Réchauffement climatique : laves torrentielles de plus en plus fréquentes

Avec le réchauffement climatique, une expression est en train de devenir à la mode : lave torrentielle.

Pour le volcanophile (parfois volcanologue) qui sommeille en moi, elle évoque inévitablement les lahars, ces coulées de boue qui, au moment des fortes pluies de la mousson, remobilisent les matériaux déposés par les éruptions volcaniques. Ces lahars se produisent essentiellement dans les pays comme l’Indonésie ou les Philippines où entrent en éruption des volcans explosifs qui vomissent d’énormes panaches de cendres.

Aujourd’hui, parmi les événements extrêmes – ceux qui font dire aux habitants « Du jamais vu ! » – provoqués par le réchauffement climatique figurent des phénomènes qui ressemblent fortement aux lahars asiatiques. Déclenchés par de violents orages, des torrents de boue charrient des blocs, des arbres et toutes sortes de matériaux, et dévalent les pentes à des vitesses relativement élevées. En France, on les a baptisés « laves torrentielles ». Je trouve l’expression assez bien choisie car elle évoque tout de suite quelque chose de concret.

Les géologues nous expliquent que les laves torrentielles se forment généralement dans les lits de cours d’eau ou les ravins dont la pente est supérieure à 25%. Cependant, il est pratiquement impossible de savoir à l’avance où elles se produiront. Dans les Alpes, elles peuvent charrier jusqu’à un demi-million de mètres cubes de matériaux. Chaque année, elles causent des dégâts importants et coûteux..

Avec l’accélération du réchauffement climatique, les laves torrentielles sont de plus en plus fréquentes. Des mesures de protection de la population et des infrastructures sont donc indispensables, en particulier dans les zones déjà impactées ou considérées comme à risque. Selon les scientifiques, il existe deux solutions : les systèmes d’alerte et les ouvrages de défense architecturale. S’agissant des systèmes d’alerte, l’un d’eux reconnaît une lave torrentielle en cours grâce à des instruments installés dans le lit du cours d’eau ou sur les berges. Des cordes métalliques se rompent au passage des matériaux, tandis que des capteurs enregistrent les ondes qui se propagent dans le sol. Toutefois, ces systèmes présentent parfois des failles et demandent à être améliorés. Le problème réside souvent dans le laps de temps très bref entre le moment où le signal d’alerte est envoyé et le moment où le torrent de boue arrive dans la vallée.

La dernière lave torrentielle a été observée dans la vallée de la Maurienne le 2 juillet 2025. Un violent orage a provoqué le débordement du torrent du Charmaix et un flot de boue a envahi les rues de Modane, causant de gros dégâts matériels, mais heureusement aucune victime.

Au cours des dernières années, les violents orages en montagne ont déclenché des coulées de boue. Il suffit de mentionner celle qui, dans la nuit du 20 au 21 juin 2024, a ravagé le hameau de la Bérarde (Isère). Elle est décrite dans mes notes du 10 juillet et 12 octobre 2024.

En Suisse, plusieurs laves torrentielles ont frappé les Grisons, le Tessin et le Valais entre la mi-juin et le début du mois de juillet 2024. Mais c’est le 23 août 2017 que s’est produite l’une des laves torrentielles les plus meurtrières. Environ 3,1 millions de mètres cubes de roche se sont abattus depuis le Pizzo Cengalo dans le Val Bondasca (Grisons). L’éboulement a emporté huit randonneurs qui n’ont jamais été retrouvés. Les laves torrentielles qui ont suivi l’éboulement dans le Val Bondasca ont endommagé de nombreux bâtiments et infrastructures dans la localité de Bondo. On estime que la lave torrentielle a transporté au total environ 500 000 mètres cubes de matériaux vers Bondo où aucune perte humaine n’a été déplorée.

