La Mer de Glace et la transformation du Montenvers : une bonne idée?

Le 11 juillet 2022, j’ai écrit une note gentiment intitulée « Mer de Glace : la transformation du Montenvers » dans laquelle je m’étonnais des sommes prévues pour réaménager totalement le site de la Mer de Glace alors que tous les scientifiques s’accordent pour dire que le glacier est en voie de disparition rapide. La nouvelle société gestionnaire du site prévoit quatre années de travaux de grande ampleur, débutés au printemps 2022, d’un coût de 53 million d’euros. Ils suscitent une polémique car tout le monde n’est pas d’accord avec le bétonnage de la montagne.

Sur le site Reporterre, on peut lire un article intitulé « À Chamonix, le tourisme exploite un glacier agonisant » qui, selon moi, reflète parfaitement la situation.

Aujourd’hui, les touristes qui débarquent du petit train du Montenvers sont en droit de se demander où est le glacier car la Mer de glace se cache sous une couverture de matériaux d’effondrement descendus des parois qui dominent le glacier. Depuis 25 ans, la Mer de Glace a reculé de 800 mètres et perdu près de 100 mètres d’épaisseur. Au cours du mois de juin 2022, la température était tellement élevée que le glacier perdait plus de 10 centimètres d’épaisseur par jour!

Comme je l’ai expliqué suite à ma propre expérience sur place, les touristes qui veulent contempler ce qui reste de la Mer de Glace doivent descendre environ 600 mètres depuis la gare du Montenvers, emprunter une télécabine et descendre quelque 600 marches métalliques pour pénétrer dans la «Grotte de glace», l’attraction phare du site, le seul endroit où l’on peut admirer la belle couleur bleue de la glace. Malgré ces infrastructures mises en place pour rattraper le glacier dans sa fonte folle, la fréquentation touristique a chuté; elle est est passée en une décennie de 450 000 à 350 000 visiteurs par an

La Compagnie du Mont-Blanc (CMB) exploite le site et le train à crémaillère. C’est elle qui – avec l’appui de la mairie de Chamonix – veut redynamiser le lieu avec la construction d’une nouvelle télécabine, un restaurant panoramique et un «glaciorium» — un musée censé inviter à « une expérience immersive autour des glaciers et de leur histoire. » Les travaux ont débuté au début de l’année 2022 et doivent durer environ trois ans. On aperçoit d’ailleurs les infrastructures du chantier sur la webcam dirigée vers la Mer de Glace. La CMB a recours à des sous-traitants spécialisés dans les travaux à risque en altitude. A noter tout de même que le 27 juillet dernier, deux jeunes ouvriers de 23 et 30 ans sont morts, propulsés dans le vide par le déracinement d’un pylône. Le Montenvers est resté fermé au public l’espace d’un week-end et une enquête a été ouverte pour homicide involontaire.

On peut se demander quel est l’intérêt de ce chantier étant donné qu’il n’y a plus grand-chose à voir et que l’on sait que, de toute façon, les années de la Mer de Glace sont comptées. Un élu d’opposition à la mairie de Chamonix évoque d’autres sites, comme à la grotte Chauvet ou Lascaux, où on a reproduit à l’identique ce qu’on veut montrer aux gens. On pourrait faire la même chose avec la Mer de glace et construire le fameux « glaciorium » dans la vallée, sans perturber l’environnement en altitude. Bien sûr, sans les Grandes Jorasses et l’Aiguille du Dru, ce serait moins flatteur et la poule aux oeufs d’or serait moins prolifique.

On peut tout de même se demander quel est l’intérêt de construire une nouvelle télécabine pour courir après un glacier qui ne cesse de reculer! Cela semble pour le moins stupide. La nouvelle télécabine coûtera la modique somme de 23 millions d’euros. Elle aura une longueur de 581 mètres pour un peu plus de 200 mètres de dénivelé et doit ouvrir dès le mois de décembre 2023. Il est également prévu de construire un restaurant panoramique au-dessus de la gare de la télécabine. Pour voir quoi? Un glacier en train d’agoniser! L’idée semble plutôt macabre. Payer pour voir une rivière de matériaux gris; pas sûr que ça attire beaucoup de monde. De plus, la CMB semble faire la sourde oreille aux propos des scientifiques. Selon l’Institut des géosciences de l’environnement, avec une augmentation moyenne de la température de 2,5°C d’ici la fin du siècle, la Mer de glace perdra 80% de sa surface par rapport au début du 21ème siècle d’ici 2100. Selon les modèles les plus pessimistes, le glacier pourrait avoir totalement disparu entre 2090 et 2100.

