Les refuges de haute montagne en danger // High altitude refuges in danger

Dans une note publiée le 10 août 2021, j’expliquais que la fonte des glaciers et le dégel du permafrost de roche dans nos Alpes ont commencé à poser de gros problèmes, avec des effondrements spectaculaires de parois et une menace grandissante pour certaines infrastructures. J’ai expliqué comment, en Suisse, plusieurs supports de téléphériques ont dû être modifiés pour assurer une meilleure stabilité car le sol dégelé se dérobait sous les assises des pylônes. Je donnais l’exemple du refuge de la Pilatte, dans le massif des Ecrins (Alpes françaises) qui a été déstabilisé par la fonte d’un glacier. Il s’est fissuré au point de ne plus pouvoir recevoir randonneurs et alpinistes. Ce refuge n’est pas une exception et d’autres camps de base connaissent le même sort.

Vue du refuge de la Pilatte (Crédit photo: Oisans Tourisme)

Ce fut le cas du refuge des Cosmiques en 1998 quand une dalle de 600 mètres cubes a lâché prise, déstabilisant le bâtiment et nécessitant d’importants travaux de consolidation.

Vue du refuge des Cosmiques (Crédit photo : Wikipedia)

Même punition pour le bivouac des Périades dans le massif du Mont-Blanc. Il a bien failli basculer dans le vide, lui aussi, pour la même raison. Il s’est mis à pencher dangereusement quand quelques dizaines de mètres cubes de blocs ont bougé en aval en raison du réchauffement du permafrost. Pour ne pas le voir disparaître, un élan de solidarité a permis d’édifier un nouveau bivouac, identique mais mieux aménagé, à une quinzaine de mètres de là, sur une terrasse stable. Certains montagnards se demandent s’il faut accuser le réchauffement climatique. La réponse ne fait guère de doute lorsque l’on observe ce qui se passe ailleurs dans les Alpes dans des conditions identiques.

Aujourd’hui, c’est l’Autriche qui s’inquiète pour ses refuges de haute altitude. Le pays compte 272 refuges de ce type. Ils se retrouvent aujourd’hui en difficulté à cause du manque de personnel et, surtout, du réchauffement climatique. Les clubs alpins autrichiens, qui gèrent ces refuges, appellent les autorités à l’aide. Le refuge Seethaler est un bon exemple des difficultés des refuges face au réchauffement climatique. Il a en effet dû être entièrement reconstruit il y a cinq ans. Il y avait une gigantesque doline qui était gelée au moment de sa construction. Le réchauffement climatique a fait dégeler le pergélisol qui maintenait la structure en place. Le refuge s’est affaissé tout d’un coup de plusieurs mètres, il a donc fallu immédiatement y remédier.

Vue de la Seethalerhütte (Crédit photo : PREFA)

En Autriche comme ailleurs dans les Alpes, la hausse des températures va inciter les gens à grimper plus haut, dans l’espoir de trouver un peu de fraîcheur. Il faudra donc trouver des candidats pour les missions liées aux refuges. Ce sont des contraintes bien particulières et aujourd’hui, de moins en moins de jeunes veulent s’y confronter.

Ayant pu me rendre compte, au cours de mes pérégrinations, du drame qui se prépare, je lance régulièrement des alertes à mon petit niveau, bien conscient qu’elle tombent dans un océan de j’menfoutisme….

