Le permafrost est un puissant émetteur de carbone // Permafrost is a powerful carbon emitter

Quand je lis le titre d’un article publié sur le site web de la revue GEO, je me dis qu’il reste beaucoup à faire pour faire prendre conscience des effets du réchauffement climatique.

L’article est intitulé : « A cause du changement climatique, le sol gelé de l’Arctique serait devenu un émetteur de carbone. » Je suis désolé, mais l’utilisation du conditionnel est une grave erreur. Cela fait longtemps que j’attire l’attention sur les émissions de gaz à effet de serre (gaz carbonique et méthane) par le sol de la toundra, que ce soit en Sibérie, au Canada ou en Alaska.

L’auteur de l’article prend des précautions bien inutiles. Il écrit qu’« une nouvelle étude suggère qu’à cause de la hausse de températures, le sol gelé de l’Arctique serait devenu un émetteur de dioxyde de carbone. En hiver, il libèrerait désormais plus de gaz que les plantes de la région ne peuvent en absorber durant l’été. » Pas de doute possible, GEO est très en retard sur la réalité !

En lisant l’article, j’ai l’impression de lire un condensé des notes diffusées de puis des mois sur mon blog à propos de la fonte du permafrost, ou pergélisol. On nous rappelle que le sol arctique gelé en permanence constitue 24% des terres émergées de l’hémisphère nord et recouvre plus de 20 millions de kilomètres carrés. Depuis des dizaines de milliers d’années, les régions arctiques capturent le gaz carbonique pour le piéger en profondeur. D’après une étude parue en 2015, le pergélisol recèle quelque 1.700 milliards de tonnes de CO2, soit deux fois plus que la quantité présente dans l’atmosphère. A cause du changement climatique et de l’augmentation des températures, le pergélisol est maintenant devenu un émetteur de carbone. Il libère plus de CO2 en hiver que les plantes de la région ne peuvent en absorber durant l’été.

Jusqu’à ces dernières années, on pensait que la libération de carbone s’interrompait en hiver parce que les sols restaient gelés et que les bactéries n’étaient pas actives, mais des études récentes ont prouvé le contraire.

Comme je l’ai indiqué dans une note précédente, les scientifiques ont placé des capteurs de dioxyde de carbone au niveau de plus de 100 sites répartis à travers l’Arctique. D’octobre à avril, ces dispositifs ont collecté plus de 1.000 mesures qui ont permis d’évaluer les émissions de CO2 au niveau du pergélisol et d’établir des modèles. Les chercheurs ont constaté que la libération de CO2 varie selon le type de végétation mais est deux fois plus importante qu’évaluée par de précédentes études.

Pour calculer l’évolution du phénomène au fil des décennies, les scientifiques ont étendu les prédictions de leur modèle en considérant les conditions plus chaudes établies pour 2100 par différents scénarios du GIEC. Dans un scénario modéré où des efforts seraient mis en place, les émissions du pergélisol pourraient augmenter de 17%. En revanche, si aucun effort n’est mené, le phénomène pourrait croître de 41%.

L’article de GEO fait toutefois remarquer que cette étude n’est pas la première à dénoncer les conséquences de la fonte du pergélisol pour le climat. Les sols gelés de l’Arctique sont déjà qualifiés par certains de « bombe à retardement climatique », en raison de la quantité de méthane (CH4) qu’ils recèlent et peuvent libérer. Les cratères creusés dans la toundra sibérienne par les explosions de méthane sont la preuve de la puissance explosive de ce gaz dont le potentiel de réchauffement est environ 30 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone.

Pour terminer, l’article oublie de mentionner les conséquences que la fonte du permafrost pourrait avoir pour la santé. En fondant, le sol gelé risque de libérer des bactéries restées prisonnières pendant des décennies, voire des siècles. L’épidémie d’anthrax qui a touché des éleveurs de rennes en Sibérie il y a quelque mois n’est peut-être pas étrangère à ce phénomène.

Source : GEO.

