janvier contient du soufre, du chlore et d’autres substances nocives.
En conclusion, Boris insiste sur le fait que ce qui s’est passé dans le royaume des Tonga montre qu’il est nécessaire de surveiller étroitement les volcans sous-marins italiens, en particulier Empédocle dont le système éruptif a été décrit par les scientifiques, dans un rapport pour le compte de l’ONU, comme « un grand relief sous-marin qui s’élève sur les fonds marins à une profondeur de 250 à 500 m, et sur lequel sont implantés des dizaines d’édifices volcaniques bien structurés de dimensions très variables, souvent alignés selon l’orientation NNO du Canal de Sicile. » S’il n’y a pas de danger imminent, il est également vrai qu’il y a toujours la possibilité d’une forte éruption sous-marine avec un risque significatif de tsunami. Ne pas oublier qu’il s’agit d’un volcan caché au fond de la mer, à seulement 20 kilomètres de Sciacca. Vingt kilomètres, c’est la distance qui sépare l’Etna de Catane, mais le Mongibello est surveillé 24 heures sur 24, 365 jours par an.

Source: La Sicilia.

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Can this happen to us? This is the usual question people ask when a disaster strikes elsewhere in the world. Italy, land of active volcanoes, asks this question following the eruption of the Hunga Tonga-Hunga Ha’apai submarine volcano in the Tonga archipelago. This is not without reason, as underwater volcanoes are known to lurk off the Italian boot. In an article published in the newspaper La Sicilia, Boris Behncke (INGV Catania) recalls the existence of volcanoes like Panarea, Marsili in the Tyrrhenian Sea, or Empedocle in the Channel of Sicily – between Sicily and Tunisia -, an underwater volcano about thirty kilometers in diameter at its base and of which the Ferdinandea is only one of the eruptive cones.
In 2019, the National Institute of Oceanography and Experimental Geophysics (OGS) discovered six underwater volcanoes a few kilometers off the southwestern coast of Sicily, between Mazara del Vallo and Sciacca. One of them is only seven kilometers from Capo Granitola. This is the Actea volcano which has a complex morphology and shows a large lava flow that stretches over more than 4 kilometers. These volcanoes are located about 14 kilometers north of those already known from Banco Graham. There is, among others, the famous island Ferdinandea, which appeared in 1831 during an underwater eruption and which, after rising up to 65 meters above the surface of the water, sank into the sea (see my note of April 17, 2007).
We should not neglect, either, the Vulcano Dimenticato, the Forgotten Volcano of Agrigento, which vomited scoria often found on the beaches of the coast, but which the Italian scientists have never really managed to locate. .
According to Boris Behncke « one can hardly expect such a violent eruption [as that of Tonga] on an underwater volcano in our seas ». Regarding Marsili, the largest underwater volcano in Europe and the Mediterranean, in the Tyrrhenian Sea between Palermo and Naples, Boris explains that it is located at « a very great depth » compared to the volcano in Tonga and that « the pressure of the water column above it greatly reduces its explosive energy ». We could expect an eruption of the Tonga volcano because, already « in the past, about a thousand years ago, there was a similar, very violent eruption. The phenomenon therefore seems cyclical. »
By contrast, Boris explains that if an eruption with the power of Tonga « had occurred on land, on Vesuvius or the Phlegraean Fields, the consequences would have been apocalyptic. » Fortunately, the January 15, 2022 eruption occurred in an extremely remote and sparsely populated area. « If it had taken place on land in a populated area, it would not have caused a tsunami, but it would have wreaked havoc even several kilometers away. »
In Tonga « the eruption, which had very serious consequences on the neighboring islands, was probably particularly violent because it occurred at the interface between the sea and the atmosphere. The island which had built 6-7 years earlier and which had grown just before the explosive activity, was completely destroyed. »

According to Boris Behncke, the positive aspect of the eruption, « very interesting from a scientific point of view », is « the surprisingly low number of victims in terms of human lives ». Besides the fact that these are sparsely populated islands, the reduced toll is also due to the behaviour of the inhabitants who are used to earthquakes, cyclones and tsunamis. This is why they immediately fled to take refuge in higher areas.
Following the eruption, the most urgent problem concerns the presence of « ash from the eruptive cloud which contains potentially toxic substances. Unlike the ash from Mt Etna, that from the January 15 eruption contains sulfur, chlorine and other harmful substances.
In conclusion, Boris insists that what happened in the Kingdom of Tonga shows the need for close monitoring of Italian submarine volcanoes, in particular Empedocles whose eruptive system has been described by scientists, in a report on behalf of the UN, as « a large underwater relief which rises from the seabed at a depth of 250 to 500 m, and on which are implanted dozens of well-structured volcanic edifices of very variable dimensions, often aligned along the NNW orientation of the Sicily Channel. » While there is no imminent danger, it is also true that there is always the possibility of a strong undersea eruption with a significant tsunami risk. One should not forget that it is a volcano hidden at the bottom of the sea, just 20 kilometers from Sciacca. Twenty kilometers is the distance that separates Etna from Catania: but Mongibello is monitored 24 hours a day, 365 days a year.
Source: La Sicilia.

