Les sargasses pourrissent la vie à la Martinique (suite)

Le 17 juin 2025, j’ai publié une note expliquant à quel point les algues sargasses envahissent la Caraïbe, en particulier l’île de la Martinique.

Le 20 juin, un article richement illustré, paru sur le site Martinique la 1ère, confirme l’ampleur du problème. Outre la commune du Robert, celles de Marigot et Sainte-Marie font face à un véritable désastre dont personne ne voit la fin. Rappelons que la prolifération des sargasses est liée au réchauffement des eaux océaniques.

https://la1ere.franceinfo.fr/martinique/sainte-marie-martinique/en-images-invasion-des-sargasses-en-martinique-paysage-de-desolation-au-marigot-et-a-sainte-marie-1597266.html

Photo: C. Grandpey

Les sargasses envahissent toujours la Martinique

Suite à plusieurs visite sur l’île antillaise, j’ai expliqué dans plusieurs notes sur ce blog que depuis 2011 la Martinique est confrontée à des échouements massifs et répétés d’algues sargasses le long de ses côtes, majoritairement le long de la côte Atlantique, mais la côte caraïbe a également été impactée ces dernières semaines. Les communes de Bellefontaine et Saint-Pierre sont particulièrement touchées, avec une accumulation importante sur leurs fronts de mer. Cette situation affecte considérablement les activités des professionnels de la mer.

Actuellement, 12 communes sont régulièrement touchées, affectant près de 120 000 habitants, soit près d’un tiers de la population de l’île. Malgré les efforts pour limiter l’accumulation, tels que la collecte en mer et le nettoyage des plages, les échouements continuent d’augmenter, entraînant des conséquences écologiques, économiques et sanitaires préoccupantes. Les moyens mis en place ne permettent pas d’apporter une prise en charge suffisante à la population exposée, notamment en ce qui concerne les personnes vulnérables (jeunes enfants, personnes âgées, femmes enceintes), ou personnes à mobilité réduite. En effet, la toxicité aiguë liée à la décomposition de ces algues, notamment les émissions d’hydrogène sulfuré (H2S) et d’ammoniaque (NH3), est bien connue.

D’un point de vue sanitaire, c’est la commune du Robert qui est la plus sévèrement impactée. Depuis 2015, la communauté scolaire du collège Robert 3 (Pontalery) est impactée par les échouements sargasses, avec plusieurs fermetures et délocalisations de l’établissement lors d’épisodes intenses du phénomène. Le jeudi 10 avril 2025, le collège Robert 3 a de nouveau fermé ses portes suite à un nouvel épisode d’échouement massif d’algues sargasses sur le rivage à Pontalery, non loin de l’établissement. L’odeur insupportable des algues brunes en décomposition, la détérioration de l’état de santé de certains membres de la communauté scolaire (élèves et enseignants) et le débrayage (droit de retrait) du personnel enseignant le 9 avril 2025 ont mené à cette fermeture. Une pétition en ligne a été lancée par la communauté scolaire le 9 avril 2025, afin d’exprimer au rectorat et à la mairie, les préoccupations croissantes face à la prolifération et l’invasion de sargasses. Depuis le 9 avril 2025, et malgré le déploiement d’un nouveau barrage bloquant « anti-sargasses » au niveau de Pontalery, le collège Robert 3 reste fermé. Le 15 juin 2025, afin de protéger les enfants, le maire du Robert a pris la décision en accord avec le rectorat, de fermer les écoles suivantes : élémentaire « Edgard LABOURG » de Four à Chaux, maternelle « LES CORAUX » de Cité La Croix, élémentaire « Emile CAPGRAS » de Pointe Lynch à compter de mardi 17 juin 2025. Le maire justifie ce choix par le manque de solutions « face aux arrivages de plus en plus intenses d’algues sargasses ». En effet, « un échouage encore plus volumineux des algues sargasses sur le littoral a été constaté le dimanche 15 juin ».

