Hiver 2022-2023 : un cruel manque d’eau et de neige

Quand on évoque le problème de l’eau à Venise, c’est en général au moment de l' »acqua alta », une marée particulièrement haute qui inonde régulièrement la célèbre place Saint-Marc. Comme je l’ai expliqué sur ce blog, depuis octobre 2020, un système de digues artificielles baptisé MOSE est déclenché dès que la montée des eaux de la mer Adriatique atteint une cote d’alerte de 110 cm.

Aujourd’hui, la Cité des Doges est confrontée à un phénomène inverse. Les basses marées de ces derniers jours dans la lagune ont mis à sec certains canaux.

Officiellement, le spectacle insolite de gondoles échouées sur des bancs de vase n’est pas lié au réchauffement climatique ; c’est du moins ce qu’affirme le Centre de prévision des marées de Venise. Son directeur reconnaît tout de même que la région est sous l’influence, depuis une vingtaine de jours, d’un anticyclone qui fait barrage aux précipitations. Les perturbations hivernales, accompagnées de vent et de pluie, amplifient habituellement l’amplitude des marées, ce qui n’est pas le cas cette année. Il est indéniable que la présence de plus en plus fréquente de hautes pressions sur l’Europe – et le manque de précipitations que cela génère – est liée au réchauffement climatique.

Selon les experts, la situation devrait revenir à la normale rapidement. Cette « marée basse » à l’avantage de permettre de faire un ‘check-up’ de l’état des immeubles.

Voici une vidéo qui résume assez bien la situation à Venise :

https://youtu.be/Thu0jEqHGp8

Après Venise, c’est au tour du Lac de Garde d’inquiéter les autorités italiennes qui ne peuvent que constater les effets du réchauffement climatique dans le pays. Aujourd’hui, un flot ininterrompu de visiteurs, à pied ou à vélo, se déverse sur l’étroit sentier de pierre et de sable apparu entre les rives du lac de Garde et l’Isola di San Biagio, un îlot devenu le symbole de la sécheresse frappant l’Italie du Nord cet hiver.

L’île, qui n’était joignable que par bateau dans le passé, attire des familles entières, venues constater les dégâts du réchauffement climatique. Avec la pénurie de neige sur les montagnes aux alentours, l’absence de pluie depuis six semaines et les températures douces, l’eau du Lac de Garde est descendue à son plus bas niveau depuis 30 ans en période hivernale. Elle est à 44 cm au-dessus du zéro hydrographique, son point de référence historique, contre 107 cm en 2022, et se trouve à environ 70 centimètres en dessous de la moyenne des dernières décennies.

Après une sécheresse record pendant l’été 2022, qui a décimé les récoltes, le nord de l’Italie donne à nouveau des signes inquiétants. Les eaux du Pô, le plus grand fleuve italien, sont au plus bas. De plus, à l’instar du lac de Garde, le niveau de l’eau des lacs Majeur et de Côme est un sujet d’inquiétude.

Après un mois de temps excessivement sec, les stations de ski en Italie et en France souffrent d’un manque d’enneigement parfois considérable. Les deux pays subissent des conditions anticycloniques interminables, avec des records du nombre de jours sans précipitations. La pression atmosphérique dépasse souvent les 1025 hPa, et ce sur une période de 5 semaines ! Avec le baromètre aussi haut, il y a très peu de place aux précipitations et donc aux chutes de neige en montagne.

Les massifs français enregistrent un important déficit d’enneigement. Ce sont, bien sûr, les massifs de basse et moyenne montagne (Jura, Vosges, Massif Central) qui sont les plus impactés, mais l’enneigement est également fortement déficitaire dans les Alpes. La neige est un peu tombée sur le Massif Central et sur les Pyrénées ces derniers jours, ce qui aide à sauver une saison qui n’avait commencé qu’à la mi-janvier.

Alors qu’en février nous sommes censés être au pic d’enneigement de la saison, les stations alpines font grise mine. Même les domaines de Haute-Savoie n’y échappent pas, comme à Plaine-Joux où il n’y a plus de neige autour des remontées mécaniques. Pour le nord des Alpes, la situation de la fin février 2023 est parmi les pires observées depuis plusieurs décennies. Après de longues semaines de sécheresse et de grand soleil, les paysages n’ont plus grand chose à voir avec la magie hivernale.

