Hawaii : influence de la pression atmosphérique sur l’éruption du Kilauea?

Si vous passez vos vacances à la montagne, vous aurez probablement remarqué que les nuages descendent de plus en plus bas quand une période de mauvais temps approche. Ces intempéries s’accompagnent d’une baisse de la pression atmosphérique à laquelle sont sensibles certains animaux.C’est ainsi que j’ai vu des chamois à quelques centaines de mètres au-dessus du parking du Pont St Charles à Val d’Isère. Un garde du Parc National de la Vanoise m’a confirmé ce comportement du rupicapra rupicapra en relation avec la pression atmosphérique

Les volcans sont également sensibles aux variations de la pression atmosphérique. Je l’ai expliqué dans une étude intitulée « Le volcan et le baromètre » dont le résumé figure sous l’entête de ce blog. J’avais observé une concomitance entre l’activité strombolienne et la pression atmosphérique sur le volcan qui a sonné son nom à ce type éruptif. Un jour, l’un des guides du Stromboli m’a dit, alors que les nuages descendaient sur le sommet du volcan et que cessait l’activité éruptive : « T’as vu, il a compris que le temps est en train de changer. » Les observations que j’ai effectuées par la suite sur l’île ont confirmé cette relation pression-éruption. Certaines personnes s’étonnent que la baisse de pression ne favorise pas, au contraire, une remontée plus facile du magma, mais il n’en est rien.

Au moment où j’effectuais mes recherches et rédigeais l’ébauche de mon étude, j’ai sollicité l’avis d’Haroun Tazieff avec qui je correspondais régulièrement. L’illustre volcanologue a montré une certaine réserve sur cette relation entre les phénomènes atmosphérique et éruptif. Selon lui, si une relation existait, elle ne pouvait être perçue que sur les « petits » volcans comme le Stromboli, mais pas sur des volcans mettant en jeu de très importants volumes de magma comme le Nyiragongo en RDC ou le Kilauea à Hawaii.

S’agissant du Kilauea, le volcan est actuellement en éruption depuis le mois de septembre 2021 avec la présence de la lave sur le plancher du cratère de l’Halema’uma’u. Toutefois, cette nouvelle éruption n’a jamais atteint les sommets et on assistait jusqu’à ces derniers jours à un épanchement de lave plus qu’à un lac de lave digne de ce nom, comme celui qui s’est agité jusqu’en 2018.

Début décembre 2021, l’activité éruptive dans l’Halema’uma’u a marqué le pas, avec un déclin qui s’est soldé par l’absence totale de lave le 5 décembre. Le HVO a émis l’hypothèse de la fin de l’éruption. Au même moment, une vague de très mauvais temps s’approchait de la Grande Ile d’Hawaii où elle a provoqué des inondations, des vents violents avec des coupures de courant. La route qui fait le tour de l’île a même dû être fermée momentanément à cause de coulées de boue.

Cet épisode de très mauvais temps – avec une bonne couche de neige sur le Mauna Loa et le Mauna Kea – s’est accompagnée d’une chute spectaculaire de la pression atmosphérique qui est passée de 1016hPa, où elle se situe habituellement, à 1005 hPA, ce qui est un creux exceptionnel à Hawaii. Ces relevés ont été effectués à l’aéroport de Hilo.

L’activité du Kilauea étant faible faible au moment de cette situation météorologique, je me suis demandé s’il n’y avait pas un lien entre l’absence de lave dans le cratère et la chute de pression atmosphérique. Le 7 décembre, la webcam thermique montrait un timide retour de la lave dans l’Halema’uma’u. Il a été confirmé par les webcams conventionnelles. On observe actuellement un retour à la situation telle qu’elle était il y a une dizaine de jours. Cette réapparition de la lave s’est aussi accompagnée d’une amélioration des conditions météorologiques et d’une hausse de la pression atmosphérique.

La chute de la pression atmosphérique est-elle responsable de la baisse d’activité du Kilauea? S’agit-il d’une simple coïncidence? Seule Madame Pele serait capable de répondre à ces questions. Je lui demanderai la prochaine fois que je lui serrerai la main….