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In a post published on August 10th, 2021, I explained that the melting of glaciers and the thawing of rock permafrost in our Alps have started to pose major problems, with spectacular collapses of walls and a growing threat to certain infrastructures. I explained how, in Switzerland, several cable car supports had to be modified to ensure better stability because the thawed ground was giving way under the bases of the pylons. I gave the example of the Pilatte refuge, in the Ecrins massif (French Alps) which was destabilized by the melting of a glacier. It cracked to the point of no longer being able to accommodate hikers and mountaineers. This refuge is not an exception and other base camps are suffering the same fate. This was the case for the Cosmiques refuge in 1998 when a 600 cubic meter slab gave way, destabilizing the building and requiring major consolidation work. The same punishment was meted out to the Périades bivouac in the Mont Blanc massif. It almost fell into the void, too, for the same reason. It began to lean dangerously when a few dozen cubic meters of blocks moved downslope due to the warming of the permafrost. To prevent it from disappearing, a wave of solidarity made it possible to build a new bivouac, identical but better equipped, about fifteen meters away, on a stable terrace. Some mountaineers wonder whether global warming should be blamed. The answer is hardly in doubt when we look at what is happening elsewhere in the Alps under identical conditions.
Today, Austria is worrying about its high-altitude refuges. There are 272 such shelters in the country. They are now in difficulty due to a lack of staff and, above all, global warming. The Austrian Alpine Clubs, which manage these shelters, are calling on the authorities for help. The Seethaler shelter is a good example of the difficulties shelters are confronted with in the face of global warming. It had to be completely rebuilt five years ago. There was a gigantic sinkhole that was frozen when it was built. Global warming thawed the permafrost that held the structure in place. The shelter suddenly subsided by several meters ; this had to be remedied immediately.
In Austria, as elsewhere in the Alps, rising temperatures will encourage people to climb higher, in the hope of finding a bit of coolness. It will therefore be necessary to find candidates for the missions linked to the shelters. These are very specific constraints and today, fewer and fewer young people want to confront them.

Having been able to see, during my travels, the drama that is brewing, I regularly launch alerts at my own small level, well aware that they fall into an ocean of indifference…

L’effondrement des Alpes (suite)

J’ai expliqué dans plusieurs notes sur ce blog que le réchauffement climatique provoque le dégel (on ne parle pas de fonte) du pergélisol dans l’Arctique, mais aussi dans nos montagnes où le permafrost (autre nom du pergélisol) de roche ne joue plus son rôle de ciment, ce qui génère des effondrements de plus en plus fréquents.

Les réseaux sociaux ont été inondés de vidéos spectaculaires le 10 septembre 2024 lorsqu’entre 30 000 et 40 000 m3 de roches se sont détachés du col de l’Encrenaz, dans le massif des Aiguilles Rouges, dans les Alpes françaises, avant de s’écraser 300 mètres plus bas, dans un nuage de poussière.

https://www.youtube.com/watch?v=i1swuZdbbFs

Cet éboulement est l’un des plus importants jamais enregistrés dans ce secteur, mais ce n’est pas le seul dans le massif alpin. Durant tout le mois d’août, les pages d’alpinisme sur les réseaux sociaux ont regorgé de vidéos d’éboulements dans les Alpes françaises, en particulier dans le massif du Mont-Blanc.

Les statistiques montrent que le record d’éboulements a été atteint en 2022, avec près de 300 événements de plus de 100 m3. En 2024, il y a eu moins d’effondrements. Le très fort enneigement de l’hiver a stabilisé les terrains. De plus, il n’y a pas eu pendant l’été 2024 d’épisodes caniculaires semblables à ceux de 2022 ou 2023.

Au mois d’août 2024, au moins quatre éboulements ont été filmés au niveau de la célèbre Aiguille du Midi, dont le téléphérique permet chaque jour à plus de 3 000 touristes de monter à 3 842 m d’altitude. J’ai emprunté le téléphérique en septembre 2018, alors qu’un effondrement s’était produit quelques semaines auparavant sur l’Arête des Cosmiques. Comme beaucoup, je me suis inquiété de l’avenir du téléphérique. Ludovic Ravanel, géomorphologue au CNRS, m’a rassuré et m’a fait remarquer que le site d’implantation des pylônes qui soutiennent les câbles n’était pas, au moins pour un temps, impacté par le réchauffement climatique. Les soubassements sont sous haute surveillance et équipés de capteurs qui alerteraient à la moindre anomalie. Ludovic Ravanel explique que la zone sous l’Aiguille du Midi est relativement active. Elle est aussi très visible, donc il est normal d’avoir beaucoup d’informations sur ce secteur. Sur la partie médiane, la roche est très fracturée, et se situe dans une tranche altitudinale qui est favorable au dégel du permafrost. Ce dernier se dégrade et les étés sont de plus en plus secs et chauds, donc il y a un retrait des masses de glace qui maintiennent la roche. La construction du téléphérique de l’Aiguille du Midi date des années 1950. C’était une bonne idée d’un point de vue de la sécurité car au sommet la température du permafrost est très basse et l’ensemble est stable.

