Le réchauffement climatique menace la centrale hydroélectrique de la Mer de Glace

A Chamonix (Haute-Savoie), la Mer de Glace est le plus grand et le plus populaire glacier français. C’est aussi un symbole du réchauffement climatique. Les dates qui jalonnent l’escalier conduisant à la grotte creusée dans le glacier montrent avec quelle rapidité celui-ci a reculé et s’est aminci. Le spectacle depuis le belvédère du Montenvers est désolant.

Lorsqu’ils stationnent sur ce belvédère, très peu de gens savent qu’une centrale hydroélectrique se cache sous les tonnes de glace. Avec le réchauffement climatique et la fonte de la Mer de Glace, cette installation unique est aujourd’hui menacée.

Le téléphérique des Bois permet d’accéder à des kilomètres de galeries creusées dans la roche. Depuis 1973, EDF récupère l’eau de fonte de la Mer de Glace pour générer de l’énergie. La centrale fonctionne d’avril à décembre et produit l’équivalent de la consommation d’électricité annuelle de 50 000 personnes.

L’eau est captée sous une dizaine de mètres de glace à 1 560 mètres d’altitude, puis filtrée avant de rejoindre la centrale hydroélectrique. Cette dernière tourne à plein régime l’été, au moment de la fonte de la glace, mais aujourd’hui, son fonctionnement est menacé par le recul inexorable du glacier. Depuis 1995, il a reculé de 800 mètres sur la zone de la centrale. En 2022, en à peine six mois, la Mer de Glace a fondu de 16 mètres. Le glaciologue Luc Moreau – que je salue ici – explique que la fonte s’accélère avec des étés de plus en plus chauds et des hivers très secs.

De ce fait, EDF est engagée dans une course contre la montre afin de récupérer l’eau plus bas pour continuer d’utiliser la centrale. D’ici trois à quatre ans, le point de captage se retrouvera à l’air libre si rien n’est fait, avec le risque de chutes de rochers susceptibles de boucher l’ouverture.

La difficulté est de connaître la manière dont vont se comporter les parois rocheuses actuellement tenues par le glacier au niveau du captage. Les techniciens d’EDF expliquent que l’on s’oriente vers un fonctionnement avec l’actuel captage principal, à 1 560 mètres d’altitude, qui sera renforcé, et un deuxième captage de secours qui sera réhabilité, à 1520 mètres d’altitude. A terme, il est possible qu’il ne reste plus que le deuxième captage, sur lequel une grille sera installée pour le protéger contre les chutes de roches. Les travaux débutent cette année, pour une mise en service en 2024.

Source : France Info et presse régionale.

Photo: G. Grandpey

Image webcam

Photo: C. Grandpey

La Mer de Glace et la transformation du Montenvers : une bonne idée?

Le 11 juillet 2022, j’ai écrit une note gentiment intitulée « Mer de Glace : la transformation du Montenvers » dans laquelle je m’étonnais des sommes prévues pour réaménager totalement le site de la Mer de Glace alors que tous les scientifiques s’accordent pour dire que le glacier est en voie de disparition rapide. La nouvelle société gestionnaire du site prévoit quatre années de travaux de grande ampleur, débutés au printemps 2022, d’un coût de 53 million d’euros. Ils suscitent une polémique car tout le monde n’est pas d’accord avec le bétonnage de la montagne.

Sur le site Reporterre, on peut lire un article intitulé « À Chamonix, le tourisme exploite un glacier agonisant » qui, selon moi, reflète parfaitement la situation.

Aujourd’hui, les touristes qui débarquent du petit train du Montenvers sont en droit de se demander où est le glacier car la Mer de glace se cache sous une couverture de matériaux d’effondrement descendus des parois qui dominent le glacier. Depuis 25 ans, la Mer de Glace a reculé de 800 mètres et perdu près de 100 mètres d’épaisseur. Au cours du mois de juin 2022, la température était tellement élevée que le glacier perdait plus de 10 centimètres d’épaisseur par jour!