Photo: C. grandpey

++++++++++

Dans son dernier bulletin du 7 décembre, le HVO confirme que l’éruption du Kilauea a redémarré dans la soirée du 6 décembre 2021, après une pause de 3 jours, à partir de la bouche située dans la partie ouest du cratère de l’Halema’uma’u. La lave a fait sa réapparition et a recouvert l’ancienne surface du lac de lave. Cette pause d’activité était la quatrième, mais aussi la plus longue depuis le début de l’éruption le 29 septembre. Aucune des pauses précédentes n’avait duré plus de 24 heures avant la reprise de l’activité éruptive.

Source: HVO

Le volcan et le baromètre: Activité strombolienne et pression atmosphérique

drapeau-francaisDepuis fort longtemps, depuis l’époque où la science n’en était qu’à ses premiers balbutiements, l’homme essaye d’expliquer ses activités et son comportement au travers de phénomènes extérieurs parmi lesquels la pression barométrique d’une part , l’attraction lunaire et l’amplitude concomitante des marées d’autre part sont privilégiées. Aujourd’hui encore, tel asthmatique affirmera qu’il a des difficultés à respirer quand « le baromètre est haut » ; tel jardinier dira qu’il sème « en lune montante » ou qu’il plante « en lune descendante » ; tel marin associera la qualité de sa pêche au coefficient de la marée ; et bien d’autres exemples semblables pourraient être trouvés à travers le monde…
Le monde des volcans n’échappe pas, lui non plus, à ce genre de tradition. Le sujet de cet article se limitera toutefois à la corrélation possible entre la pression barométrique et l’activité éruptive en milieu strombolien. A une époque, j’avais cru pouvoir associer pression atmosphérique et intensité fumerollienne ; en fait, au cours de mes fréquentes observations dans la Fossa de Vulcano, je me suis rendu compte que la densité des nuages de gaz qui s’en échappent était davantage liée au degré d’hygrométrie de l’air plutôt qu’à la pression de ce dernier, bien qu’à certains moments il puisse exister une correspondance entre les deux phénomènes. Néanmoins, à Vulcano, l’abondance des nuages fumerollliens observée essentiellement le matin ne correspond que très rarement à une fluctuation de la pression atmosphérique.

1. Approche personnelle.

A Stromboli, la corrélation entre conditions météorologiques et activité éruptive existe depuis très longtemps. Déjà en 1862, dans son ouvrage Volcanoes, G.P. Scrope écrivait que les Stromboliens « se servent de leur volcan comme d’un baromètre » ; aujourd’hui encore, un grand nombre d’habitants de l’île se fient à celui qu’ils appellent familièrement ‘Iddu’ – Celui-ci – pour faire leurs prévisions météo, s’appuyant sur la perception (ou la non-perception) des explosions depuis les villages. A ce niveau, on peut cependant penser que, plus que la pression barométrique, c’est l’orientation du vent qui dicte les prévisions des Stromboliens. En effet, les explosions sont surtout audibles quand souffle le vent d’ouest, principal porteur de perturbations, étant bien entendu que ces dernières s’accompagnent aussi d’une baisse du baromètre.
Parmi les habitants de Stromboli, les guides sont sûrement ceux qui connaissent le mieux le volcan. Un jour, tandis que je conversais avec l’un d’eux – Antonio Aquilone – sur la Cima, et que les cratères avaient une activité normale voire soutenue, le brouillard est soudain venu recouvrir le sommet de la montagne, faisant brusquement cesser les explosions. Je me souviendrai toujours de la réflexion de Tonio : « Tu vois, il (le volcan) a compris que le temps est en train de changer ». Pendant les heures – froides ! – qui ont suivi, l’activité éruptive est restée remarquablement faible. Quand le brouillard s’est enfin levé vers 5 heures du matin, les explosions ont repris de plus belle. Mon baromètre personnel avait enregistré une variation de pression relativement parallèle à ces observations.
Un jour d’Avril 1995, j’ai assisté à nouveau à un phénomène tout à fait semblable, avec une brusque chute de pression barométrique (environ 10 millibars) en fin d’après-midi, accompagnée d’une venue de nuages en provenance du nord et d’une nette réduction de l’activité explosive. Cet épisode se trouve résumé dans les diagrammes suivants :

        Baro 1 

Baro 2

Ces observations viennent s’ajouter à d’autres effectuées sur le Stromboli et recouvrant des périodes de 12 à 18 heures de relevés barométriques en même temps que de fréquences explosives.