 

Photo: C. Grandpey

A cause du réchauffement climatique et des effondrements, les guides de haute montagne ont été contraints d’adapter leurs pratiques et de modifier leurs courses. Les statistiques du PGHM montrent que les opérations de secours en haute montagne n’ont pas augmenté. Elles représentent environ 2 % des interventions depuis des années. Cela signifie que l’ensemble des alpinistes ont su s’adapter à cette nouvelle situation. En particulier, les guides ont modifié les saisonnalités, en privilégiant certaines courses au printemps. Il y a également une adaptation géographique qui a obligé à suspendre certains grands itinéraires à certaines périodes, comme sur l’Arête des Cosmiques ou dans le couloir du Goûter, pour l’accès au Mont-Blanc. Faute de courses en haute montagne, beaucoup de guides reviennent aux origines du métier, où le guide avait très souvent une deuxième activité, ce qui est de plus en plus le cas aujourd’hui.

À côté des éboulements à haute altitude, des phénomènes semblables peuvent produire des risques jusque dans les vallées. Ils sont d’origine glaciaire et périglaciaire. En 2017, dans le canton des Grisons (Suisse), 3,1 millions de mètres cubes se sont détachés du Piz Cengalo et sont tombés sur un glacier. Pulvérisé, ce dernier s’est transformé en eau qui, mélangée à la roche, a provoqué une lave torrentielle qui a atteint le village de Bondeau, à 6 km de là. Une centaine de bâtiments ont été détruits, et huit randonneurs ont été tués. J’ai décrit cet événement dans plusieurs notes comme celle publiée le 25 septembre 2018.

Effondrement sur le Piz Cengalo en 2011 (extrait d’une vidéo diffusée sur YouTube)

Source : France 24.

L’effondrement des Alpes (suite, mais pas fin)

Comme je l’ai indiqué le 24 août 2023 à propos des Alpes suisses, la vague de chaleur que nous venons de connaître provoque le dégel du permafrost de roche.Il s’agit de l’eau gelée qui joue le rôle de ciment et assure la cohésion des parois rocheuses à haute altitude. Son dégel provoque des éboulements, parfois très spectaculaires, qui peuvent devenir une menace pour les alpinistes et les randonneurs.

Les Alpes françaises sont, elles aussi, victimes de ce phénomène. C’est ainsi que 20 000 mètres cubes de pierre se sont déversés dans la vallée de Chamonix, avec un énorme nuage de poussière visible des kilomètres à la ronde. L’éboulement s’est produit en fin de matinée le 23 août sur la face nord de l’Aiguille du Midi, entre l’éperon Frendo et la voie Mallory. Par chance, aucune personne n’était sur la trajectoire de cet effondrement. A noter que ce même jour le PGHM de Chamonix s’est rendu dans l’après-midi sur une autre face nord mythique, celle des Grandes Jorasses, où des alpinistes ont vu leur corde sectionnée par une chute de pierres.

Des chaleurs record ont été enregistrées ces derniers jours sur tout le massif du Mont Blanc, provoquant la fonte de morceaux de calotte glaciaire et d’importants éboulements de pierres. Celui du 23 août, aussi spectaculaire soit-il, n’est que la continuité d’une série d’événements qui dure depuis plus d’une semaine. Deux jours avant l’éboulement à l’Aiguille du Midi, des randonneurs avaient filmé d’importantes chutes de pierres dans le «Couloir du goûter», le principal accès au toit de l’Europe. Comme je l’ai indiqué précédemment, le 21 août, la préfecture de Haute-Savoie a appelé à une « grande prudence » pour les usagers de la montagne.