Comme je l’ai expliqué suite à ma propre expérience sur place, les touristes qui veulent contempler ce qui reste de la Mer de Glace doivent descendre environ 600 mètres depuis la gare du Montenvers, emprunter une télécabine et descendre quelque 600 marches métalliques pour pénétrer dans la «Grotte de glace», l’attraction phare du site, le seul endroit où l’on peut admirer la belle couleur bleue de la glace. Malgré ces infrastructures mises en place pour rattraper le glacier dans sa fonte folle, la fréquentation touristique a chuté; elle est est passée en une décennie de 450 000 à 350 000 visiteurs par an

La Compagnie du Mont-Blanc (CMB) exploite le site et le train à crémaillère. C’est elle qui – avec l’appui de la mairie de Chamonix – veut redynamiser le lieu avec la construction d’une nouvelle télécabine, un restaurant panoramique et un «glaciorium» — un musée censé inviter à « une expérience immersive autour des glaciers et de leur histoire. » Les travaux ont débuté au début de l’année 2022 et doivent durer environ trois ans. On aperçoit d’ailleurs les infrastructures du chantier sur la webcam dirigée vers la Mer de Glace. La CMB a recours à des sous-traitants spécialisés dans les travaux à risque en altitude. A noter tout de même que le 27 juillet dernier, deux jeunes ouvriers de 23 et 30 ans sont morts, propulsés dans le vide par le déracinement d’un pylône. Le Montenvers est resté fermé au public l’espace d’un week-end et une enquête a été ouverte pour homicide involontaire.

On peut se demander quel est l’intérêt de ce chantier étant donné qu’il n’y a plus grand-chose à voir et que l’on sait que, de toute façon, les années de la Mer de Glace sont comptées. Un élu d’opposition à la mairie de Chamonix évoque d’autres sites, comme à la grotte Chauvet ou Lascaux, où on a reproduit à l’identique ce qu’on veut montrer aux gens. On pourrait faire la même chose avec la Mer de glace et construire le fameux « glaciorium » dans la vallée, sans perturber l’environnement en altitude. Bien sûr, sans les Grandes Jorasses et l’Aiguille du Dru, ce serait moins flatteur et la poule aux oeufs d’or serait moins prolifique.

On peut tout de même se demander quel est l’intérêt de construire une nouvelle télécabine pour courir après un glacier qui ne cesse de reculer! Cela semble pour le moins stupide. La nouvelle télécabine coûtera la modique somme de 23 millions d’euros. Elle aura une longueur de 581 mètres pour un peu plus de 200 mètres de dénivelé et doit ouvrir dès le mois de décembre 2023. Il est également prévu de construire un restaurant panoramique au-dessus de la gare de la télécabine. Pour voir quoi? Un glacier en train d’agoniser! L’idée semble plutôt macabre. Payer pour voir une rivière de matériaux gris; pas sûr que ça attire beaucoup de monde. De plus, la CMB semble faire la sourde oreille aux propos des scientifiques. Selon l’Institut des géosciences de l’environnement, avec une augmentation moyenne de la température de 2,5°C d’ici la fin du siècle, la Mer de glace perdra 80% de sa surface par rapport au début du 21ème siècle d’ici 2100. Selon les modèles les plus pessimistes, le glacier pourrait avoir totalement disparu entre 2090 et 2100.

Source: Reporterre.

La Mer de Glace en août 1956…

…et en août 2022…

Des images qui se passent de commentaires…

Les guides de Chamonix tirent la sonnette d’alarme

Au mois de septembre 2021, huit membres de la Compagnie des guides de Chamonix se sont rendus à l’Assemblée nationale où ils ont présenté à la commission Montagne un livret sur les conséquences du réchauffement climatique sur la vie en montagne. Le fascicule est intitulé Les guides de montagne et le changement climatique, une histoire d’adaptation. Le texte a pour but de documenter les conséquences du réchauffement sur les milieux naturels montagnards et sur les activités humaines. Il a été conçu par le Syndicat national des guides de montagne et des chercheurs du Centre de recherche sur les écosystèmes d’altitude (Crea), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l’université de Grenoble. Les guides expliquent qu’ils ont un rôle de sentinelles et ils veulent rappeler que les glaciers ne sont pas que sportifs et décoratifs mais également des châteaux d’eau qui changent très vite sous l’effet du réchauffement climatique.

