Le réchauffement climatique bouleverse la haute montagne dans les Alpes

J’ai expliqué dans plusieurs notes que le réchauffement climatique est en train de déstabiliser nos montagnes en haute altitude, rendant certains itinéraires de randonnée et d’escalade particulièrement dangereux. C’est pour éviter que des gens se fassent tuer par des blocs dans le Couloir du Goûter que les guides de Chamonix ont décidé de ne plus accompagner d’alpinistes le long de cette voie d’accès au sommet du Mont Blanc. A cause des épisodes de canicule à répétition, des courses parmi les plus mythiques des Alpes sont devenues impossibles cet été. La fonte des glaciers et le dégel du permafrost ont rendu des itinéraires trop dangereux, avec notamment des chutes de pierres.

Sans toutefois mettre en place des interdictions, les autorités alpines ont publié des mises en garde pour une dizaine de sommets. En Suisse, les guides ont renoncé à l’ascension de la célèbre Jungfrau. Suivant l’exemple de leurs collègues de Chamonix pour le Mont Blanc, ils ont également déconseillé de suivre les itinéraires situés sur les versants italien et suisse du Cervin.

Ces mesures sont un coup dur après deux saisons difficiles marquées par la pandémie de Covid-19. Pour les guides, ce n’est pas simple après deux saisons presque totalement vides de prendre la décision d’arrêter le travail. Pour beaucoup de vacanciers, on fait l’ascension du Mont Blanc ou on ne fait rien. Les guides acceptent mal un tel comportement. Ils font remarquer qu’il existe d’autres courses très intéressantes et beaucoup moins dangereuses.

Les glaciers fondent à une vitesse incroyable avec les températures qui battent en permanence des records. En conséquence, leur accès comporte des risques. Selon les glaciologues, les glaciers sont actuellement dans l’état qu’ils connaissent habituellement à la fin de l’été, voire plus tard. L’été 2022 est particulièrement extrême à cause d’une combinaison de facteurs. Les chutes de neige exceptionnellement faibles l’hiver dernier ont amenuisé le manteau neigeux protégeant les glaciers de la chaleur. De plus, le sable venu du Sahara plus tôt dans l’année a assombri la neige, ce qui la fait fondre plus rapidement. Les vagues de chaleur successives qui ont frappé l’Europe depuis mai ont, elles aussi, accéléré la fonte des glaciers, les rendant instables. L’effondrement du glacier de la Marmolada et ses 11 morts est un exemple parfait des conséquences du réchauffement climatique. Le glacier avait été fragilisé par des températures record enregistrées cette année en Italie. On a relevé 10ºC au sommet de la Marmolada la veille de la catastrophe. Les fortes chaleurs ont accéléré sa fonte et l’eau s’est accumulée sous la calotte glaciaire, la rendant instable. Il ne faudrait pas oublier, non plus, les poches d’eau susceptibles d’apparaître à l’intérieur des glaciers dans des périodes de grand beau temps avec des températures très chaudes; elles sont invisibles et représentent donc un danger supplémentaire.

Escalader le Mont Blanc et le Cervin est devenu très dangereux (Photos: C. Grandpey)

Ça décoiffe !

Mon ami André Laurenti, spécialiste des séismes (https://www.azurseisme.com/) vient de m’envoyer une vidéo montrant un effondrement glaciaire au Kirghizistan, assez semblable a celui qui a tué 11 personnes sur le glacier italien de la Marmolada. Une masse de glace s’est détachée du front du glacier, à proximité des gorges de Juuku. Des touristes ont commencé à filmer la scène avant d’être atteints par l’avalanche de glace et de débris rocheux. Selon les médias, 2 personnes auraient été hospitalisées pour des blessures et des ecchymoses.

Cette vidéo appelle plusieurs remarques. S’agissant de l’effondrement, les volcanologues observeront beaucoup de similitudes avec une avalanche incandescente sur un volcan et le comportement du nuage de glace pulvérisée en fonction du relief.

L’autre remarque concerne les témoins de la scène. Ils ont eu beaucoup de chance car leur comportement est quasiment suicidaire. Au lieu de vouloir filmer à tout prix l’événement, le premier réflexe aurait dû être de courir se réfugier sur un point haut dès le moment de son déclenchement. Les dernières secondes de la vidéo confirment que la personne qui filmait aurait pu se faire tuer par les blocs qui se précipitaient à grande vitesse.

https://twitter.com/i/status/1546154939080183808

Exemple d’effondrement glaciaire (Wikipedia)

Glaciers italiens en péril

La terrible tragédie de la Marmolada alerte sur la situation très inquiétante des glaciers italiens qui subissent, eux aussi, les conséquences du réchauffement climatique. Le dernier rapport Legambiente ne laisse planer aucun doute: les glaciers de la péninsule sont de plus en plus petits, fragmentés et fragiles. On recense actuellement 903 glaciers en Italie. La plupart sont de petite taille et se sont formés suite à la fragmentation de corps glaciaires plus imposants. Les glaciers italiens occupent une superficie de 368 km2, soit 13 % de moins qu’en 2010 et 30 % de moins qu’en 1970. Beaucoup d’entre eux se situent en dessous de 4 000 m d’altitude et continuent inexorablement à reculer, perdant de la masse. Les températures élevées menacent également le pergélisol, essentiel à la stabilité des montagnes. Il a pratiquement disparu des Apennins et dans les Alpes son extension est désormais limitée. Confirmation de cette situation, un pilier de la Moiazza, dans les Dolomites, vient de s’effondrer à 2400 m d’altitude dans la région de Forcella del Camp. Personne n’a été blessé. L’alerte a été donnée par un randonneur allemand qui a entendu un grondement et a vu un gros nuage descendre dans le canal de Cantoi de Framont.

