L’Antarctique révèle de l’air d’il y a 6 millions d’années // Antarctica reveals air 6 million years old

Des carottes de glace extraites des profondeurs de l’Antarctique viennent de livrer les plus anciens échantillons de glace et d’air glaciaires jamais découverts et datés à ce jour..
Sous des centaines de mètres de glace accumulée au fil des millénaires à Allan Hills, une équipe de scientifiques du Woods Hole Oceanographic Institute a recueilli des échantillons enfouis depuis environ 6 millions d’années.

 Source : Wikipedia

La Terre étant une planète géologiquement active et en constante évolution, reconstituer les climats du passé peut s’avérer complexe. L’Antarctique fait exception : l’accumulation constante de glace et de neige y emprisonne et fige la matière, créant ainsi une capsule temporelle témoignant de l’histoire climatique de la Terre. En étudiant la glace ancienne contenue dans des carottes verticales extraites de glace de plusieurs centaines de mètres d’épaisseur, les scientifiques peuvent, du moins en Antarctique, reconstituer les conditions environnementales passées de notre planète.

Carotte de glace sur la base scientifique Little Dome C, le 7 janvier 2025 en Antarctique. Longue de 2,8 kilomètres de long, elle remonte jusqu’à au moins 1,2 million d’années, (Source : PNRA/IPEV)

À Allan Hills, la concentration de glace bleue est particulièrement précieuse. Il s’agit d’une glace comprimée au fil du temps, ce qui a entraîné l’expulsion de bulles d’air plus importantes et l’agrandissement des cristaux de glace. La glace ainsi obtenue absorbe les longueurs d’onde plus rouges, lui conférant une teinte bleutée caractéristique. Comme la neige ne s’y accumule plus en raison de l’érosion et de la sublimation, la glace ancienne d’Allan Hills est plus proche de la surface que dans d’autres régions de l’Antarctique. Allan Hills est donc l’un des meilleurs endroits au monde pour trouver de la glace ancienne peu profonde, mais aussi l’un des plus difficiles d’accès pour les scientifiques.
Bien que cette glace ne présente pas de bulles d’air visibles, elle contient encore des poches d’air microscopiques, tellement compactées qu’elles occupent de minuscules espaces dans sa structure cristalline. Ces poches d’air comprimé sont très précieuses car elles offrent un aperçu du climat primitif de la Terre.

Glace bleue d’Allan Hills (Crédit photo : Woods Hole Oceanographic Institute)

Trois carottes de glace ont été forées à Allan Hills à des profondeurs de 150, 159 et 206 mètres. Dans ces carottes de glace, les chercheurs espéraient trouver de la glace suffisamment ancienne qui leur permettrait de pénétrer dans le Pliocène qui s’est achevé il y a environ 2,6 millions d’années. Initialement, ils espéraient trouver de la glace vieille de 3 millions d’années, voire un peu plus, mais leur carotte a dépassé leurs attentes.
Lorsque les scientifiques ont effectué une datation isotopique à l’argon sur leurs échantillons, ils ont constaté que la carotte la plus profonde des trois contenait de la glace vieille d’environ 6 millions d’années, datant de la fin du Miocène, il y a environ 5,3 millions d’années ! D’autres échantillons analysés étaient plus jeunes, ce qui offrait aux chercheurs une plage d’observation couvrant la fin du Miocène et la majeure partie du Pliocène.
Ensuite, les chercheurs ont réalisé une analyse isotopique de l’oxygène afin d’évaluer les conditions de température à chaque période révélée par la carotte de glace. Ils ont constaté qu’il y a 6 millions d’années, l’Antarctique était environ 12 degrés Celsius plus chaud qu’aujourd’hui, et que le refroidissement jusqu’à sa température actuelle a été un processus lent et progressif.

À l’avenir, les chercheurs espèrent reconstituer la composition de l’atmosphère terrestre à différentes époques afin de déterminer quels gaz à effet de serre étaient présents, à quelles concentrations et comment la situation climatique a pu évoluer au fil du temps. Compte tenu de la glace exceptionnellement ancienne qu’ils ont découverte à Allan Hills, les scientifiques du Woods Hole Oceanographic Institute ont également conçu une nouvelle étude exhaustive à plus long terme de cette région afin d’étendre encore davantage les données chronologiques. Ils espèrent la mener entre 2026 et 2031.
Ces travaux ont été publiés dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) qui ont servi de référence pour rédiger cette note.