Source: Reporterre.

La Mer de Glace en août 1956…

…et en août 2022…

Des images qui se passent de commentaires…

Le réchauffement climatique bouleverse la haute montagne dans les Alpes

J’ai expliqué dans plusieurs notes que le réchauffement climatique est en train de déstabiliser nos montagnes en haute altitude, rendant certains itinéraires de randonnée et d’escalade particulièrement dangereux. C’est pour éviter que des gens se fassent tuer par des blocs dans le Couloir du Goûter que les guides de Chamonix ont décidé de ne plus accompagner d’alpinistes le long de cette voie d’accès au sommet du Mont Blanc. A cause des épisodes de canicule à répétition, des courses parmi les plus mythiques des Alpes sont devenues impossibles cet été. La fonte des glaciers et le dégel du permafrost ont rendu des itinéraires trop dangereux, avec notamment des chutes de pierres.

Sans toutefois mettre en place des interdictions, les autorités alpines ont publié des mises en garde pour une dizaine de sommets. En Suisse, les guides ont renoncé à l’ascension de la célèbre Jungfrau. Suivant l’exemple de leurs collègues de Chamonix pour le Mont Blanc, ils ont également déconseillé de suivre les itinéraires situés sur les versants italien et suisse du Cervin.

Ces mesures sont un coup dur après deux saisons difficiles marquées par la pandémie de Covid-19. Pour les guides, ce n’est pas simple après deux saisons presque totalement vides de prendre la décision d’arrêter le travail. Pour beaucoup de vacanciers, on fait l’ascension du Mont Blanc ou on ne fait rien. Les guides acceptent mal un tel comportement. Ils font remarquer qu’il existe d’autres courses très intéressantes et beaucoup moins dangereuses.

Les glaciers fondent à une vitesse incroyable avec les températures qui battent en permanence des records. En conséquence, leur accès comporte des risques. Selon les glaciologues, les glaciers sont actuellement dans l’état qu’ils connaissent habituellement à la fin de l’été, voire plus tard. L’été 2022 est particulièrement extrême à cause d’une combinaison de facteurs. Les chutes de neige exceptionnellement faibles l’hiver dernier ont amenuisé le manteau neigeux protégeant les glaciers de la chaleur. De plus, le sable venu du Sahara plus tôt dans l’année a assombri la neige, ce qui la fait fondre plus rapidement. Les vagues de chaleur successives qui ont frappé l’Europe depuis mai ont, elles aussi, accéléré la fonte des glaciers, les rendant instables. L’effondrement du glacier de la Marmolada et ses 11 morts est un exemple parfait des conséquences du réchauffement climatique. Le glacier avait été fragilisé par des températures record enregistrées cette année en Italie. On a relevé 10ºC au sommet de la Marmolada la veille de la catastrophe. Les fortes chaleurs ont accéléré sa fonte et l’eau s’est accumulée sous la calotte glaciaire, la rendant instable. Il ne faudrait pas oublier, non plus, les poches d’eau susceptibles d’apparaître à l’intérieur des glaciers dans des périodes de grand beau temps avec des températures très chaudes; elles sont invisibles et représentent donc un danger supplémentaire.

Escalader le Mont Blanc et le Cervin est devenu très dangereux (Photos: C. Grandpey)

Les guides de Chamonix tirent la sonnette d’alarme

Au mois de septembre 2021, huit membres de la Compagnie des guides de Chamonix se sont rendus à l’Assemblée nationale où ils ont présenté à la commission Montagne un livret sur les conséquences du réchauffement climatique sur la vie en montagne. Le fascicule est intitulé Les guides de montagne et le changement climatique, une histoire d’adaptation. Le texte a pour but de documenter les conséquences du réchauffement sur les milieux naturels montagnards et sur les activités humaines. Il a été conçu par le Syndicat national des guides de montagne et des chercheurs du Centre de recherche sur les écosystèmes d’altitude (Crea), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l’université de Grenoble. Les guides expliquent qu’ils ont un rôle de sentinelles et ils veulent rappeler que les glaciers ne sont pas que sportifs et décoratifs mais également des châteaux d’eau qui changent très vite sous l’effet du réchauffement climatique.

À travers une approche historique de la vallée de Chamonix, le livret illustre l’accélération du changement climatique et ses conséquences sur les milieux et les métiers de la montagne. Dans le massif du Mont-Blanc, la Mer de Glace a perdu 200 mètres d’épaisseur depuis le siècle dernier, avec une très nette dégradation ces dix dernières années. Dans les Alpes du Nord, l’augmentation des températures est deux fois plus rapide que dans les plaines. Selon Météo France, en 2050, les stations situées à plus de 1 500 mètres d’altitude connaîtront des journées à plus de 25 °C.