Cette pénurie de neige a tendance à se répéter et s’accentuer depuis plusieurs années. Il faut absolument que les responsables des stations de ski sortent du déni du réchauffement climatique et se diversifient rapidement. Si elles ne le font pas, elles mettront la clé sous le paillasson….

 

Capture d’écran de la webcam de La Bresse (Vosges) le 21 février 2023.

Venise : le système Mose enfin opérationnel // Venice : Mose system operational, at last

C’est un projet que les Vénitiens n’attendaient plus. Le système Mose (« Moïse » en italien), un vaste ensemble de digues mobiles, a été activé pour la première fois le week-end dernier à Venise. Il a permis d’éviter que la ville et sa célèbre place Saint-Marc soient inondées par l’acqua alta, phénomène de crue rapide qui se produit en cas de fortes intempéries.

L’activation des digues mobiles a eu lieu à 8 h 35 et s’est achevé à 9 h 52. Le résultat de l’opération a été parfaitement visible sur la Place Saint-Marc, qui est restée sèche alors que l’eau de la mer atteignait les 125 centimètres prévus par le Centre des Marées. La montée de la mer vers la lagune a été interrompue avec succès. Ainsi, à Punta della Salute, le niveau de la marée est resté stable entre 70 et 75 centimètres. Autrement dit, l’activation des digues a permis de gagner une cinquantaine de 50 centimètres. Normalement, l’eau serait arrivée à hauteur des genoux sur la Place Saint Marc.

Conçu en 1984 par l’Italien Alberto Scotti, le projet Mose n’a été lancé officiellement qu’en 2003 suite à retards de chantier, des défauts de conception et un scandale de pots-de-vin impliquant le maire de Venise. Surnommé le « barrage maudit », le système a finalement été livré avec dix ans de retard, et un coût total de 5,5 milliards d’euros, soit trois fois plus que le budget initialement prévu.

Ses 58 parois mobiles, réparties sur quatre immenses barrières, doivent permettre de résister à une crue maximale de trois mètres. L’acqua alta est de plus en plus sévère à Venise avec l’accélération du réchauffement climatique et la hausse du niveau des océans. D’après ses concepteurs, le barrage devrait tenir 100 ans s’il est entretenu correctement.

Source : France Info et la presse italienne.

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It is a project that the Venetians no longer expected. The Mose system (« Moses » in Italian), a large set of movable dikes, was first activated last weekend in Venice. It made it possible to prevent the city and its famous Saint Mark’s Square from being flooded by the acqua alta, a phenomenon of rapid flooding which occurs in the event of severe weather.
The activation of the mobile dikes took place at 8:35 am and was completed at 9:52 am The result of the operation was perfectly visible in St. Mark’s Square, which remained dry while the water from the sea reached the 125 centimetres predicted by the Tide Center. The rise of the sea towards the lagoon was successfully interrupted. Thus, in Punta della Salute, the tidal level has remained stable between 70 and 75 centimetres. In other words, the activation of the dikes made it possible to gain about 50 centimetres. Normally, the water would have reached knee height in St. Mark’s Square.
Designed in 1984 by Italian Alberto Scotti, the Mose project was not officially launched until 2003 following construction delays, design flaws and a bribe scandal involving the mayor of Venice. Dubbed the « damn dam », the system was finally delivered ten years late, and a total cost of 5.5 billion euros, three times the budget initially planned.
Its 58 movable walls, spread over four huge barriers, are supposed to be able to withstand a maximum flood of three metres. Acqua alta is getting more and more severe in Venice because of global warming and the rising level of oceans. According to its designers, the dam is expected to last 100 years if maintained properly.
Source: France Info and the Italian press.