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Ice cores excavated from deep under the surface of Antarctica have just yielded humanity’s oldest directly dated samples of glacial ice and air ever found.

From beneath hundreds of meters of glacial ice that gradually accumulated over eons at Allan Hills in Antarctica, a team of scientists from the Woods Hole Oceanographic Institute has retrieved samples that have been buried for some 6 million years.

Because planet Earth is geologically active and changing, finding records of past climate can be challenging. However, Antarctica is one exception; there, the constant accumulation of ice and snow traps and freezes material, creating a time capsule record of Earth’s climate history. By studying ancient ice in vertical cores extracted from ice hundreds of meters thick, scientists can reconstruct our planet’s past environmental conditions, at least at Antarctica.

At Allan Hills, the concentration of blue ice is particularly valuable. This is ice that has been compressed over time, squeezing out larger air bubbles and enlarging the ice crystals, so that the resulting ice absorbs redder wavelengths, lending it a distinctly blueish hue. Because Allan Hills no longer accumulates snow due to weathering and sublimation processes, the older ice is closer to the surface than in other parts of Antarctica. Allan Hills is one of the best places in the world to find shallow old ice, and one of the toughest places for scientists to work.

Although this ice has no visible air bubbles, it still contains microscopic pockets of air, so densely packed that they occupy tiny spaces in the ice’s crystal structure. These compressed pockets of air are highly prized for the window they offer into Earth’s early climate.

Three ice cores were drilled at Allan Hills cores from depths of 150, 159, and 206 meters. In these cores, the researchers hoped to find ice old enough to help tap into the climate of the Pliocene which ended about 2.6 million years ago. Initially, the researchers had hoped to find ice up to 3 million years old, or maybe a little older, but this discovery has far exceeded their expectations.

When the scientists performed argon isotope dating of their samples, they found that the deepest of the three had ice up to about 6 million years old, towards the end of the Miocene epoch, about 5.3 million years ago. Other tested samples were younger, providing the researchers with a series of snapshots spanning the end of the Miocene and most of the Pliocene.

Next, the researchers performed oxygen isotope analysis to gauge temperature conditions at each of their ‘snapshots’. They found that 6 million years ago, Antarctica was about 12 degrees Celsius warmer than it is now, and that the cooling to its current temperature was a smooth, gradual process rather than a sudden one.

Going forward, the researchers hope to reconstruct the contents of Earth’s atmosphere at these different times to determine what greenhouse gases were present, in which concentrations, and how that profile may have changed over time.

Given the spectacularly old ice they have discovered at Allan Hills, the scientists at theWoods Hole Oceanographic Institute also have designed a comprehensive longer-term new study of this region to try to extend the records even further in time, which they hope to conduct between 2026 and 2031.

The research has been published in the Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) that were used as a reference to write this post.

Concentrations de CO2 toujours en hausse // CO2 concentrations still rising

Les concentrations de dioxyde de carbone ont encore augmenté en 2022. Les mesures effectuées par l’observatoire atmosphérique de la NOAA sur le Mauna Loa à Hawaii ont culminé pour 2022 à 420,99 parties par million (ppm) en mai, soit une augmentation de 1,8 ppm par rapport à 2021. C’est une concentration qui n’a pas été observée depuis des millions d’années. . Les scientifiques de la Scripps Institution of Oceanography, qui effectue des mesures indépendantes, arrivent à une moyenne mensuelle similaire avec 420,78 ppm.
Les concentrations de dioxyde de carbone sont aujourd’hui comparables à l’optimum climatique du Pliocène, il y a entre 4,1 et 4,5 millions d’années. Elles étaient alors proches ou supérieures à 400 parties par million. À cette époque, le niveau de la mer était entre 5 et 25 mètres plus haut qu’aujourd’hui, ce qui serait suffisant haut pour noyer bon nombre des plus grandes villes de la planète monde. Les températures étaient alors en moyenne de 7 degrés plus élevées qu’à l’époque préindustrielle, et des études indiquent que de grandes forêts occupaient la toundra arctique.
Le 30 décembre 2022, les concentrations de CO2 ont atteint 419,10 ppm contre 417,11 ppm ce même jour en 2021. La banquise, les glaciers…et les stations de ski ont bien du souci à se faire !
Source : NOAA.