Effondrement au Pizzo Cengalo (source: presse suisse)

Lave torrentielle à Bondo (Source: presse suisse)

Voici un document qui explique parfaitement le déclenchement, le déroulement et les risques générés par les laves torrentielles dans nos montagnes :

https://www.savoie.gouv.fr/contenu/telechargement/26993/204436/file/10+Annexe+5.pdf

Nouveaux effondrements dans les Alpes

Il y a quelques jours, la presse suisse faisait état de la menace d’un effondrement majeur de la montagne à Blatten, dans le Valais suisse. Le village (300 personnes) avait dû être entièrement évacué, y compris les animaux de ferme. La population avait 1h30 pour empaqueter l’essentiel et quitter les domiciles. Les habitants ont été relogés dans le village voisin, Wiler, dans leur famille, ou chez des particuliers. Jusqu’à 5 millions de m3 de roches menaçaient de s’effondrer dans le secteur du Kleiner Nesthorn et du glacier Birch.

L’effondrement a effectivement eu lieu le lundi 19 mai 2025. Quelque 100 000 m3 de roches se sont décrochés du glacier Birch entre midi et 12h35. Puis, entre 150 000 et 200 000 m3 se sont détachés entre 17h et 18h. Au total, entre 350 000 et 400 000 m3 se sont détachés de la montagne et les autorités s’attendent à un événement beaucoup plus spectaculaire à très court terme. Des fissures continuent d’être observées et le risque d’un éboulement en dessous du Bietschhorn est imminent. Selon un ingénieur au service des risques naturels du canton, entre 2 et 5 millions de mètres cubes de roches pourraient dévaler en direction du village de Blatten.

Ce n’est pas la premières fois que des événements naturels majeurs se produisent dans les Alpes suisses. J’ai décrit dans ce blog la lave torrentielle qui a emporté 3 millions de m3 de roches et dévasté le petit village de Bondo, dans les Grisons, le 23 août 2017. L’événement avait fait huit morts pour ce qui demeure aujourd’hui le pire événement du genre en Suisse.

À Blatten, un éboulement dans la région du «Petit Nesthorn», avait également entraîné une partie du glacier de Birch. Il avait déclenché une lave torrentielle la semaine précédente. Elle s’était arrêtée à environ 500 mètres en amont de la rivière Lonza, en dehors du village. Le glacier de Birch est sous surveillance depuis les années 1990. La commune pense que la fonte de la neige à partir de 2500 mètres d’altitude pourrait être à l’origine de la situation de danger actuelle.

Début mai 2025, une grosse chute de sérac a été observée au mont Blanc du Tacul dans les Alpes françaises. Quelque 60 000 m3 de glace se sont détachés vers 3750 m d’altitude. Le sérac avait déjà montré des signes de faiblesse le 26 avril. Selon le géomorphologue Ludovic Ravanel, l’événement est certes spectaculaire, mais normal, car phénomène mécanique classique d’un glacier suspendu.

Image du décrochement de la montagne au-dessus de Blatten (Source : État-major de conduite régional du Lötschental)

Village sous la menace de la montagne // Village under threat from the mountains

Voici un reportage comme je les aime, objectif et abordant les différentes facettes d’un problème.

Suite à l’effondrement du glacier de la Marmolada dans les Dolomites, plusieurs bulletins d’information ont mis l’accent sur la menace qui plane sur certains villages alpins à cause du risque d’effondrements glaciaires ou rocheux.

Les températures très élevées de ces dernières années ont fragilisé le massif alpin. Les glaciers fondent, avec une eau de fonte qui accélère leur mouvement et déstabilise parfois la masse de glace, causant de dangereux effondrements. La chaleur entraîne aussi le dégel du permafrost de roche, ce qui provoque de spectaculaires éboulements. Les matériaux ainsi accumulés sont remobilisés lors des forts orages, ce qui déclenche des événements semblables aux lahars en milieu volcanique. Dans les Alpes, on les a baptisés laves torrentielles qui peuvent être destructrices. On en a eu la preuve en août 2017 à Bondo (Grisons) où huit randonneurs ont été emportés par le flot de boue. Un événement identique s’est produit à Chamoison le 11 août 2019 dans le Valais, faisant deux victimes.