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When I read the title of an article published on the website of the GEO magazine, I tell myself that much remains to be done to raise awareness of the effects of global warming.
The article is entitled: “Because of climate change, frozen ground in the Arctic may have become a carbon emitter.” I’m sorry, but using “may” is a big mistake. It has been a long time since I brought attention to greenhouse gas (carbon dioxide and methane) emissions from tundra soils, whether in Siberia, Canada or Alaska.
The author of the article takes useless precautions. He writes that « a new study suggests that because of rising temperatures, the frozen ground of the Arctic may have become a carbon dioxide emitter. In winter, it is likely to release more gas than plants in the region can absorb during the summer. No doubt, GEO is way behind reality!
While reading the article, I have the impression to read a summary of the posts released for months on my blog about the melting of permafrost. We are reminded that the permanently frozen Arctic soil constitutes 24% of the northern hemisphere’s land surface and covers more than 20 million square kilometres. For tens of thousands of years, Arctic regions have captured carbon dioxide to trap it at depth. According to a study published in 2015, permafrost contains some 1,700 billion tonnes of CO2, twice as much as the amount in the atmosphere. Due to climate change and increasing temperatures, permafrost has now become a carbon emitter. It releases more CO2 in winter than plants in the region can absorb during the summer.
Until recently, it was thought that carbon release stopped in the winter because soils remained frozen and bacteria were not active, but recent studies have shown the opposite.
As I mentioned in a previous posts, scientists have placed carbon dioxide sensors at more than 100 sites across the Arctic. From October to April, these devices collected more than 1,000 measurements that made it possible to evaluate CO2 emissions at the level of permafrost and to establish models. The researchers found that CO2 release varies by vegetation type, but is twice as large as assessed by previous studies.
To calculate the evolution of the phenomenon over decades, scientists have extended the predictions of their model by considering the warmer conditions set for 2100 by different IPCC scenarios. In a moderate scenario where efforts would be put in place, permafrost emissions could increase by 17%. On the other hand, if no effort is made, the phenomenon could grow by 41%.
However, the GEO article notes that this study is not the first to denounce the consequences of melting permafrost for the climate. The frozen soils of the Arctic are already qualified by some of the « climate time bomb » because of the amount of methane (CH4) they contain and can release. The craters dug in the Siberian tundra by methane explosions are proof of the explosive power of this gas whose potential for warming is about 30 times higher than that of carbon dioxide.
Finally, the article fails to mention the consequences that the melting of permafrost could have for health. By melting, frozen soil may release bacteria that have been trapped for decades or even centuries. The anthrax epidemic that affected reindeer herders in Siberia a few months ago may be linked to this phenomenon.
Source: GEO.

Photo: C. Grandpey

Source: The Siberian Times

Fonte du permafrost et son effet sur le budget carbone // Permafrost melting and its effect on the carbon budget

Une nouvelle étude publiée dans Nature Geoscience  a évalué l’impact de la fonte du permafrost sur les budgets d’émission de CO2 alors que le monde semble se rapprocher plus vite que prévu du dépassement des objectifs de l’Accord de Paris sur le climat.

Le pergélisol, ou permafrost, occupe une grande partie du Groenland, de l’Alaska, du Canada et de la Russie. Au total, il couvre un cinquième des terres émergées de la planète. Le permafrost contient du carbone qui s’est accumulé dans le sol pendant des dizaines, voire des centaines de milliers d’années. Jusqu’à présent, le sol gelé en permanence avait retenu ce carbone qui représente trois à sept fois la quantité de carbone retenue dans les forêts tropicales. Le problème à l’heure actuelle, c’est que la couche supérieure du pergélisol dégèle périodiquement en été, avec une accélération du phénomène liée à l’augmentation des températures.

La dernière étude montre comment le réchauffement climatique, en favorisant le dégagement de carbone du pergélisol, diminue  la quantité de CO2 que l’humanité peut se permettre d’émettre. Bien que le rapport le plus récent du GIEC ait reconnu que le pergélisol se réchauffait, les modèles climatiques n’ont pas pris en compte ces émissions lors des projections climatiques.

L’intérêt de la nouvelle étude est d’affirmer que le risque sera encore plus important si les objectifs d’émissions sont dépassés, même ponctuellement. L’Accord de Paris reconnaît explicitement une trajectoire de dépassement, culminant d’abord sous les 2°C, et avec des efforts par la suite pour revenir à 1,5°C. Le problème avec cette stratégie, c’est que, pendant la période de dépassement, la hausse des températures provoquera un dégel du pergélisol. Cela entraînera la libération d’un surplus de carbone qui devra être éliminé de l’atmosphère pour que la température mondiale diminue.

Les budgets d’émission sont définis comme la quantité cumulée d’émissions anthropiques de CO2 compatibles avec une cible de changement de température globale, en l’occurrence 1,5 et 2°C. Inclure les émissions du dioxyde de carbone (CO2) et de méthane (CH4) sur les budgets d’émission par dégel du pergélisol change la donne.

Il est difficile pour les scientifiques de déterminer les proportions relatives des émissions de dioxyde de carbone et de méthane qui pourraient résulter du dégel du pergélisol à grande échelle. La contribution spécifique des émissions de CH4 représente 5 à 35% de l’effet total du pergélisol en fonction de la température cible et du parcours pour atteindre l’objectif. Dans les scénarios de dépassement, le CH4 joue un rôle moins important, car la cible est atteinte plus tard et le CH4 est un gaz à effet de serre à durée de vie relativement courte.