Le réchauffement climatique observé dans les montagnes est en effet plus important que dans les zones de basse altitude. Cela est dû à l’albédo, qui varie selon la couleur des surfaces réfléchissantes. En montagne, les zones blanches couvertes de neige renvoient davantage le rayonnement solaire que les roches qui sont plus sombres. À cause de l’augmentation des températures, le manteau neigeux diminue progressivement, laissant de moins en moins de zones claires réfléchissantes. Le sol à nu absorbe alors davantage la chaleur, réchauffant ainsi le climat ambiant.

Selon Météo France, la quasi-totalité des domaines skiables des Alpes ne seront vraisemblablement plus opérationnels en 2100, même en prenant en compte l’enneigement artificiel. En 2022, on vient d’assister à la fermetures successive au ski d’été des glaciers de Tignes, Val d’Isère et des Deux-Alpes. Dès le début de l’été, les conditions ne sont plus réunies pour aller en montagne pour des courses de neige. En effet, le dégel du permafrost de roche rend la pratique de la montagne plus dangereuse causant des éboulis ou des décrochements de plaques rocheuses. Ainsi, la voie normale de la Tour Ronde (3793 m d’altitude) sur l’arête frontière entre la France et l’Italie devient très tôt dans l’été une zone de rochers instables.

Le livret mentionne également la nécessité pour les guides de changer de paradigme, c’est-à-dire de ne plus viser à tout prix l’ascension de certains sommets. Concrètement, 64% des accompagnateurs mettent déjà en place des actions pour diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre via le covoiturage, la réduction des déplacements et la sensibilisation des clients.

Les guides indiquent par ailleurs que les transformations des écosystèmes montagnards sont « trop rapides pour le vivant. » Afin de s’adapter au réchauffement climatique, les espèces migrent plus haut en altitude pour trouver des conditions climatiques favorables. Elles peuvent également s’acclimater en évoluant génétiquement, mais cette adaptation, lente, n’est pas assez rapide face au réchauffement. C’est par exemple le cas du lagopède alpin (Lagopus muta helveticus), qui monte d’année en année et qui ne pourra le faire indéfiniment. De plus, les paysages changent également et verdissent (voir ma note du 18 juin 2022) ce qui n’est pas sans conséquences sur les activités de montagnes, avec modification des itinéraires et les points de vue historiques.

Source: Reporterre.

La Mer de Glace en 1956 et en 2022. Le glacier est le symbole de la catastrophe climatique en montagne (Photo: C. Grandpey)

Pas de guides pour accéder au sommet du Mont Blanc !

Les compagnies des guides de Chamonix et Saint-Gervais ont suspendu temporairement l’ascension du mont Blanc par la voie normale en raison d’importantes chutes de pierres dans le couloir du Goûter, à plus de 3000 mètres d’altitude. Suite à un hiver où il a peu neigé et un printemps où il a fait chaud, des blocs se détachent fréquemment de la montagne, de jour comme de nuit. En effet, le permafrost qui assure la stabilité de la montagne dégèle et les parois rocheuses sont particulièrement fragiles. Le 22 juin, un alpiniste a trouvé la mort dans ces circonstances sous le couloir du Goûter. On se souvient qu’un record de chaleur a été enregistré juste en dessous du sommet du mont Blanc à 4800 mètres d’altitude le 18 juin 2022 avec 10,4°C. Le précédent record, établi en juin 2019, était de 6,8 °C.

En conséquence, les alpinistes amateurs sont appelés à « différer leur ascension ». Ce n’est pas la première fois que les guides suspendent l’ascension du mont Blanc. De telles mesures ont déjà été prises sur de courtes périodes en 2018 ou en 2020, pour les mêmes raisons. C’est la preuve que le réchauffement climatique est particulièrement sévère en haute montagne. Ce qui était exceptionnel est en train de devenir banal.

Comme pour les randonnées glaciaires avec les risques d’effondrement – comme au glacier italien de la Marmolada, – aucune interdiction d’ascension du Mont Blanc ne sera décrétée. Le PGHM s’en tient à un message « de vigilance et de prudence ». La préfecture de Haute-Savoie a elle aussi lancé un appel à la prudence par voie de communiqué, recommandant aux alpinistes « de différer leur ascension momentanément ».

Mais c’est bien connu, la montagne, c’est la liberté….quitte à se faire tuer!

Source: Presse régionale.

Photo: C. Grandpey