Y a-t-il une malédiction de la Montagne Pelée ?

Le 30 décembre 2017, France 3 proposait un téléfilm intitulé « Meurtres en Martinique, la malédiction du volcan. » J’avais, bien sûr, été attiré par le titre et j’ai eu plaisir à regarder cette enquête policière qui conduit les protagonistes sur les pentes mystérieuses de la Montagne Pelée, personnage principal de cette histoire. Ils sont en prise avec les démons et croyances du passé, nés lors de la terrible éruption du 8 mai 1902. La malédiction de Cyparis, enfermé dans son cachot et seul survivant de l’éruption, plane sur l’enquête.

Si la légende de la cantatrice faisant entendre sa superbe voix sur les flancs du volcan semble sortie de l’imagination du réalisateur du téléfilm, des voix se sont faites entendre au début du 20ème siècle pour expliquer la colère de la « Vieille Dame. »

La ville de St Pierre fut totalement détruite par les nuées ardentes et les coulées de boue vomies par la Montagne Pelée. Au final, quelque 29 000 personnes périrent dans la catastrophe. Dans un ouvrage paru aux Editions Ibis, des descendants de St Pierre expliquent le désastre au moyen d’arguments très différents de ceux avancés par les volcanologues. Beaucoup d’entre eux affirment que le volcan n’est pas entré en éruption de lui-même ; c’est « une main divine » qui a déclenché sa mauvaise humeur et l’éruption est « une correction divine. » Une lourde responsabilité est attribuée au Carnaval et à l’ambiance qui l’entourait. Selon l’une des personnes interviewées, avant l’éruption de 1902, un carnaval avait fait scandale. Les gens s’étaient déguisés en Moïse et avaient « singé les choses de Dieu, dans la rue, » de sorte que l’éruption est intervenue pour punir les mécréants. Les curés étaient souvent victimes de sarcasmes ou de mauvaises plaisanteries. Certains habitants s’habillaient « en curés, en messeigneurs, ils faisaient certaines choses qu’ils n’auraient pas dû faire. Ils faisaient des chansons sur les curés où ils disaient que les curés prenaient des femmes. » L’homme d’église réagissait en secouant sa soutane. Selon la tradition martiniquaise, tout ecclésiastique possédait le secret de ce geste qui était censé jeter un mauvais sort à l’offenseur.

Dans les années qui suivirent l’éruption, certains parents interdisaient à leurs enfants d’aller au carnaval de St Pierre parce qu’il était maudit.

Outre le Carnaval, plusieurs témoignages portent sur l’existence d’un dancing ou Casino décrit comme un lieu de perdition. L’ambiance et les biguines seraient l’une des causes de la disparition de Saint-Pierre. Elles auraient entraîné la colère divine. « A Saint-Pierre, à certaines heures, les spectateurs qui ne pouvaient se payer l’entrée des bals, attrapaient des danseuses au vol et biguinaient dans la rue. Cette danse sous les étoiles intéressait autant que celle qui tournoyait sous les quinquets fumeux où la poussière âcre du parquet. […] Le curieux de l’histoire, c’est que le bal faisait face à l’église du Mouillage, par la Grand-rue. Le dimanche matin, tandis que le prêtre psalmodiait là-bas dominus vovis cum, la foule vociférait en réponse : Cha cha !Cha cha !Cha cha !Déchirez tout cé rob là !»

Selon de nombreux Pierrotins, l’éruption de 1902 a été précédée de nombreux signes, rêves, faits et évènements prémonitoires. Plusieurs témoignages s’accordent sur le passage, la veille de la catastrophe, d’individus étranges, déambulant dans les rues et annonçant le désastre en des termes qui évoquent le thème de la «malédiction biblique (6ème verset du 51ème chapitre du livre de Jérémie) : « Fuyez de Babylone, sauve-qui-peut! Sinon, vous périrez quand elle payera pour sa perversion. C’est, pour le Seigneur, le moment de la vengeance.»