Le rythme actuel d’émissions est de 10 GtC par an ou 40 GtC02. Une libération de 150 GtCO2 due au permafrost reviendrait à réduire le budget de 4 années. Le pergélisol dégèle déjà à certains endroits et si le problème se propage, les scientifiques craignent que le réchauffement climatique ne s’emballe, davantage de dégel favorisant encore plus de hausse des températures…

Il y a aussi de grandes incertitudes quand à l’effet à long terme du permafrost, c’est à dire pour les siècles à venir. Au final, le réchauffement de la planète dû au dégel du pergélisol dépendra de la quantité de carbone libérée, de sa rapidité et de sa forme sous forme de CO2 ou de méthane. L’impact pourrait être beaucoup plus important après 2100 en fonction des scénarios d’émissions.

Source : Nature Geoscience.

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A new study published in Nature Geoscience has assessed the impact of permafrost melting on CO2 emission budgets. The world seems to be moving faster than expected to exceed the objectives of the Paris Agreement on Climate Change.
Permafrost covers a large part of Greenland, Alaska, Canada and Russia. In total, it spreads over one-fifth of the earth’s land surface. The permafrost contains carbon that has accumulated in the soil for tens or even hundreds of thousands of years. So far, the permanently frozen ground has avoided the release of this carbon which is three to seven times the amount of carbon retained in tropical forests. The problem at present is that the upper permafrost layer thaws periodically in summer, with an acceleration of the phenomenon related to the increase in temperatures.
The latest study shows how global warming, by promoting the release of carbon from the permafrost, reduces the amount of CO2 that humans can afford to emit. Although the most recent IPCC report acknowledged that permafrost was melting, its climate models did not take these emissions into account in climate projections.
The interest of the new study is to show that the risk will be even greater if the emission targets are exceeded, even punctually. The Paris Agreement explicitly admitted an excess path, culminating first below 2°C and then continuing efforts to return to 1.5°C. The problem with this strategy is that, during the exceedance period, rising temperatures will cause the thawing of permafrost carbon. This will result in the release of a surplus of carbon that will have to be removed from the atmosphere in order to reduce the global temperature.
Emission budgets are defined as the cumulative amount of anthropogenic CO2 emissions that are compatible with an overall temperature change target of 1.5 and 2°C. Including emissions of carbon dioxide (CO2) and methane (CH4) caused by the thawing of permafrost in emission budgets is a game changer.
It is difficult for scientists to determine the relative proportions of carbon dioxide and methane emissions that could result from large-scale permafrost thaw. The specific contribution of CH4 emissions accounts for 5 to 35% of the total effect of permafrost depending on the target temperature and route to achieve the goal. In exceedance scenarios, CH4 plays a less important role because the target is reached later and CH4 is a relatively short-lived greenhouse gas.
The current rate of emissions is 10 GtC per year, or 40 GtCO2. A release of 150 GtCO2 due to permafrost would reduce the budget by 4 years. Permafrost is already thawing in some places and if the problem is spreading, scientists are worried that global warming will get worse, with more thaw to further increase temperatures …
There is also a great uncertainty about the long-term effect of permafrost, ie for centuries to come. This is because in the end, global warming due to permafrost thaw will depend on the amount of carbon released, its speed and its form in the form of CO2 or methane. The impact could be much larger after 2100 depending on the emissions scenarios.
Source: Nature Geoscience.

Carte montrant l’étendue du permafrost dans l’Arctique

(Source: National Snow and Ice data Center)

 

J’ai attiré l’attention sur les conséquences de la fonte du permafrost dans un chapitre de mon dernier livre « Glaciers en péril » que l’on peut se procurer en me contactant directement par mail: grandpeyc@club-internet.fr

La fonte de l’Arctique s’accélère // Arctic is melting faster and faster

drapeau francaisCette note ne concerne pas les volcans mais aborde un sujet auquel je suis très sensible. En effet, j’ai vu à quelle vitesse les glaciers fondent à travers le monde et je pense qu’il est grand temps que nos gouvernants prennent des mesures draconiennes pour enrayer la catastrophe qui nous menace. Si on ne fait rien, je suis certain que mes enfants et petits-enfants devront faire face à un avenir sombre avec une longue liste de désastres naturels.

Peter Wadhams, professeur de mathématiques appliquées et de physique théorique à l’Université de Cambridge (Angleterre) prédit un Océan Arctique « libre de glace » en l’an 2020. C’est environ deux décennies plus tôt que le prévoyaient divers modèles de réchauffement climatique. C’est une bonne nouvelle pour les Etats-Unis et la Russie qui pourront ouvrir de nouvelles voies commerciales et n’hésiteront pas à exploiter les ressources naturelles – en particulier le pétrole et le gaz naturel – qui se cachent sous la glace de l’Arctique.