2. Approche scientifique.

A ma connaissance, les rapports scientifiques sur l’éventualité d’une relation entre activité éruptive et pression barométrique sont très peu nombreux et hormis certains extraits de l’Acta Vulcanologica, la littérature scientifique se fait très discrète sur le sujet abordé. Il n’y a guère que le Professeur S. Falsaperla (Institut Volcanologique de Catane) et le Professeur R. Schick ( Institut Géophysique de Stuttgart) qui aient publié des articles dignes d’intérêt.
Dans un courrier, le Prof. Falsaperla m’écrit qu’elle pense qu’ « une relation existe sûrement à Stromboli ( ou sur tout autre volcan) entre la fréquence et la violence des explosions d’une part et la pression atmosphérique d’autre part, mais que cette relation est plus ou moins évidente en fonction du comportement interne du système volcanique. Etant donné que beaucoup de paramètres physiques et chimiques sont susceptibles de jouer un rôle dans l’intensité explosive, l’influence de la pression atmosphérique n’est pas facile à modéliser, même sur un volcan ‘simple’ comme Stromboli ».
Entre Janvier et Avril 1983, le Prof. Falsaperla a participé à un travail d’étude sur la comparaison de la pression barométrique et la fréquence des événements sismiques à Stromboli. L’ensemble des résultats a été synthétisé dans le Volume 3 de IAVCEI Proceedings in Volcanology édité en 1992 et apparaît dans les schémas ci-dessous :

Baro 4_modifié-1

 

Ces diagrammes ont l’avantage de bien montrer la globalité de la situation sur une période donnée (Janvier – Avril) ; cependant, la compacité du graphique ne fait pas suffisamment ressortir certaines situations ponctuelles où une variation soudaine et brutale – 10 millibars ou plus – de la pression atmosphérique semble entraîner une modification de l’activité éruptive (voir 1ère partie). Ce phénomène apparaîtrait certainement plus clairement dans un diagramme journalier, voire hebdomadaire.
Néanmoins, au vu des diagrammes ci-dessus, on peut affirmer raisonnablement que, s’il existe des points communs, ces derniers ne sont pas suffisamment nombreux pour prétendre avec certitude qu’il existe une coïncidence systématique entre activité sismique et pression barométrique.
Le Prof. Falsaperla fait par ailleurs remarquer que pour étudier la relation entre la pression atmosphérique et la fréquence horaire des secousses éruptives, une autre variable, en l’occurrence le comportement dynamique du magma, doit être prise en compte. En effet, certains volcanologues (par exemple B. Martinelli en 1991) admettent que le mélange magma/gaz constitue un équilibre thermodynamique instable qui peut subir une transformation (allant du dégazage explosif à l’excès de pression) à la suite de perturbations – même faibles – survenues dans les conduits magmatiques, ces perturbations pouvant être causées par des variations d’amplitude des marées ou des modifications de pression barométrique. Le Prof. Falsaperla semble approuver cette approche, puisqu’elle conclut son rapport en écrivant que d’autres phénomènes externes tels que l’amplitude des marées, mais aussi le vent, la pluviométrie, la modification du volume océanique, les variations de température etc. sont susceptibles de venir s’ajouter à l’influence de la pression atmosphérique.
S’agissant de l’influence des marées, les études sont également très succinctes. La plus intéressante a été faite en 1983 par une équipe dirigée par le Prof. Emter ; s’appuyant sur 5000 heures d’observations couvrant 30000 explosions, ces scientifiques n’ont décelé aucun signe tangible de l’influence des marées sur le processus de déclenchement des éruptions.