Le système Mose et son principe de fonctionnement (Source ; Wikipedia)

Venise a perdu son âme// Venice has lost its soul

Plusieurs semaines après la montée des eaux et les vents violents qui ont provoqué la pire inondation à Venise depuis plus d’un demi-siècle, les habitants sont désespérés. Tout le monde a le sentiment que le changement climatique accélère une décrépitude qui a commencé avec le tourisme de masse. Comme l’a dit un Vénitien: «La ville est devenue laide. Elle a perdu son âme.»
Venise, qui s’étend sur plus de 100 îlots dans la lagune, a attiré quelque 30 millions de visiteurs  en 2019. Cependant, ces foules apportent peu à l’économie locale. Les trois quarts des touristes ne restent que quelques heures et dépensent en moyenne 13 euros pour l’achat de souvenirs. Les artisans font ce qu’ils peuvent pour faire face à l’afflux de produits meilleur marché fabriqués à l’étranger, en particulier en Chine, et beaucoup ne peuvent pas se permettre des loyers qui ont augmenté suite à la spéculation immobilière. Le nombre d’artisans qualifiés du quartier historique de la ville a diminué de moitié depuis les années 1970. Il en va de même pour l’île voisine de Murano, où le nombre d’artisans  travaillant à la fabrication de jolis vases et figurines de verre soufflé a également été réduit de moitié, en partie à cause de l’impact des produits de contrefaçon en provenance d’Europe de l’Est, de Chine et d’Inde. Les inondations, de plus en plus fréquentes, perturbent la vie à Venise, avec la mise à l’arrêt des vaporetti qui relient le Grand Canal à des sites périphériques tels que Murano, Burano et l’île du Lido.
Comme je l’ai écrit précédemment, l’acqua alta de Venise a atteint 184 centimètres le 12 novembre 2019. Elle a été provoquée par un phénomène concomitant de marées hautes et de vents puissants. Les autorités ont estimé les dégâts à environ un milliard d’euros. Le changement climatique est la cause principale de la catastrophe. Un responsable a déclaré: «La tempête a rappelé la réalité de la situation. Venise est sur le point de tomber de son piédestal. Il n’y a plus de capitaine dans le bateau. »
Un millier d’habitants quittent Venise chaque année et on estime à environ 50 000 les personnes qui habitent encore dans la lagune. L’ancienne ville est gérée de pair avec Mestre, sa voisine plus récente sur le continent, depuis leur rattachement par Mussolini en 1926. Les défenseurs de Venise affirment que les problèmes de la ville sont si particuliers qu’il faut gérer Venise et Mestre séparément. Les Vénitiens seront invités à participer à un référendum pour dire si la ville doit être dotée de sa propre structure administrative, mais le vote ne sera pas contraignant et le maire s’y oppose en affirmant que ce serait « une folie » car cela provoquerait une cacophonie bureaucratique et découragerait les investissements.
Cette situation met encore davantage l’accent sur le projet anti-inondation MOSE. Entravé par plusieurs affaires de corruption, le système de vannes qui a coûté 5,5 milliards d’euros ne sera opérationnel qu’en 2022, plus de deux décennies après le début des travaux de construction…et il n’est pas certain qu’il soit capable de faire face à l’acqua alta…..
Source: Journaux italiens.

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Several weeks after high tides and fierce winds produced the worst flooding in Venice in more than half a century, residents are desperate. There is a general feeling in the city that climate change is hastening a downfall that started with mass tourism. Said one resident: “The city has become ugly. It’s lost its soul.”

Venice, which spreads across more than 100 small islands in the lagoon, attracted an estimated 30 million visitors in 2019. However, these crowds provide little value for the local economy. Three-quarters of the tourists stay for just a few hours and spend an average 13 euros on souvenirs. Artisans are struggling to compete with the influx of cheaper products made abroad, especially in China, and many can’t afford rents that have been driven up by real-estate speculation. Skilled craftspeople in the city’s historical area have dropped by half since the 1970s. It is the same disaster on the nearby island of Murano, where the number of people working to produce the lovely hand-blown vases and figurines has also halved, partly due to the impact of counterfeit products from Eastern Europe, China and India. The floods, which have become more frequent, disrupt Venice’s rhythm, suspending Vaporetto boat lines that connect stops on the Grand Canal to outlying sites like Murano, Burano and island of Lido.