Dans les Alpes bernoises, c’est le village de Kandersteg qui est sous la menace de la montagne. Je vous invite à cliquer sur le lien ci-dessous, à lire l’article et à regarder les vidéos qui l’accompagnent. Le danger est clairement présenté, ainsi que le rôle joué par les scientifiques pour contrôler les humeurs de la montagne et essayer d’avertir la population. Le maire de Kandersteg explique les travaux mise en oeuvre pour protéger la localité. Plutôt confiant, il craint la présentation de la situation dans les médias et l’impact sur le tourisme local. Les habitants, quant à eux, ont des approches différentes, selon le degré auquel ils sont concernés. La perte de valeur d’une habitation n’est jamais la bienvenue…

https://www.rts.ch/info/regions/berne/12640060-a-kandersteg-la-grande-peur-de-la-montagne.html

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Here is the kind of report I like very much, objective and addressing the different aspects of a problem.
Following the collapse of the Marmolada glacier in the Dolomites, several news bulletins have highlighted the threat hanging over certain Alpine villages due to the risk of glacial or rock collapse.
The very high temperatures of recent years have weakened the Alpine massif. Glaciers are melting and producing meltwater that accelerates their movement and sometimes destabilizes the ice mass, causing dangerous collapses. The heat also leads to the thawing of the rock permafrost, causing dramatic landslides. The materials thus accumulated are remobilized during strong storms, which triggers events similar to lahars in a volcanic environment. In the Alps, they have been called
torrential lavas which can be destructive. We had proof of this in August 2017 in Bondo (Grisons) where eight hikers were swept away by the flood of mud. An identical event occurred in Chamoison on August 11th, 2019 in Valais, killing two people.
In the Bernese Alps, the village of Kandersteg is under threat from the mountains. I invite you to click on the link below, read the article and watch the accompanying videos. The danger is clearly presented, as well as the part played by the scientists to control the behaviour of the mountain and to try to warn the population. The mayor of Kandersteg explains the works implemented to protect the municipality. Rather confident, he fears the presentation of the situation in the media and the impact on local tourism. Residents, on the other hand, have different approaches, depending on the degree to which they are concerned.

https://www.rts.ch/info/regions/berne/12640060-a-kandersteg-la-grande-peur-de-la-montagne.html

Vue du village de Kandersteg (Crédit photo: Wikipedia)

Coulée de boue à Chamoison (Photo: C. Grandpey)

Effondrement glaciaire en Inde (suite) // Glacial collapse in India (continued)

Alors que les secouristes de l’État de l’Uttarakhand, dans le nord de l’Inde, cherchent toujours des survivants dix jours après l’effondrement glaciaire, on comprend mieux ce qui a provoqué la catastrophe. Dès le lendemain de l’événement, j’ai parlé d’un effet domino ou en cascade, une hypothèse  qui vient d’être confirmée par les scientifiques, avec la responsabilité sous-jacente du réchauffement climatique.

Une image satellite montre que le point de départ est une cicatrice sur le mont Nanda Devi qui marque le point de décrochement du glacier. Il s’agit d’une paroi rocheuse faite de glace et de permafrost.

Une fois décrochée, la masse glaciaire est tombée vers l’aval où se trouvait un lac de fonte du glacier. Il était retenu par une moraine qui n’a pas résisté à la pression. La masse d’eau et de sédiments a alors déferlé tel un tsunami vers l’aval et percuté le barrage hydroélectrique en construction.

Les glaciologues ont baptisé « lave torrentielle » ce phénomène qui mêle glace, eau et matériaux car sa couleur noire rappelle l’écoulement de lave sur un volcan.

Selon les glaciologues indiens, les fortes chutes de neige qui ont eu lieu avant la catastrophe ont pu favoriser le décrochement du glacier. Comme je l’ai indiqué précédemment, un tel événement peut se produire en hiver. En effet, les glaciers réagissent à retardement aux températures qu’ils subissent. La pénétration de la chaleur à l’intérieur d’un glacier peut entraîner la formation de lacs interglaciaires ou sous-glaciaires susceptibles de céder ultérieurement sous la pression de l’eau. C’est ce qui s’est passé en 1892 sur le glacier alpin de Tête Rousse. La libération d’une poche d’eau de fonte a déclenché une lave torrentielle qui a tué 175 personnes dans la ville de St Gervais, située en contrebas

Les lacs de fonte glaciaire sont de plus en plus nombreux avec le réchauffement climatique, dans des zones de très hautes montagnes comme le chaîne himalayenne et la chaîne andine en Amérique du Sud.