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Carbon dioxide concentrations have still increased in 2022. The readings at NOAA’s Mauna Loa Atmospheric Observatory peaked for 2022 at 420.99 parts per million in May, an increase of 1.8 parts per million over 2021, pushing the atmosphere further into territory not seen for millions of years. Scientists at Scripps Institution of Oceanography, which maintains an independent record, calculated a similar monthly average of 420.78 parts per million.

Carbon dioxide levels are now comparable to the Pliocene Climatic Optimum, between 4.1 and 4.5 million years ago, when they were close to, or above 400 parts per million. During that time, sea levels were between 5 and 25 meters higher than today, high enough to drown many of the world’s largest modern cities. Temperatures then averaged 7 degrees higher than in pre-industrial times, and studies indicate that large forests occupied today’s Arctic tundra.

On December 30th, 2022, CO2 concentrations reached 419.10 ppm versus 417,11 ppm on that same day in 2021. Sea ice, glaciers…and ski resorts have a lot to worry about!

Source : NOAA.

Courbe de Keeling le 31 décembre 2022 et évolution sur un an

Concentrations de CO2 dans l’atmosphère : du jamais vu ! // CO2 concentrations in the atmosphere never seen before

On le savait déjà, grâce à l’analyse des carottes de glace tirées de l’Antarctique : les niveaux de CO2 actuels sont les plus importants des 800 000 dernières années.

Une nouvelle étude publiée dans Science Advances par des chercheurs allemands du Potsdam Institute for Climate Impact Research (PIK) et de l’Institut Max Planck montre que la quantité de gaz à effet de serre dépasse également toute la période du Quaternaire, autrement dit les quelque 2,6 millions d’années écoulées.

L’article publié dans Science Advances reproduit pour la première fois la variabilité climatique naturelle de l’ensemble du Quaternaire avec un modèle de complexité intermédiaire. S’appuyant sur des recherches antérieures, les chercheurs ont reproduit les principales caractéristiques de la variabilité naturelle du climat au cours des derniers millions d’années avec une simulation informatique basée sur des données astronomiques et géologiques et des algorithmes représentant la physique et la chimie de notre planète.

Les niveaux de CO2 sont l’un des principaux moteurs des cycles glaciaires, avec les variations de la rotation de la Terre autour du soleil, les cycles de Milankovitch. La simulation s’est bien sûr appuyée sur ces modifications bien connues de la position de la Terre par rapport au soleil  et sur le dégagement de CO2 des volcans. Mais l’étude s’est également penchée sur les changements dans la répartition des sédiments à la surface de la Terre. Elle a aussi pris en compte le rôle de la poussière atmosphérique qui assombrit la surface de la glace et contribue ainsi à la fonte.

Selon les chercheurs, nous poussons maintenant notre planète au-delà des conditions climatiques rencontrées pendant toute la période géologique actuelle. Les résultats de l’étude corroborent l’idée selon laquelle la concentration actuelle de CO2 – plus de 414 ppm – est sans précédent depuis au moins 3 millions d’années et que la température globale n’a pas dépassé la valeur préindustrielle de plus de 2°C au cours de tout le Quaternaire.

D’après les scientifiques allemands, le Quaternaire aurait connu le scénario suivant :

– Une diminution progressive du CO2 jusqu’à des valeurs inférieures à environ 350 ppm a entraîné le début de la croissance de la calotte glaciaire continentale au Groenland et plus généralement dans l’hémisphère nord à la fin du Pliocène et au début du Pléistocène (de 5,332 millions à 2,588 millions d’années avant notre ère).