Il se raconte qu’au moment de la sieste, une servante a réveillé toute la maisonnée en criant : « Du feu, du feu, du feu sur la ville, le feu tombe sur la ville. » Elle a dit qu’elle avait vu, dans un demi-sommeil, la ville détruite par le feu, que ça lui avait fait très peur et qu’elle était étonnée de voir que rien ne s’était passé et que tout était en place. Les gens racontent aussi qu’une marchande ambulante de Saint-Pierre qui arpentait les rues de la ville avait été surnommée Châtiment parce qu’elle passait sa vie à crier: « Châtiment, châtiment, qui veut des aiguilles, qui veut du fil? Châtiment, châtiment, la ville sera châtiée !

A en croire la mémoire pierrotine, les habitants de Saint-Pierre s’adonnaient également à la sorcellerie. Une des personnes interviewées raconte qu’«à Saint-Pierre, les gens étaient un peu malsains, ils aimaient faire des méchancetés, c’étaient des engagés. Il y avait de jeunes garçons qui se transformaient en chiens. Ils se transformaient en diablesses à midi et le soir en zombi. »

D’autres faits évoqués entretiennent la «malédiction des Caraïbes». Bien connue dans toute l’île et acceptée comme un fait historique, cette légende semble être la délocalisation imaginaire d’un événement historique réel qui opposa les colons français de Martinique aux Caraïbes insulaires, lors d’un épisode de la guerre de conquête de l’île de Grenade. Sa relocalisation aux environs de Saint-Pierre est peut-être liée au massacre en 1658 du dernier chef caraïbe rebelle de Martinique qui, après avoir échappé au meurtre d’une dizaine de ses hommes dans une taverne de la ville, fut assassiné dans la baie de Saint-Pierre.

Deux personnes survécurent à l’éruption de 1902 : Louis-Auguste Cyparis, un prisonnier sauvé par l’épaisseur des murs de son cachot, et Léon Compère-Léandre, un cordonnier dont la maison, comme la prison de Cyparis était située au pied d’une colline, le Morne Abel. La légende liée à la malédiction de la Montagne Pelée dit qu’il aurait été épargné par les nuées ardentes parce qu’il était innocent. Selon un ancien marin-pêcheur, son nom n’était pas Cyparis ; c’était Saint-Aimé. « Après l’éruption, ils ont mis la douane et la police à surveiller partout. Alors ceux-là ont entendu : j’ai soif, donnez-moi un peu d’eau à boire, donnez-moi un peu d’eau à boire ! Alors sur le son, suivant la voix de la personne, ils ont cherché, ils ont fouillé. Quand Saint-Aimé est sorti de dessous la prison, il était innocent; quand il est sorti de la prison, il a dit qu’il n’avait entendu aucun bruit, rien ! Ils l’ont pris et puis l’ont amené en Amérique, mais quand il est arrivé en Amérique, il touchait aux femmes blanches; or tu sais que le Méricain n’aime pas beaucoup les nègres. Alors, ils l’ont ramené ici.»

J’étais à la Martinique il y a quelques jours et j’avais ces histoires en tête pendant la visite de St Pierre. Voici quelques images des ruines et de la maîtresse des lieux qui a daigné retirer à deux reprises son voile de nuages lors de mon séjour sur l’île antillaise.

Vues de la baie de Saint Pierre et de la Montagne Pelée :

Vue du sommet de la Montagne Pelée:

Vue aérienne des dômes de 1902 et 1929 :

Saint Pierre: L’escalier du théâtre :

Saint Pierre: La prison et le cachot de Cyparis :

L’église du Fort, impressionnant témoignage de la puissance de l’éruption :

La cloche de la Cathédrale, éventrée par l’explosion et déformée par la chaleur (Musée Franck Perret):

L’ossuaire de 1902 et le cimetière d’où l’on aperçoit le sommet du volcan :

Le souvenir d’Alfred Lacroix reste présent à Saint Pierre :

Photos: C. Grandpey

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