Un autre facteur de déstabilisation est le dégel du permafrost de roche, le « ciment » qui assure la cohésion des montagnes. J’ai expliqué que ce dégel avait provoqué de graves effondrements dans les Alpes, comme le pilier Bonatti en juin 2005 et plus récemment l’Arête des Cosmiques, près de l’Aiguille du Midi. Nos Alpes ne sont pas non plus à l’abri des laves torrentielles. En août 2017, l’une d’elles a déferlé sur le village de Bondo, dans les Grisons à la frontière entre la Suisse et l’Italie. Une paroi du Piz Cengalo s’est décrochée à 3 000 m d’altitude sur le glacier. La déferlante de boue de plusieurs kilomètres a emporté huit randonneurs et causé de sérieux dégâts. Toujours en Suisse, le village de Chamoson (Valais) a lui aussi été confronté à une lave torrentielle.

Comme pour les séismes, la prévision des décrochements glaciaires est impossible. La seule solution est de surveiller attentivement les glaciers dont les effondrements peuvent menacer des vallées. On l’a vu au mois d’août 2020 quand la partie frontale du glacier de Planpincieux a menacé de s’effondrer et de mettre en danger des habitations dans le Val d’Aoste. .

Sources : France Info, médias d’information indiens.

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As rescuers in northern India’s Uttarakhand continue to search for survivors ten days after the glacial collapse, the cause of the disaster has become clear. Immediately after the event, I explained there was a domino or cascade effect, a hypothesis which has just been confirmed by scientists, with the underlying responsibility for global warming.

A satellite image shows that the starting point is a scar on Mount Nanda Devi which marks the point where the glacier let go. It is a rock face made of ice and permafrost.

Once set free, the ice mass fell downslope where a glacier melt lake was located. It was held back by a moraine that could not withstand the pressure as the mass of ice fell. The mass of water and sediment then surged downstream like a tsunami and slammed into the hydroelectric dam under construction.

Glaciologists have called this phenomenon, which mixes ice, water and materials, « torrential lava. » because its black colour is reminiscent of the lava flow on a volcano. According to Indian glaciologists, the heavy snowfall that took place before the disaster may have favored the glacier’s collapse. As I indicated earlier, such an event can occur in winter. In fact, glaciers react slowly to the temperatures they experience. The penetration of heat into the interior of a glacier can lead to the formation of interglacial or subglacial lakes that can give way later under water pressure. This is what aheppned in 1892 when a pocket of melt warer beneath the Tête Rousse Glacier triggered a torrential lava that killed 175 persons in Saint Gervais.

Glacial melt lakes are increasingly numerous with global warming, in areas of very high mountains such as the Himalayan and Andes in South America. Another factor of destabilization is the thawing of rock permafrost, the “cement” that keeps mountains together. I explained that this thaw caused significant collapses in the Alps, like the Bonatti pillar in June 2005 or, more recently, the Arête des Cosmiques, near the Aiguille du Midi. Our Alps are not immune to debris flow either. In August 2017, one of them swept through the village of Bondo, in Graubünden on the border between Switzerland and Italy. A wall of Piz Cengalo fell at an altitude of 3000 m on the glacier. The mile-long mud surge swept away eight hikers and caused serious damage. Also in Switzerland, the village of Chamoson (Valais) was also confronted with torrential lava.

As with earthquakes, predicting glacial collapse is impossible. The only solution is to carefully monitor glaciers whose collapses can threaten valleys. We saw it in August 2020 when the frontal part of the Planpincieux Glacier threatened to collapse and threaten homes in the Aosta Valley.

Sources: France Info, Indian news media.

Zone de décrochement du glacier indien

 Trace de lave torrentielle à Chamoson (Photo : C. Grandpey)