Dans ce contexte d’envahissement des littoraux martiniquais par les algues sargasses, un Comité Indépendant d’Experts a été instauré le 28 avril 2025, sous la coordination scientifique et médicale du Pr Dabor RESIERE (toxicologue et réanimateur, CHU Martinique) et constitué de 20 membres experts de disciplines diverses. Ce Comité Indépendant a été mis en place sur initiative du Directeur Général de l’ARS de Martinique et du Président du Conseil Exécutif de la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM). Dans un premier temps, sur la base de son expertise médicale et scientifique, la mission prioritaire du Comité était de contribuer à la prise de décision éclairée des différents acteurs du territoire, face à plusieurs enjeux prioritaires identifiés, notamment concernant le collège Robert 3 et les autres établissements impactés de la commune du Robert.

On vient de le voir avec les établissements scolaires du Robert, des décisions ont effectivement été prises, mais le problème – sanitaire en particulier – des sargasses est loin d’être résolu. Comme je l’ai rappelé pour Mayotte, la Martinique est un département français au même titre que les Alpes-Maritimes. Je me demande comment réagiraient les autorités métropolitaines si des bancs de sargasses apparaissaient le long du littoral de la Côte d’Azur à la veille de la saison touristique… En fait, je connais déjà la réponse !

Sources : CTM, CHU et ARS de la Martinique, Martinique la 1ère. (Photos: C. Grandpey)

Îles volcaniques : Antilles, Polynésie, Réunion

On a pu lire le 30 novembre 2024 sur le site Guadeloupe la 1ère un article consacré à la surveillance des volcans des Petites Antilles, de l’archipel de la Société en Polynésie ou de l’île de La Réunion. Au travers de leurs éruptions, ils ont influencé la géographie, l’histoire et l’identité de ces régions. Aujourd’hui, les scientifiques cherchent à anticiper les éventuels aléas déclenchés par ces géants. Nous ne savons pas prévoir mes éruptions, mais les instruments dont sont truffés ces volcans permettent de mieux comprendre, voire d’anticiper, leur comportement.

L’article rappelle que dans l’arc insulaire des Petites Antilles, émergé il y a plusieurs millions d’années grâce à la subduction de la plaque Amérique sous la plaque Caraïbe, tous les sommets sont d’origine volcanique. Près de vingt volcans sont considérés comme actifs dans les Petites Antilles.

On se souvient que l’île de Montserrat a été profondément affectée par le réveil du volcan Soufrière Hills en 1995, avec l’évacuation d’une partie de la population. En 1997, plusieurs éruptions ont ravagé l’aéroport. Plymouth, la capitale a été détruite et recouverte de cendres à 80%. Une grande partie de l’île est désormais une zone d’exclusion. En février 2010, une explosion a provoqué des nuées ardentes et un panache de cendres qui a atteint les îles voisines de la Guadeloupe et d’Antigua.

Crédit photo: Wikipedia

Une autre Soufrière domine la Guadeloupe. Le volcan a connu sa dernière activité importante en 1976-1977. En 1976, 70 000 personnes ont été déplacées à tort par ordre préfectoral, sur recommandation de Claude Allègre qui avait profité de l’absence d’Haroun Tazieff, alors en Équateur, pour interpréter faussement les résultats de l’équipe du volcanologue français. 25 000 avaient anticipé une possible catastrophe et trouvé refuge sur Grande-Terre. Beaucoup ne reviendront pas.

Crédit photo: Wikipedia

L’éruption la plus dramatique a été celle de la Montagne Pelée en 1902 à la Martinique. Ce réveil tragique a détruit Saint-Pierre et tué pas moins de 28 000 personnes. C’est l’éruption la plus meurtrière du 20ème siècle. À noter qu’elle a occulté une éruption du Santa Maria qui a eu lieu au même moment au Guatemala et qui a tué quelque 5 000 personnes. L’éruption de la Pelée a été remarquablement narrée par Alfred Lacroix dans son ouvrage Les éruptions de la Montagne Pelée. Il a été le premier à décrire avec précision le déroulement des coulées pyroclastiques. De nos jours, le volcan est surveillé par les scientifiques de l’Observatoire volcanologique et sismologique de la Martinique (OVSM).

Photo: C. Grandpey

La Dominique héberge neuf volcans actifs, dont le Morne aux Diables et le Morne Trois Pitons. L’activité volcanique a créé des sources chaudes. Le Boiling Lake est l’un des rares cratères bouillonnants au monde. Ravagée par d’autres catastrophes naturelles telles que les ouragans, « l’île nature des Caraïbes » se reconstruit. Les habitants acceptent avec fatalisme une prochaine catastrophe inéluctable.

