Dommages collatéraux du réchauffement climatique // Collateral damage from global warming

La scène se déroule dans le vaste lac de cratère Kurilskoye au sud de la péninsule du Kamtchatka. Le lac contient – ou plutôt contenait – le plus grand nombre de saumons rouges (sockeye) en Asie. Le lac fait partie de la réserve naturelle du sud-Kamtchatsky où vivent au moins 800 ours bruns, la plus grande population protégée d’Eurasie.

A la fin de chaque été, les ours se rassemblent sur les berges du lac où ils attendent que les saumons quittent les profondeurs du lac et pénètrent dans les eaux de surface pour regagner les frayères.

On peut voir jusqu’à 200 plantigrades en train  de pêcher en même temps. Les ours mâles et les mères avec des petits restant à une courte distance les uns des autres.

La réserve est sous la surveillance constante des gardes qui peuvent ainsi observer les ours dans leur habitat naturel pendant qu’ils pêchent, se battent ou jouent les uns avec les autres les jours où la pêche a été bonne. Les animaux sont alors repus ; ils ne mangent que les œufs des saumons et abandonnent le reste de leurs proies qui pourriront sur les berges du lac.

Il n’en va pas de même cette année. Les gardes font état d’une situation bien différente. Faute d’avoir pu attraper suffisamment de saumons et donc loin d’être rassasiés, les ours adultes n’hésitent pas à tuer les oursons pour ensuite les dévorer. Une vidéo tournée il y a quelques jours (voir le lien ci-dessous) montre un ours brun adulte debout près d’un ourson qu’il vient de tuer. Une telle scène ne peut être filmée que depuis un bateau. Il est formellement interdit de s’approcher d’un ours avec sa proie car l’attaque sera immédiate.

Un tel cas de cannibalisme chez les ours n’est pas exceptionnel, mais les gardes de la réserve ont remarqué que c’était de plus en plus fréquent. En raison du réchauffement climatique, le nombre de saumons sockeye qui atteignent le lac depuis la Mer d’Okhotsk est de plus en plus faible. En conséquence, les tensions entre les ours s’intensifient, et cela dure depuis plusieurs années. Les adultes sont agressifs les uns envers les autres et se battent souvent. Des oursons, que les adultes considèrent également comme de possibles concurrents sexuels auprès des femelles, sont dévorés par les mâles affamés.

Les gardes pensent que le nouveau comportement des ours est peut-être dû à la combinaison de plusieurs facteurs : la concentration plus élevée d’ours autour du lac, une pénurie de pommes de pins de cèdres dont les ours sont friands, et la réduction du nombre de saumons.

Source: The Siberian Times.

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The scene is taking place in the vast Kurilskoye crater lake in the south of the Kamchatka Peninsula. The lake contains – or rather contained – the largest sockeye salmon stocks in Asia. The lake is part of the South-Kamchatsky nature reserve, home to at least 800 brown bears, the largest protected population in Eurasia.

Every autumn bears gather on its banks, waiting for salmon to leave the depths of the lake and to enter shallow waters on the way to the spawning grounds.

Up to 200 predators can be seen fishing at the same time, with male bears and mothers with cubs staying within a short distance from each other.

The reserve is under the constant monitoring of the inspectors, which gives them an opportunity to observe the bears in their natural habitat as they fish, argue, fight and eventually play with each other after days of successful fishing when the animals are so full that they only take caviar, leaving the salmon rot on the banks.

This year’s reports paint a very different picture as adult bear hunt cubs after weeks struggling to fish successfully. A video shot a few days ago shows an adult brown bear standing by a killed bear cub (see link below). This kind of footage can only be filmed from a boat. It is categorically forbidden to get near the bear by its prey as the attack will follow imminently.

Such a case of cannibalism among the bears is not exceptional, but the reserve inspectors have noticed it is getting more and more frequent.