Au sein même du corps scientifique, les avis sont partagés. H. Tazieff n’a pas hésité à m’écrire qu’après 30 années de visites fréquentes aux volcans siciliens, il « n’avait pu établir de corrélation entre activité éruptive et pression atmosphérique, pas plus qu’avec les marées ni l’attraction lunaire ». Il se montrait d’autre part « des plus sceptiques à propos de la suggestion du Professeur Falsaperla », s’appuyant sur le fait que « ce n’est pas sur le seul Stromboli que [ses] observations sur cette hypothétique corrélation ont porté, mais sur toutes les activités éruptives suffisamment prolongées, du Kituro et Niragongo à l’Erta’Ale en passant par le Capelinhos ».

3. L’hygrométrie.
Au cours des dernières observations, un paramètre supplémentaire – l’hygrométrie de l’air ambiant – a été pris en compte. En effet, dans la plupart des cas, la baisse de la pression atmosphérique s’accompagne d’une hausse de l’humidité.
Il est à noter ( et pas seulement à propos de Stromboli) que cette modification de l’hygrométrie de l’air peut entraîner des changements considérables dans la morphologie des panaches provenant des bouches actives et des évents fumerolliens ; il faut donc faire preuve de la plus grande méfiance avant d’associer densité du panache et activité éruptive.

Cette remarque s’est trouvé confirmée lors d’observations sur des sites aussi différents que la Fossa de Vulcano, l’Etna ou Stromboli.

4. Conclusion.

En synthétisant les avis spécialisés et mes propres observations, j’en arrive à la conclusion suivante :
S’agissant d’appareils volcaniques de grande échelle dotés d’une alimentation extrêmement puissante tels que le Kilauea ou le Nyiragongo, qui mettent en œuvre une force magmatique et un dégazage hors du commun, si la pression barométrique peut avoir une influence quelconque sur le processus éruptif, elle sera négligeable par rapport aux forces venant de l’intérieur de la terre et donc indécelable.
Par contre, là où l’activité est plus réduite, voire sporadique, comme c’est souvent le cas à Stromboli, il est plus facile d’appréhender le phénomène, de l’observer et de le mesurer, surtout lorsqu’il se manifeste de façon ponctuelle. Cette remarque rejoint celles formulées ci-dessus par B. Martinelli à propos de facteurs extérieurs susceptibles de créer un déséquilibre dans le mélange magma/gaz.
Quoi qu’il en soit, si ce paramètre peut paraître intéressant, la corrélation entre l’activité éruptive et la pression barométrique ne semble pas être à l’heure actuelle un facteur essentiel dans l’approche volcanologique. D’autres observations prolongées sur le terrain mériteraient d’être effectuées afin d’éclaircir davantage ce phénomène.

++++++++++++++++

Avec tous mes remerciements à J.M. Bardintzeff, S. Falsaperla, H. Tazieff et aux guides de Stromboli qui, par leur collaboration, m’ont permis de réaliser cette étude.

++++++++++++++++

R E F E R E N C E S

Acta Vulcanologica. Vol 3. (1993.)

IAVCEI Proceedings in Volcanology, vol 3. (1992).

Emter D., Zuern W., Schick R.., Lombardo G. : Search for tidal effects on volcanic activities at Mt Etna & Stromboli. (1986).

Falsaperla S., Neri G. : Seismic monitoring of volcaoes : Stromboli (Southern Italy).(1986).

Martinelli B. : Fluidinduzierte Mechanismen für die Entstehung von vulkanischen Tremor-Signalen. (1991).

Schick R., Mueller W. : Volcanic activity and eruption sequences at Stromboli during 1983-1984. (1988)

Scrope G. P. : Volcanoes (1862) Ed.. Longmans & Roberts, London.

 Str blog 01

Str blog 05

Str blog 07

Str blog 08

(Photos: C. Grandpey)