– La fin du Pliocène fut relativement proche de nous en termes de niveaux de CO2. Les modélisations suggèrent qu’au Pliocène, il n’y avait ni cycle glaciaire ni grosses calottes glaciaires dans l’hémisphère nord. Le CO2 était trop élevé et le climat trop chaud pour le permettre. D’après le dernier rapport du GIEC, avec des niveaux de CO2 de 400 ppm à la fin du Pliocène, les températures furent 2 à 3°C plus élevées que la période préindustrielle.

– Succédant au Pliocène, le Pléistocène est la première époque du Quaternaire, période caractérisée par l’apparition de cycles glaciaires et interglaciaires, causés par la croissance et le déclin cycliques des inlandsis continentaux dans l’hémisphère nord.

La température globale actuelle, qui est désormais au moins 1°C au-dessus de la période préindustrielle, s’approche des +1,5°C.

Au Pliocène, le niveau de la mer était entre 10 et 40 mètres au-dessus du niveau actuel, en raison de la fonte du Groenland, de l’Antarctique de l’Ouest et d’une partie de l’Antarctique de l’Est. Avec un scénario d’émissions soutenues de CO2, les prévisions du GIEC sont d’environ un mètre à l’horizon 2100 mais on sait déjà que les glaciers continueront à fondre au-delà.

Source : Science Advances, global-climat.

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It was already known, thanks to the analysis of ice cores from Antarctica that current CO2 levels were the highest in the last 800,000 years.
A new study published in Science Advances by German researchers at the Potsdam Institute for Climate Impact Research (PIK) and the Max Planck Institute shows that the amount of greenhouse gases also exceeds the whole Quaternary period, ie the last 6 million years.
The article published in Science Advances reproduces for the first time the natural climatic variability of the entire Quaternary with a model of intermediate complexity. Based on previous research, the researchers have reproduced the main features of natural climate variability over the past millions of years with a computer simulation based on astronomical and geological data and algorithms representing the physics and chemistry of our planet.
CO2 levels are one of the main drivers of glacial cycles, with variations in the Earth’s rotation around the sun, the Milankovitch cycles. The simulation was of course based on these well-known modifications of the position of the Earth with respect to the sun and on the release of CO2 from volcanoes. But the study also looked at changes in the distribution of sediments on the surface of the Earth. It also took into account the role of atmospheric dust, which darkens the surface of the ice and thus contributes to melting.
According to the researchers, we are now pushing our planet beyond the climatic conditions encountered throughout the current geological period. The results of the study corroborate the idea that the current concentration of CO2 – more than 414 ppm – has been unprecedented for at least 3 million years and that the global temperature has not exceeded the pre-industrial value by more than 2°C throughout the Quaternary.
According to the German scientists, the Quaternary went through the following scenario:
– A gradual decrease of CO2 to values ​​below about 350 ppm led to the onset of growth of the continental ice cap in Greenland and more generally in the northern hemisphere at the end of the Pliocene and early Pleistocene (from 5.332 million to 2.588 million years before our era).
– The end of the Pliocene was relatively close to us in terms of CO2 levels. Modelling suggests that at the Pliocene there was no glacial cycle or large ice caps in the northern hemisphere. The CO2 was too high and the climate too hot to allow it. According to the latest IPCC report, with CO2 levels of 400 ppm at the end of the Pliocene, temperatures were 2 to 3°C higher than the pre-industrial period.
– Following the Pliocene, the Pleistocene is the early Quaternary period, characterized by the appearance of glacial and interglacial cycles, caused by the cyclical growth and decline of the continental ice sheets in the northern hemisphere.
The current global temperature, which is now at least 1°C above the pre-industrial period, is approaching + 1.5°C.
In the Pliocene, the sea level was between 10 and 40 metres above the current level, due to the melting of Greenland, West Antarctica and part of East Antarctica . With a scenario of sustained CO2 emissions, the IPCC forecasts are about one metre by 2100 but it is already known that glaciers will continue to melt beyond that year.
Source: Science Advances, global-climat. Concentration de l’atmosphère en CO2 au cours des 800 000 dernières années, et projection pour 2100 (Source : NOAA)