Because of climate change and global warming, there is a  lower number of sockeye salmon getting to the lake from the Sea of Okhotsk. As a consequence, the tensions among the bears have been growing for several years. Adult males are aggressive towards each other and often engaged in fights. Cubs, which are also seen as possible sex competitors with the sows, have been eaten by the hungry  males.

The reserve inspectors think that the bears’ new behaviour might also be caused by a combination of reasons: the higher concentration of bears around the lake, the poorer harvest of cedar pine cones and the smaller number of fish.

Source: The Siberian Times.

https://youtu.be/w0aqWYQLqpk

Grizzly et sockeye en Alaska (Photo : C. Grandpey)

Glaciers du Groenland : une catastrophe annoncée // Greenland glaciers: an inevitable disaster

Sous l’effet du réchauffement climatique, les glaciers du Groenland fondent à une vitesse incroyable et les scientifiques s’accordent aujourd’hui pour dire qu’ils ont atteint un point de non-retour. Ils ne retrouveront jamais leur majesté d’autrefois. En fondant, ces glaciers envoient dans l’océan des quantités phénoménales d’eau douce, avec des conséquences faciles à imaginer, que ce soit sur le niveau de mers ou même sur le comportement des courants océaniques. S’agissant du niveau des océans, les scénarios les plus défavorables estiment qu’on se dirige vers une hausse qui atteindrait 15 millimètres d’ici l’année 2100. Toutefois, de nombreux chercheurs préviennent que ces prévisions sont probablement trop optimistes et que la hausse sera supérieure car on sous-estime trop souvent la perte de masse glaciaire.

Pour comprendre à quel point la situation est alarmante, il suffit d’observer le Jakobshavn, le plus volumineux glacier du Groenland. C’est aussi celui qui se déplace le plus rapidement. Son vêlage donne naissance à d’impressionnants icebergs. Depuis la fin du 19ème siècle, entre 1880 et 2012, on pense qu’il a perdu au moins de 1500 milliards de tonnes de glace.

Le Kangerlussuaq est le plus gros de la côte est. Une bosse dans le substrat rocheux sur lequel repose le glacier l’a provisoirement protégé. Mais une fois le front du glacier disparu, les eaux chaudes ont pu faire leur œuvre et creuser peu à peu la glace. Le glacier a perdu 1381 milliards de tonne entre 1900 et 2012.

Toujours sur la côte Est, le glacier Helheim est l’un des plus importants systèmes d’exutoire en eau solidifiée du Groenland. Depuis le 19ème siècle, il a perdu 31 milliards de tonnes de glace.

Ces chiffres montrent que sous les assauts du réchauffement climatique, ces trois glaciers ont reculé de manière spectaculaire. Les images satellites et les photos prises sur le terrain n’autorisent pas le moindre doute.

Les chercheurs estiment qu’au cours de la dernière décennie, la fonte de ces glaciers a entraîné une élévation du niveau de la mer de 8,1 millimètres. Selon une étude qui vient d’être publiée dans la revue Nature Communications, le plus inquiétant, c’est que les modèles climatiques actuels sous-estiment très probablement ce qui se passera dans le futur. Les trois glaciers que je viens d’évoquer contiennent suffisamment d’eau pour faire monter le niveau de la mer de plus d’un mètre.

Les experts du GIEC estiment que la fonte des glaces, qu’elle provienne des glaciers ou des calottes, pourrait faire monter le niveau des mers entre 30 et 110 cm d’ici la fin du siècle, en fonction des niveaux d’émissions de gaz à effet de serre.

Comme je l’ai indiqué dans des notes précédentes, le scénario le plus pessimiste du GIEC implique l’absence de toute mesure pour limiter les émissions tout au long du 21ème siècle. Cela conduirait à une hausse des températures d’au moins 3°C par rapport aux niveaux pré-industriels, et ne répondrait donc pas à l’objectif de moins de +2°C défini par l’Accord de Paris sur le climat.