À travers une approche historique de la vallée de Chamonix, le livret illustre l’accélération du changement climatique et ses conséquences sur les milieux et les métiers de la montagne. Dans le massif du Mont-Blanc, la Mer de Glace a perdu 200 mètres d’épaisseur depuis le siècle dernier, avec une très nette dégradation ces dix dernières années. Dans les Alpes du Nord, l’augmentation des températures est deux fois plus rapide que dans les plaines. Selon Météo France, en 2050, les stations situées à plus de 1 500 mètres d’altitude connaîtront des journées à plus de 25 °C.

Le réchauffement climatique observé dans les montagnes est en effet plus important que dans les zones de basse altitude. Cela est dû à l’albédo, qui varie selon la couleur des surfaces réfléchissantes. En montagne, les zones blanches couvertes de neige renvoient davantage le rayonnement solaire que les roches qui sont plus sombres. À cause de l’augmentation des températures, le manteau neigeux diminue progressivement, laissant de moins en moins de zones claires réfléchissantes. Le sol à nu absorbe alors davantage la chaleur, réchauffant ainsi le climat ambiant.

Selon Météo France, la quasi-totalité des domaines skiables des Alpes ne seront vraisemblablement plus opérationnels en 2100, même en prenant en compte l’enneigement artificiel. En 2022, on vient d’assister à la fermetures successive au ski d’été des glaciers de Tignes, Val d’Isère et des Deux-Alpes. Dès le début de l’été, les conditions ne sont plus réunies pour aller en montagne pour des courses de neige. En effet, le dégel du permafrost de roche rend la pratique de la montagne plus dangereuse causant des éboulis ou des décrochements de plaques rocheuses. Ainsi, la voie normale de la Tour Ronde (3793 m d’altitude) sur l’arête frontière entre la France et l’Italie devient très tôt dans l’été une zone de rochers instables.

Le livret mentionne également la nécessité pour les guides de changer de paradigme, c’est-à-dire de ne plus viser à tout prix l’ascension de certains sommets. Concrètement, 64% des accompagnateurs mettent déjà en place des actions pour diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre via le covoiturage, la réduction des déplacements et la sensibilisation des clients.

Les guides indiquent par ailleurs que les transformations des écosystèmes montagnards sont « trop rapides pour le vivant. » Afin de s’adapter au réchauffement climatique, les espèces migrent plus haut en altitude pour trouver des conditions climatiques favorables. Elles peuvent également s’acclimater en évoluant génétiquement, mais cette adaptation, lente, n’est pas assez rapide face au réchauffement. C’est par exemple le cas du lagopède alpin (Lagopus muta helveticus), qui monte d’année en année et qui ne pourra le faire indéfiniment. De plus, les paysages changent également et verdissent (voir ma note du 18 juin 2022) ce qui n’est pas sans conséquences sur les activités de montagnes, avec modification des itinéraires et les points de vue historiques.

Source: Reporterre.

La Mer de Glace en 1956 et en 2022. Le glacier est le symbole de la catastrophe climatique en montagne (Photo: C. Grandpey)

Mer de Glace : la transformation du Montenvers

Aujourd’hui pour atteindre la Mer de Glace, il faut prendre le Train du Montenvers qui permet d’accéder à une plate-forme dominant le glacier. Ceux qui, comme moi, ont découvert la Mer de Glace en 1956 se rendent tout de suite compte du recul et de l’abaissement phénoménal du glacier depuis cette époque. En 1956, on entrait directement dans le vif du sujet car la surface du glacier était pratiquement au niveau du quai d’arrivée du train.
Aujourd’hui, pour aller visiter la grotte qui est toujours creusée dans la Mer de Glace, il faut tout d’abord emprunter une télécabine, puis descendre les quelque 580 marches d’un escalier métallique. Il est intéressant de regarder la paroi rocheuse le long de l’escalier où des panneaux indiquent le niveau du glacier au cours des ans. La dégringolade se passe de commentaires. Le réchauffement climatique est devant nos yeux!