Les zones glaciaires les plus en péril se trouvent en dessous de 3 500 m d’altitude. Selon les dernières données, les glaciers de l’Adamello ont perdu ont reculé de 10 à 12 m depuis 2016. Dans le Trentin Haut-Adige, le glacier Fradusta, à une altitude de 2939 m recule rapidement, de même que le glacier Careser et Presena,. En Lombardie, on craint pour le glacier Forni dans la Valteline qui a subi un retrait de 2 kilomètres en 150 ans. Ce qui était le plus grand glacier de vallée d’Italie et le seul de type himalayen, n’existe pratiquement plus. Dans le Piémont, le glacier du Belvédère a commencé à donner périodiquement naissance à un lac il y a 20 ans, tandis qu’en Vallée d’Aoste les crevasses du Brouillard sont tristement connues. Dans cette même vallée, le glacier de Miage, sur le versant italien du Mont Blanc, montre une situation préoccupante. Au cours des 30 dernières années, il a diminué d’environ un mètre par an. La situation n’est pas meilleure près du Mont Rose. En Frioul-Vénétie Julienne, le glacier du Canin a aujourd’hui 11,7 m d’épaisseur, contre 90 m en 1850. Le glacier de la Marmolada, la plus haute montagne des Dolomites, a perdu 85 % de son volume au cours du siècle écoulé.

Le bilan définitif de l’effondrement du glacier de la Marmolada est de 11 morts (tous identifiés) et 8 blessés.

Des tragédies comme celles de la Marmolada restent totalement imprévisibles, mais il faut rester vigilant. Il n’y a pas de zones à risque zéro parmi les glaciers italiens. Même l’ensemble glaciaire du Grand Paradis, l’une des merveilles naturelles en Italie, a perdu 65% de sa surface en 200 ans. Le danger est que d’ici 2100 les deux tiers des glaciers disparaissent. La perte se fera sentir sur les écosystèmes, le tourisme, l’approvisionnement en eau et les zones habitées.

Les dernières données sur le nombre de glaciers italiens menacés parlent d’elles-mêmes et nous montrent que l’effondrement de la Marmolada représente bien plus qu’une sonnette d’alarme. Si rien n’est fait pour ralentir le réchauffement climatique, on court à la catastrophe.

Source: médias d’information italiens.

Glacier de la Marmolada avant l’effondrement (Source: Wikipedia)

Glacier de la Marmolada (Italie): pourquoi l’effondrement s’est produit // Marmolada glacier (Italy): why the collapse occurred

Selon les glaciologues, les températures diurnes particulièrement élevées durant les jours qui ont précédé l’effondrement ont largement contribué au drame. Elles se situaient autour de 10°C alors qu’elles ne dépassent normalement pas 0°C dans ce secteur de la montagne. La période prolongée de temps chaud à haute altitude a créé un ensemble de circonstances particulières.
Les photos de la glace dans le trou béant laissé par l’effondrement (voir ci-dessous) expliquent ce qui s’est probablement passé. Les deux tiers supérieurs de la cavité mise à nu semblent légèrement sales, ce qui indique que la glace a été exposée à l’air. Il est fort probable que cette portion de la paroi verticale était la partie interne d’une crevasse. La portion inférieure de la paroi est d’un bleu plus franc, ce qui prouve qu’elle adhérait au substrat rocheux.
Il se peut que de l’eau se soit accumulée dans la crevasse, ajoutant du poids et de la pression au glacier. Une telle situation a peut-être aussi amoindri l »accroche du glacier sur le substrat rocheux sur lequel il reposait.
La partie qui s’est détachée est estimée à 200 mètres de large, 80 mètres de haut et 60 mètres de profondeur. Elle a dévalé la montagne à près de 300 kilomètres à l’heure. Les randonneurs ont probablement été surpris et n’ont pas eu le temps de fuir. .
En plus de la chaleur, il y a eu des chutes de neige inférieures à la normale cet hiver. Le nord de l’Italie traverse sa pire sécheresse depuis 70 ans. Lorsqu’il y a moins de neige, la glace reste à l’air libre et les impuretés peuvent s’accumuler à la surface du glacier, lui donnant une couleur plus foncée qui emprisonne plus de chaleur. Cet excès de chaleur fait fondre la glace et la neige plus rapidement.
Source : médias d’information italiens.

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According to glaciologists, the high daytime temperatures during the days that preceded the collapse largely contributed to the tragedy. They were around 10°C when they normally don’t rise much above freezing. The prolonged period of hot weather at high altitudes created a special set of circumstances.

The pictures of the ice in the gaping hole left by the collapse (see below) tell a story about what likely happened. The top two thirds of the ice face appears slightly dirty, indicating it was exposed to air. It is highly likely that this part of the vertical ice cliff was the internal part of a crevasse..The bottom is bluer, indicating it was attached to the bedrock.

Water may have accumulated in the crevasse, adding weight and pressure on the glacier. It may also have loosened the glacier’s grip on the bedrock it was sitting on.

The portion that broke loose is estimated to be 200 meters wide, 80 meters high and 60 meters deep. It rushed down the mountain at nearly 300 kilometers per hour. The hikers were likely taken completely by surprise and had no time to flee. .

In addition to the heat, there was below normal snowfall this winter. Northern Italy is struggling through its worst drought in 70 years. When there is less snow, ice is exposed and impurities can collect on the surface of the glacier, turning the surface a darker colour that traps more heat. The extra heat melts the ice and snow faster.

Source: Italian news media.

Source: presse internationale