Gravure montrant la naissance de Ferdinandea en 1831 (Source: Wikipedia)

Les volcans sous-marins au large de la Sicile

Les fonds marins qui entourent la péninsule italienne recèlent encore de nombreuses surprises. On vient d’en avoir la preuve avec la découverte de six volcans sous-marins à quelques kilomètres de la côte sud-ouest de la Sicile, entre Mazara del Vallo et Sciacca. La découverte a été réalisée par l’Institut national d’océanographie et de géophysique expérimentale (Ogs), au cours de deux campagnes menées à bord du navire de recherche Ogs Explora. L’étude, publiée dans la revue Marine Geology, a confirmé les hypothèses précédentes sur la présence de trois volcans et en a identifié trois nouveaux, dont l’un à seulement sept kilomètres de la côte.
Grâce aux cartes haute résolution des fonds marins et aux levés sismiques et magnétiques, les chercheurs ont pu reconstituer en détail la morphologie des fonds marins en incluant les six volcans qui sont tous situés à moins de 22 kilomètres des côtes siciliennes; l’un d’eux, en particulier, n’est qu’à sept kilomètres de Capo Granitola. Il s’agit du volcan Actea qui présente une morphologie complexe et montre une grande coulée de lave qui s’étire sur plus de 4 kilomètres.
Ces volcans sont situés à environ 14 kilomètres au nord de ceux déjà connus de Banco Graham. Il y a, entre autres, la célèbre île Ferdinandea, apparue en 1831 lors d’une éruption sous-marine et qui, après s’être élevée jusqu’à 65 mètres au-dessus de la surface de l’eau, s’est enfoncée dans la mer.

Source : La Sicilia.

Personnellement, j’aime beaucoup l’histoire de Ferdinandea. En Sicile, en mai 1831, la terre commença à trembler dans la région de Sciacca, déclenchant un vent de panique parmi la population et de légers dégâts. L’activité sismique alla en augmentant pendant les jours suivants. Le 28 juin 1831, le capitaine de deux vaisseaux, le Rapid et le Britannia, entendit des grondements en provenance des fonds marins, au large de Sciacca. Le phénomène s’amplifia à partir du 2 juillet et des pêcheurs affirmèrent avoir observé un brassage des eaux de mer dans cette zone. Le 4 juillet 1831, on découvrit de nombreux poissons morts et une odeur de soufre envahit une surface d’environ 400 mètres de diamètre où l’eau de mer avait perdu sa pureté. Le 8 juillet, le capitaine du brigantin Gustavo fut le premier à noter la présence d’une colonne d’eau d’une hauteur de 25 mètres, et d’un vigoureux panache de fumée qui sortaient de l’eau. Le capitaine comprit qu’il s’agissait de la naissance d’un nouveau volcan et il alerta les autorités de Palerme. Les jours suivants, on continua à observer une intense activité phréato-magmatique et l’éruption passa de sous-marine à subaérienne

La naissance de la nouvelle île provoqua un grand intérêt politique et scientifique. Ainsi, le 13 juillet 1831 la corvette Etna appareilla de Palerme. Ne pouvant s’approcher de l’île à cause de l’eau bouillonnante, le capitaine voulut à tout prix marquer son passage et s’emparer physiquement de ce lopin de terre au nom de Ferdinand II. Pour cela, il envoya une chaloupe avec un marin qui, au plus près de la berge, y lança une rame. Le roi Ferdinand signa un acte en bonne et due forme, annexant l’île le 17 août 1831. D’où son nom, « Ferdinandea ».

De leur côté, les Anglais, qui contrôlaient la Méditerranée avec une puissante flotte et s’étaient établis à Malte, envoyèrent deux navires, le Hind et le Philomel. Ils affirmèrent avoir planté l’Union Jack sur ce bout de rocher, et tiré, depuis le Hind les vingt et un coups de canon marquant officiellement, par tradition, la prise de possession d’une nouvelle parcelle de l’Empire britannique. Ils lui donnèrent le nom de « Graham Bank », en l’honneur de Sir James Robert Graham, premier Lord de l’amirauté.

Une expédition scientifique française, commandée par le géologue Constant Prévost accompagné du peintre Joinville, débarqua le 28 septembre 1831 et planta le drapeau tricolore au sommet du petit mont qu’avaient formé les couches de lave. Les deux hommes ne restèrent que deux heures sur l’île mais ramenèrent des échantillons de roche, conservés aujourd’hui par les muséums d’histoire naturelle de Paris et de Strasbourg. Constant Prévost  donna à l’île le nom de «Julia», sous prétexte qu’elle avait émergé au mois de juillet.

Fredrich Hoffman, enseignant en géologie à l’Université de Berlin, qui se trouvait par hasard en Sicile, fut le premier à rédiger un rapport scientifique sur l’activité volcanique au large de Sciacca.

A la fin du mois de juillet, une nouvelle petite île s’était donc formée grâce à l’accumulation des matériaux projetés par le volcan. Peu élevée, ce moignon de terre aux nombreux noms, rapidement revendiqué et disputé par différents pays, mit finalement tout le monde d’accord le 17 décembre 1831 en disparaissant de la surface de la mer.

Aujourd’hui, l’île Graham ou Ferdinandea ou Julia apparaît sur les cartes car elle représente un danger potentiel pour la navigation. En effet, son sommet se trouve seulement à sept mètres sous la surface.

Pour couronner le tout, un chasseur américain la bombarda en 1987, la prenant pour un sous-marin libyen… !

Gravure montrant la naissance de Ferdinandea en 1831 (Source: Wikipedia)