Selon les modèles climatiques mettant en oeuvre le scénario du pire, les trois glaciers du Groenland mentionnés plus haut contribueraient à une augmentation du niveau des océans entre 9,1 et 14,9 mm d’ici 2100.

Les chercheurs sont persuadés aujourd’hui que ce scénario du pire est sous-estimé. Pour les trois glaciers étudiés, la perte de glace pourrait être trois ou quatre fois plus importante que les prévisions ne l’anticipaient.

Une étude publiée en septembre dans la revue Nature a conclu que si les émissions de CO2 continuent au rythme actuel, la calotte glaciaire du Groenland pourrait se réduire de 36 000 milliards de tonnes entre 2000 et 2100, suffisamment pour rehausser les océans de 10 cm.

Source : Presse internationale.

J’aime montrer cette vidéo d’un vêlage majeur du glacier Ilulissat dans l’ouest du Groenland en 2008. Les images parlent d’elles-mêmes et décrivent ce qui va se passer sur l’ensemble de cette grande île dans les prochaines années :

https://youtu.be/hC3VTgIPoGU

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As a result of global warming, Greenland’s glaciers are melting at an incredible speed and scientists today agree that they have reached a point of no return. They will never regain their former majesty. As they melt, these glaciers send huge amounts of fresh water into the ocean, with consequences that are easy to imagine, be it on sea levels or even on the behaviour of ocean currents. Regarding the level of the oceans, the most unfavorable scenarios estimate that we are heading for an increase of 15 millimetres by the year 2100. However, many researchers warn that these forecasts are probably too optimistic and that the increase will be greater because the loss of ice mass is too often underestimated.

To understand how alarming the situation is, we just need to look at Jakobshavn, the largest glacier in Greenland. It’s also the fastest moving one. Its calving gives birth to impressive icebergs. Since the end of the 19th century, between 1880 and 2012, it is thought to have lost at least 1.5 trillion tonnes of ice.

Kangerlussuaq is the largest on the east coast. A bump in the bedrock on which the glacier rests temporarily protected it. But once the front of the glacier disappeared, the warm waters were able to do their work and gradually dig the ice. The glacier lost 1,381 billion tonnes between 1900 and 2012.

Also on the east coast, Helheim Glacier is one of the largest solidified water outlet systems in Greenland. Since the 19th century, it has lost 31 billion tonnes of ice. These figures show that under the assaults of global warming, these three glaciers have retreated dramatically. Satellite images and photos taken on the field leave no room for doubt.

Researchers estimate that over the past decade, the melting of these glaciers has caused sea level to rise by 8.1 millimetres. What is more worrying, according to a study just published in the journal Nature Communications, is that current climate models have probably underestimated what will happen in the future. The three glaciers I just mentioned contain enough water to raise the sea level by more than one metre.

IPCC experts estimate that melting ice, whether from glaciers or ice caps, could cause sea levels to rise between 30 and 110 cm by the end of the century, depending on the levels of greenhouse gas emissions. As I have indicated in previous notes, the IPCC’s most pessimistic scenario involves the absence of any measures to limit emissions throughout the 21st century. This would lead to a rise in temperatures of at least 3°C above pre-industrial levels, and therefore would not meet the target of less than 2°C set by the Paris Climate Agreement.

According to the climate models using the worst-case scenario, the three glaciers in Greenland mentioned above would contribute to an increase in ocean level between 9.1 and 14.9 mm by 2100.

Researchers are now convinced that this worst-case scenario is underestimated. For the three glaciers studied, the loss of ice could be three or four times greater than expected. A study published in September in the journal Nature concluded that if CO2 emissions continue at the current rate, the Greenland ice sheet could shrink by 36 trillion tonnes between 2000 and 2100, enough to raise the oceans by 10 cm.

Source: International news media.

I love this video of a major calving of the Ilulissat Glacier in West Greenland in 2008. The images speak for themselves and describe what will happen across this large island in the coming years :

https://youtu.be/hC3VTgIPoGU

Photos : C. Grandpey