As I put it before, on November 12th, 2019, Venice’s “acqua alta” reached 184 centimetres. It was generated by a combination of rising tides and powerful winds.  City officials estimated the damage at about 1 billion euros. Climate change is blamed for the disaster. One official said: “The storm brought home the reality of the situation. Venice is close to falling off the precipice. There’s no control room.”

About 1,000 residents leave every year, and about 50,000 people now call the lagoon home. The former city-state has been governed together with its larger mainland neighbour Mestre since they were linked in 1926 by Mussolini. Activists say the city’s issues are so unique that it needs to be separate. Venetians will be asked to vote on a referendum to give the community its own administrative structure, but it is non-binding and opposed by the mayor who has called the effort “folly” because it risks creating bureaucratic bottlenecks and discouraging investment.

That puts more focus on the MOSE anti-flooding project. Embroiled in several corruption probes, the 5.5-billion-euro system of water gates won’t be ready until 2022, more than two decades after construction began. And it is said to be useless in stopping rising tides.

Source: Italian newspapers.

Photo: C. Grandpey

Venise (suite): Les doutes sur la capacité du projet MOSE à protéger la ville

Au fil des siècles, Venise s’est toujours adaptée aux phénomènes naturels auxquels elle a été exposée, en commençant par l’élévation du niveau de la lagune sur laquelle elle a été construite il y a plus de mille ans, mais aujourd’hui son adaptabilité est mise à rude épreuve et il n’est pas du tout certain que le projet MOSE suffira pour faire face au changement climatique actuel. C’est le point de vue d’un professeur vénitien d’économie de l’environnement et spécialiste en science et gestion du changement climatique. Il rappelle que « les événements extrêmes sont de plus en plus fréquents. La situation de ces derniers jours à Venise est semblable à celle provoquée en 2018 par la tempête Vaia qui a frappé l’Italie fin octobre, avec de graves dégâts en Vénétie. Venise a subi de fortes précipitations associées à un fort sirocco. Sur une période de mille ans, un phénomène comme celui-ci s’est produit plusieurs fois, mais le fait qu’il survienne deux années de suite est significatif « .
Au cours des dernières décennies, le niveau de l’eau a augmenté en moyenne de 5,6 millimètres par an. Au phénomène mondial d’élévation du niveau de la mer s’ajoutent à Venise les phénomènes naturels qui ne concernent que son lagon et d’autres facteurs provoqués par l’action humaine, tels que l’encrassement des canaux et l’exploitation de la nappe phréatique. La ville s’est toujours adaptée à ces changements, mais son adaptabilité a une limite ; elle ne peut plus désormais suivre l’accélération des phénomènes ».
Les travaux pour la réalisation du MOSE, Module électromécanique expérimental ont débuté en 2003 sous le gouvernement Berlusconi. Il s’agit d’un système de cloisons qui sépare la lagune de Venise de la Mer Adriatique et qui est censé empêcher les hautes eaux d’atteindre la ville. Il s’agit d’un ouvrage dont le coût atteint quelque 7 milliards d’euros. Il n’est pas encore terminé et beaucoup de spécialistes pensent qu’il sera inadapté à la gestion des grandes marées. En particulier, il ne tient pas suffisamment compte du facteur vent, celui qui a récemment accru l’effet du phénomène. De plus, les travaux effectués pour la construction du MOSE ont à leur tour provoqué un changement sur les marées affectant le Lido: elles sont maintenant plus rapides, l’eau monte plus vite et les courants sont plus forts.

De plus, beaucoup de Vénitiens ont une dent contre le projet MOSE parce qu’il a drainé la plupart des fonds qui servent normalement à nettoyer les canaux et à faire tout ce qui est nécessaire pour que la ville soit prête à affronter l’acqua alta. Depuis une vingtaine d’années, on ne procède plus à l’entretien des canaux qui était financé par les fonds octroyés par la loi spéciale promulguée juste après la crue de novembre 1966.

Source : Presse italienne.

Vue du système MOSE à Bad-Ems en Allemagne (Source: Wikipedia)