Les scientifiques expliquent que ces affaissements sont une cause directe du réchauffement climatique. Si le dégel du permafrost venait à s’accélérer, il pourrait rendre certains pans du Mont Blanc impraticables. Ce n’est pas la première fois que des éboulements se produisent dans le secteur de l’Aiguille du Midi. Un effondrement semblable a déjà eu lieu le 21 août 2022. Le 22 août 2018, toute une section de l’Arête des Cosmiques s’est effondrée, elle aussi. Sans oublier l’effondrement au pied de l’éperon Tournier en septembre 2017. J’ai attiré l’attention sur ces événements dans une note rédigée le 24 août 2022.

https://claudegrandpeyvolcansetglaciers.com/2022/08/24/leffondrement-des-alpes-suite/

Quand on évoque l’Aiguille du Midi, on pense au téléphérique extraordinaire qui permet de hisser les touristes à 3842 mètres d’altitude. Au moment où je me trouvais à l’intérieur de la cabine, je me disais que l’arrêt de ce téléphérique pour des raisons de sécurité serait une catastrophe financière pour la ville de Chamonix. Les touristes qui l’empruntent ne doivent toutefois pas s’inquiéter. La roche qui supporte les pylônes est contrôlée en permanence par des capteurs qui mesurent en continu la température à l’intérieur des soubassements. A la moindre alerte, le téléphérique serait arrêté, mais nous n’en sommes pas là.

Photos: C. Grandpey

Réchauffement climatique : L’érosion des falaises normandes

Dans une note publiée le 20 février 2023, j’attirais l’attention sur l’érosion littorale en Normandie et en particulier sur les Plages du Débarquement du 6 juin 1944. Le site d’Utah Beach, est potentiellement menacé, en particulier le musée chargé de cette terrible histoire. Pas très loin, un important pan de la falaise de la Pointe du Hoc s’est effondré le 20 janvier 2023

D’importants éboulements de falaise ont eu lieu ces dernières semaines sur le littoral normand. Cette situation inquiète les autorités au fur et à mesure que l’érosion s’approche des habitations.

Un morceau de falaise de près de 40 mètres de large s’est détaché fin février à Fécamp (Seine-Maritime), emportant dans sa chute un beau calvaire en granit, symbole de la ville.

Ce type d’éboulement est de plus en plus fréquent en Normandie et se rapproche dangereusement des habitations. On en a dénombré une soixantaine sur la côte d’Albâtre en 2022. Par précaution, la ville de Fécamp a fermé certains accès et interdit de s’approcher à moins de 15 mètres du bord de la falaise.

Selon les autorités, ces éboulements de plus en plus proches des zones habitées sont liés au réchauffement climatique. Le sous-préfet du Havre a déclaré : »On a un certain nombre de phénomènes naturels qu’on ne maîtrise pas, et on arrive à des situations qui sont effectivement beaucoup plus précoces que celles qui avaient pu être anticipées. »

A quelques dizaines de kilomètres de Fécamp, sur le littoral de Sainte-Adresse, la situation est similaire. Plus de 7000 m3 de falaise sont tombés lors d’un éboulement survenu au mois de février. Des fissures sont visibles sur la falaise, signe d’un décollement de gros blocs de rochers. Elles sont la conséquence des conditions climatiques que connaît la côte avec des tempêtes, du vent, des alternances de gel et de dégel.

Les géologues constatent que le trait de côte normand recule en moyenne sur toute la longueur de près de 25 centimètres par an, soit 2m50 sur 10 ans et 25 mètres pour 100 ans. Après avoir établi ces prévisions, les autorités regardent s’il y a un danger pour les habitations et les activités économiques. Il s’agit d’une gestion au cas par cas, avec des endroits où il faut consolider et d’autres où on doit reculer.

Source : BFM Normandie et presse régionale.

Mêmes préoccupations pour la Côte d’Opale dans le Pas-de-Calais où des zones habitées sont sous la menace des vagues :

https://www.francetvinfo.fr/france/hauts-de-france/cote-d-opale-la-baie-de-wissant-plus-que-jamais-menacee-par-l-erosion_5717165.html

A Fécamp, suite au dernier éboulement, la falaise du cap Fagnet a reculé de 15 mètres (Crédit photo : presse régionale)