Ce spécialiste de physique des mers septentrionales a étudié des données sur ​​l’étendue de la glace qui recouvre l’Arctique, mais aussi sur l’épaisseur de cette glace. Ce dernier paramètre est fourni par les sous-marins qui vont effectuer des mesures sous-glaciaires chaque année depuis 1979. Elles montrent que le volume de glace est en baisse constante et rien ne semble pouvoir l’empêcher de se réduire à zéro.
« Libre de glace » ne signifie pas forcément que l’Arctique va ressembler la Mer Baltique en été. L’expression s’appuie sur la quantité de glace qui apparaît dans un certain nombre de cases quand on observe l’Arctique depuis l’espace. Un Arctique « libre de glace », tel qu’il est défini par les scientifiques, resterait recouvert de plaques de glace en train de flotter pendant l’été, mais cette glace morcelée permettrait à des navires de se frayer un chemin à travers elle.

Un autre problème lié à la fonte des glaces dans l’Arctique est l’émission de méthane (CH4) suite à la fonte du pergélisol (également appelé permafrost) qui va fortement accélérer le réchauffement climatique. Le méthane est un gaz à effet de serre qui est environ 30 fois plus efficace pour retenir la chaleur sur Terre que le dioxyde de carbone dans l’atmosphère, CO2 en provenance des maisons, des véhicules automobiles et des entreprises du monde industriel moderne.
Il y a d’énormes quantités de méthane emprisonnées dans le sol gelé ou sous les mers de l’Arctique, mais la situation est en train d’évoluer dangereusement car le pergélisol est également en train de fondre en mer. Au cours du dégel, le méthane envoie des bulles à la surface. Les scientifiques russes indiquent que des volumes considérables de CH4 se sont probablement déjà échappés dans l’atmosphère. A l’Université de l’Alaska à Fairbanks, un professeur a montré samedi dernier au cours d’un forum des photos d’un étudiant en train d’enflammer un gros panache de gaz sortant de la glace. On a estimé qu’il pourrait y avoir 500 fois plus de méthane piégé sous l’Arctique qu’actuellement dans l’atmosphère.

Il serait grand temps que les hommes politiques de notre planète décident si les intérêts économiques doivent être plus importants que ceux liés à l’environnement et s’il faut continuer à faire la politique de l’autruche au lieu de prendre en compte les vrais problèmes!
Source: Alaska Dispatch News.

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drapeau anglaisThis is not about volcanoes but about a topic to which I’m very sensitive. Indeed, I have seen how fast glaciers are melting around the world and I think it is high time our governments take drastic measures to stop the disaster. If nothing is done, I’m sure my children and grandchildren will have to face a dark future with a long list of natural catastrophes.

One of the leading authorities on the physics of northern seas is predicting an “ice-free” Arctic Ocean by the year 2020. That’s about two decades sooner than predicted by various models for climatic warming. This is good news for the U.S. and Russia that will be able to develop new commercial routes and will not hesitate to exploit the natural resources – especially oil and natural gas – that are currently hidden beneath Arctic ice.

Peter Wadhams, professor of applied mathematics and theoretical physics at the University of Cambridge in England has studied data not only on the extent of ice covering the Arctic, but on the thickness of that ice. The latter comes from submarines that have been beneath the ice collecting measurements every year since 1979. This data shows the ice volume is steadily decreasing and there doesn’t seem to be anything to stop it from going down to zero.
« Ice-free » does not exactly mean the Arctic is going to look like the Baltic Sea in summer. It is based on the amount of ice found in a number of grids when looking at the Arctic from space. An « ice-free » Arctic, as defined by scientists, would remain full of floating ice in the summer, but this ice would be broken up enough that a ship could push its way through it.

Another problem linked with the melting of the ice in the Arctic is the release of methane gas from thawing permafrost that will greatly accelerate global warming. Methane is a greenhouse gas said to be about 30 times more efficient in trapping heat on Earth than the carbon dioxide pouring into the atmosphere from the homes, motor vehicles and businesses of the modern industrial world.
There is a lot of methane locked in the frozen ground or beneath the seas in the Arctic, but that is changing. Offshore permafrost is thawing. As it thaws, methane bubbles to the surface. Russian scientists report that significant volumes appear to have already escaped into the atmosphere. A University of Alaska Fairbanks professor at one forum Saturday showed photos of a student lighting off a big plume of the gas bubbling out of the ice. It has been estimated there might be 500 times as much methane trapped beneath the Arctic as there is currently in the atmosphere.

Politicians on Earth need to decide whether economic interests should be given a priority to environmental ones and if they should keep burying their heads in the sand instead of looking at the real problems!

Source: Alaska Dispatch News.

Groenland-blog

Débâcle au Groenland  (Photo:  C. Grandpey)