Les gaz, moteur des éruptions sur l’Etna

Dans les semaines qui ont précédé l’éruption sur la péninsule de Reykjanes, je m’étonnais du peu d’intérêt apporté à l’étude des gaz par les scientifiques islandais. C’est peut-être parce que ces derniers comprennent dans leurs rangs surtout des géologues et des géophysiciens et peu de géochimistes, mais ce n’est qu’une supposition de ma part. .Etant un tazieffien convaincu, je suis persuadé que les gaz jouent un rôle majeur et sont le véritable moteur des éruptions. A mon petit niveau, je me suis efforcé de les étudier, en particulier sur les basses pentes de l’Etna, en suivant en particulier les conseils de géochimistes de l’Institut des Fluides de Palerme.

Cet intérêt pour les gaz volcaniques m’a conduit à lire attentivement un article paru dans le journal La Sicilia. Il présente les conclusions d’une étude réalisée conjointement par des chercheurs de Catane (Italie) et Clermont-Ferrand (France).

Selon la conclusion d’une thèse de doctorat intitulée «La déshydratation du magma contrôle l’énergie des récentes éruptions de l’Etna», publiée dans la revue scientifique Terra Nova, la teneur en gaz du magma influence la cadence des éruptions ainsi que l’extraordinaire énergie des phénomènes éruptifs. Le travail de recherche a été réalisé par Francesco Zuccarello de l’Université de Catane sous la supervision de Marco Viccaro, professeur de géochimie et de volcanologie à l’Université de Catane, et en collaboration avec Federica Schiavi du Laboratoire Magmas et Volcans de l’Université Clermont-Auvergne.

L’étude s’appuie sur les données obtenues en analysant des inclusions vitreuses présentes dans les cristaux d’olivine qui révèlent les contenus originaux en composants volatils des magmas récents émis par l’Etna : l’eau, le dioxyde de carbone, le soufre, le chlore et le fluor. L’équipe scientifique insiste en particulier sur le fait que la teneur en eau des magmas émis au cours de l’activité de 2013-2018 est extraordinairement élevée et tout à fait comparable à celle des grandes éruptions explosives survenues sur l’Etna en 2001 et 2002-2003, pendant lesquelles on a mesuré des teneurs en eau exceptionnelles de l’ordre de 3,5%.

L’aspect intéressant de la nouvelle étude est qu’elle met à mal des idées avancées jusqu’à maintenant sur la faible concentration en eau des magmas émis par l’Etna. Jusqu‘à présent, on pensait que les magmas émis lors des paroxysmes de 2011-2013, ou de l’activité de la Voragine en 2015 et 2016, étaient relativement pauvres en eau. Cela est dû au fait que cet aspect des éruptions faisait défaut dans la littérature scientifique. De plus, cette impression de faible teneur en eau est aussi due au fait que les phénomènes éruptifs présentaient une très forte énergie, avec de nombreux épisodes de fontaines de lave au cours de la séquence 2011-2013 ou lors de l’éruption paroxystique du 3-4 décembre 2015 dans la Voragine, avec des fontaines de lave de plus de 2 kilomètres de hauteur.

L’étude montre que la teneur finale en gaz présente dans le magma, et donc le potentiel explosif conféré à l’éruption, est fortement influencée par la dynamique de l’ascension du magma. Des temps d’ascension lents peuvent favoriser la libération d’une partie de la quantité d’eau primaire au travers des processus de dégazage. Au contraire, des ascensions rapides permettent le maintien d’une grande quantité d’eau dans le magma, ce qui entraîne une dynamique éruptive hautement explosive.

Cela signifie que l’Etna, considéré comme le type même de volcan à conduit ouvert, est capable, à des moments précis de son cycle éruptif, de faire apparaître des dynamiques très similaires à celles des volcans qui dégazent en système fermé.

La nouvelle étude permet également d’expliquer ce qui s’est passé sur l’Etna ces derniers mois avec la série de paroxysmes qui a débuté les 13 et 14 décembre 2020 et qui à ce jour compte 19 épisodes éruptifs. Cela montre que l’Etna est actuellement très chargé en énergie, ce qui s’explique précisément par des volumes importants de magma riche en gaz qui sont entrés dans son système d’alimentation vers la fin de l’année 2020 et qui doivent encore trouver le moyen d’atteindre la surface.

C’est donc bien la teneur considérable en gaz, vraisemblablement comparable à celle des magmas émis par l’Etna entre 2013 et 2018, qui contrôle à la fois la fréquence des éruptions – espacées ces dernières semaines de 50 à 70 heures – et l’énergie extraordinaire impliquée dans les phénomènes éruptifs.

Source : La Sicilia.