En 2025, télécabine et escalier auront disparu. La nouvelle société gestionnaire du site prévoit quatre années de travaux de grande ampleur, débutés au printemps 2022, d’un coût de 53 million d’euros, qui suscitent une polémique car tout le monde n’est pas d’accord avec le bétonnage de la montagne.

L’érosion de la fréquentation de la Mer de Glace a suivi celle du glacier au cours des dernières années. Elle est passée en une décennie de 450 0000 visiteurs par an à 350 000. La Mer de Glace a reculé de plus de 2,5 kilomètres depuis 1850 et a perdu plus de 100 mètres d’épaisseur ces trente dernières années, dont 3,50 mètres au cours du seul mois de juin 2022 !
Si la glace fond, les gestionnaires expliquent qu’à 1913 mètres d’altitude, « le Montenvers reste un site naturel et patrimonial unique, permettant à un public non-averti de s’approcher au plus près de la haute montagne, grâce à sa desserte ferroviaire. » Pour le maire de Chamonix, « le futur Montenvers est le symbole du tourisme que la vallée veut promouvoir à l’avenir : respectueux de l’environnement, sobre sur le plan énergétique et foncier, offrant une grande qualité architecturale. ».

Concrètement, dès 2023, le nouveau Montenvers proposera une nouvelle télécabine qui empruntera un tracé différent de l’actuelle et remontera la Mer de Glace sur 580 mètres. Sa gare de départ, volontairement minimaliste pour une meilleure intégration architecturale, sera située sous la nouvelle terrasse panoramique, aménagée à la place du restaurant. La gare d’arrivée prendra place au niveau de l’éperon des Échelets, où une grotte très épurée sera taillée dans la glace.

Le PDG de la Compagnie du Mont Blanc précise que « quand il n’y aura plus de glace – ce qui se produira forcément avec le réchauffement climatique – la télécabine permettra de rapprocher les randonneurs des grands itinéraires du massif.»

L’autre attraction du Montenvers en 2025 sera le centre d’interprétation du climat et des glaciers, le Glaciorium. Il proposera sur 800 m² une expérience immersive autour des glaciers, de leur histoire et des mutations climatiques. Cet espace pédagogique sera avant tout ludique; il contribuera à la prise de conscience de la fragilité des espaces naturels et de la nécessité de les préserver. Accompagnée d’une musique pompeuse, la présentation de ce Glaciorium m’a vraiment laissé sur ma faim.

Il faudra débourser 50 euros (!) pour profiter de l’ensemble de l’offre en haute saison (16,50 € pour la seule entrée au Glaciorium, 34€ l’aller-retour en train). Selon les gestionnaires du site, cela permettra d’éviter la surfréquentation du site et sa banalisation.

Une chose est certaine : on ne m’y verra pas!

Le nouveau Montenvers n’est donc plus vraiment une approche de la Mer de Glace en tant que glacier. Comme écrit plus haut, il s’agit davantage d’une approche globale et pédagogique de la haute montagne. On a vraiment l’impression que les concepteurs du site ont essayé de sauver les meubles suite à la disparition annoncée du glacier. Comme l’Aiguille du Midi, la Mer de Glace a été jusqu’à présent une manne financière pour Chamonix et sa région. La poule aux oeufs d’or n’est plus aussi gaillarde!

 

Vue d’artiste du nouveau site du Montenvers (Source: Compagnie du Mont Blanc)

 

La Mer de Glace aujourd’hui. On aperçoit à droite le chantier de restructuration du Montenvers (Image webcam)