Crédit photo: Geology Science

S’agissant de la Caraïbe, j’ajouterai Kick ’em Jenny, volcan sous-marin actif situé au fond de la mer des Caraïbes, à 8 km au nord de l’île de Grenade. L’édifice s’élève à 1 300 m au-dessus du fond de la mer. La première éruption historique ce volcan date de 1939 avec un nuage de vapeur et de débris et une série de tsunamis d’environ deux mètres de hauteur qui ont frappé les côtes du nord de la Grenade et du sud des Grenadines. Les habitants de la Caraïbe sont intrigués par ce volcan et m’ont posé plusieurs questions à l’issue de ma dernière conférence au CDST de Saint Pierre.

Source: Smithsonian Institution

L’île de La Réunion dans l’océan Indien et les îles de l’archipel de la Société en Polynésie française connaissent un autre contexte géologique. Elles sont situées sur des zones de points chauds où le magma remonte du manteau terrestre et perce la croûte océanique, créant ainsi des volcans qui émergent de l’océan et qui, peu à peu avec l’aide de l’érosion, disparaissent sous la surface de l’océan. Les récifs coralliens qui les entourent forment un anneau de corail créant un atoll.

Le Piton de la Fournaise entre régulièrement en éruption à La Réunion. C’est l’un des volcans les plus actifs de la planète. Les éruptions peuvent s’observer de loin – de trop loin selon beaucoup de gens – et elles attirent des foules de spectateurs fascinés par la beauté des colères de la Terre.

Photo: C. Grandpey

Vers une valorisation des sargasses?

A l’issue de plusieurs voyages à la Martinique, j’ai attiré l’attention sur la prolifération des sargasses dans la Caraïbe. Ces algues brunes dont les échouements sont de plus en plus fréquents se propagent rapidement à la surface de l’océan dont la température augmente à cause du réchauffement climatique. Au départ observées uniquement sur la façade atlantique, les sargasses ont atteint le côté caraïbe. Elles entraînent des problèmes économiques et sanitaires. J’ai expliqué que l’hydrogène sulfuré attaque les peintures à l’intérieur des maisons et incommode fortement la population qui souffre de maux de tête, picotements de gorge, larmoiements et évanouissements dans les cas les plus extrêmes. Des médecins du CHUM (Centre Hospitalier Universitaire de Martinique) viennent de mener une étude auprès de certains habitants d’un quartier du François afin de connaître l’impact des sargasses sur la santé des personnes. Toujours au François, l’une des zones les plus impactées, les sargasses perturbent le marché immobilier. Il est difficile de vendre un bien dans un secteur victime d’une pollution visuelle et olfactive.

Les algues venues s’échouer sur le rivage sont évacuées de temps en temps, mais lors de mon dernier voyage avant la crise sanitaire personne n’a su me dire où elles étaient entreposées. Un habitant m’a fait remarquer qu’on devait pouvoir les traiter et en faire des engrais. L’idée me semblait effectivement intéressante.

Aujourd’hui les sargasses sont au coeur d’un projet de recherche et de valorisation, le Save C. Alors que dans le Nord de l’Europe ou au Mexique, elles sont déjà traitées et utilisées comme biomatériaux, en France l’industrie de transformation est presque inexistante.

La valorisation des sargasses est prouvée scientifiquement. Elles peuvent entrer dans la construction des maisons, dans des systèmes d’isolation de bâtiments ou encore des panneaux solaires capables de capturer le dioxyde de carbone. La composition de ces algues marines permet de les transformer en fibres, un éco-matériau déjà utilisé dans certains pays du Nord de l’Europe qui se servent des sargasses échouées pour la fabrication de maisons ou de toits de bâtiment. De manière presque paradoxale, la Hollande va créer une culture de sargasses.

Le projet Save C aux Antilles vise essentiellement deux secteurs de valorisation des sargasses, la production de biomatériaux et l’agriculture où ces algues peuvent être utilisées comme biostimulants. En Martinique, un centre funéraire se prépare à exploiter les sargasses pour la fabrication de cercueils en bio-carton.

La transformation industrielle de ces algues brunes demande d’importants financements et l’identification de secteurs qui peuvent utiliser de la matière sargasse. C’est l’autre mission du projet Save C.

Source: Martinique la 1ère.

Photo: C. Grandpey