Photo : C. Grandpey

3 réflexions au sujet de « Les gaz, moteur des éruptions sur l’Etna »

  1. Bonjour Claude,
    Poussé à réagir au titre du présent « post », sans doute à cause de vieux souvenirs de mécanique et de statique des fluides, je ne peux que confirmer le fait que la présence de gaz dans le magma contribue grandement au processus d’une éruption volcanique !
    A la lointaine époque où j’apprenais mon métier dans une entreprise d’exploitation pétrolière, un article avait particulièrement retenu mon attention : il décrivait diverses techniques d’extraction du pétrole et, parmi celles-ci, la technique dite du « gas-lift », ou « bubble-pump », qui consiste à rendre artificiellement éruptif un puits de pétrole qui ne l’est pas, ou qui ne l’est plus : il « suffit » d’injecter au fond du puits, à la base de la colonne de remontée du pétrole, des bulles de gaz sous pression…
    Attention, il ne faut pas voir dans cette technique le fait que les bulles, qui ont tendance à remonter spontanément vers la surface, entraînent dans leur remontée le pétrole dans lequel elles « baignent » : c’est leur PRÉSENCE au sein de la colonne de pétrole qui permet de l’ALLÉGER et facilite sa remontée !

    Intuitivement, on comprend facilement que, pour faire remonter le liquide contenu dans une colonne verticale, il soit nécessaire de vaincre le poids total du liquide contenu dans cette colonne ; or, si l’on « se débrouille » pour y ajouter du gaz en quantité importante, sous forme de bulles, alors le poids total du liquide contenu dans la colonne diminue, et le liquide peut remonter sous l’action d’une poussée beaucoup plus faible : c’est ce qui permet l’extraction du pétrole d’un puits où la pression est insuffisante, …ou bien de faire remonter l’eau d’une nappe captive dont la pression est trop faible…

    On peut aussi voir le phénomène d’un point de vue différent, en considérant la PRESSION : si la colonne « allégée » par la présence de gaz est bloquée à son sommet, même seulement partiellement, alors on observe que la pression intérieure au sommet de la colonne est beaucoup plus élevée qu’à l’extérieur ! Pour faire le calcul intuitivement, on peut s’appuyer sur le fait que l’on aura la même différence de pression si toutes les bulles sont regroupées en une ou plusieurs poches de gaz de grande extension ; or on observe que la pression à l’intérieur d’une poche de gaz (à peu près immobile) est la même partout, et que si la poche a une grande extension verticale, la pression « en haut » est extrêmement proche de celle qui règne « en bas » (on dit que le gaz transmet intégralement les pressions) ; donc si l’on a dans la colonne une succession de poches de gaz, la pression à la base de chaque poche est transmise à son sommet, et de proche en proche, cela peut conduire à une pression extrêmement élevée au sommet de la colonne !

    Je suppose que la montée du magma dans une cheminée de volcan, voire celle d’un dyke progressant en terrain « neuf », peut être facilitée par un phénomène analogue, du fait de la présence de gaz dissous ou de vapeur d’eau sous forte pression, et qu’une pression colossale venant « des profondeurs » explique, sur l’Etna, l’apparition de ces fontaines de lave de plusieurs centaines de mètres de hauteur ou explique sur d’autres volcans, le risque d’explosion catastrophique d’un dôme-bouchon dans un cratère obstrué…

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    1. Bonjour Philippe,
      Un grand merci pour ces explications hyper intéressantes à propos du pétrole et du rôle joué par les gaz. Je suis frappé par la similitude avec celui joué par les gaz volcaniques dans le processus d’ascension du magma. Votre dernier paragraphe à propos de l’Etna confirme bien cette analogie. En 1994, alors que je faisais des observations sur l’île de Vulcano, le volcan de la Fossa a connu une forte hausse de température (j’ai mesuré jusqu’à 800°C), mais sans modifications des autres paramètres comme la sismicité ou l’inflation. Les scientifiques de l’Institut des Fluides de Palerme avec lesquels j’avais des contacts fréquents m’ont expliqué qu’il s’agissait probablement d’un diapir, une espèce de bulle de magma qui, mue par les gaz, s’était élevée vers la surface, mais sans la percer. Ils avaient comparé le phénomène avec à une lampe à lave dans laquelle la cire fait des bulles qui s’élèvent sous l’effet de la chaleur.
      Je garde votre texte sous le coude. Si vous le permettez, il se peut que j’y fasse référence lorsque l’occasion de présentera à propos des gaz volcaniques.
      Très cordialement,
      Claude Grandpey

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      1. Merci Claude, pour le compliment ! …et, naturellement, pas d’objection pour l’utilisation ultérieure éventuelle de mon commentaire !
        Je profite de cette occasion pour vous redire combien j’apprécie vos articles !
        Cordialement !
        Phil.

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