Vers une disparition du Grand Lac Salé (Utah) // Great Salt Lake prone to disappear in Utah

Il y a quelques années, j’atterrissais à Salt Lake City pour me rendre dans le Parc National de Yellowstone en traversant auparavant le Parc National du Grand Teton. Dans les minutes précédant l’arrivée dans la capitale de l’Utah, j’apercevais par le hublot la vaste étendue du Grand Lac Salé. Avec le réchauffement climatique, la taille du lac se réduit comme peau de chagrin. Selon un rapport rédigé par des chercheurs de l’Université Brigham Young et publié en janvier 2023, le Grand Lac Salé risque de disparaître d’ici cinq ans, ce qui mettrait en péril les écosystèmes et exposerait des millions de personnes à la poussière toxique du lac devenu sec.
Le rapport a révélé que l’utilisation abusive de l’eau dans la région a réduit le lac à seulement 37% de son ancien volume. La méga-sécheresse qui affecte l’ouest des États-Unis et qui est aggravée par le réchauffement climatique, a accéléré la disparition de l’eau à une vitesse beaucoup plus rapide que ne l’avaient prévu les scientifiques. Les mesures de conservation actuelles sont très insuffisantes pour remplacer l’énorme volume d’eau que le lac a perdu chaque année depuis 2020.
Le rapport appelle l’Utah et les États voisins à réduire leur consommation d’eau d’un tiers, voire de moitié, afin que cette dernière, apportée par les ruisseaux et les rivières, puisse s’écouler directement dans le lac au cours des deux prochaines années. Sinon, le Grand Lac Salé se dirige vers une disparition inévitable.

L’agriculture représente plus de 70 % de l’utilisation de l’eau dans l’Utah. Une grande partie va à la culture du foin et de la luzerne pour nourrir le bétail. 9% sont absorbés par l’extraction minière. Les villes utilisent également 9 % de cette eau pour faire fonctionner les centrales électriques et irriguer les pelouses. Il y a tellement de demande en eau sur le parcours des rivières de l’État qu’au moment où elles atteignent le Grand Lac Salé, elles sont quasiment à sec. Au cours des trois dernières années, le lac a reçu moins d’un tiers de son apport normal en eau car une grande quantité a été détournée à d’autres fins. En 2022, sa surface a chuté à un niveau record et elle se trouvait à 3 mètres en dessous du niveau minimum.
Avec un apport moindre d’eau douce, le lac est devenu si salé qu’il est aujourd’hui toxique, même pour les crevettes indigènes et les mouches qui réussissent à y vivre. Cela met en danger les 10 millions d’oiseaux qui font escale chaque année sur le lac au cours de leur migration à travers le continent américain.
Avec la baisse catastrophique de son niveau, le lac peut perturber le système météorologique qui assure l’alimentation des montagnes en pluie et en neige ; aujourd’hui, le manque d’eau prive de neige les pistes de ski de l’Utah. Il menace aussi une activité industrielle d’un milliard de dollars qui extrait du magnésium, du lithium et d’autres minéraux de la saumure du lac.
En perdant son eau, le Grand Lac Salé expose à l’air libre plus de 2 000 kilomètres carrés de sédiments contenant de l’arsenic, du mercure et d’autres substances dangereuses qui peuvent être balayées par le vent et terminer leur course dans les poumons de quelque 2,5 millions de personnes vivant près des rives du lac. Environ 90 % du lit du lac sont protégés par une fine croûte de sel qui empêche la poussière de s’échapper. Mais plus le lac s’assèche, plus cette croûte s’érode, exposant des sédiments plus dangereux à l’air libre.
Les chercheurs ont été surpris par la rapidité d’assèchement du Grand Lac Salé. La plupart des modèles scientifiques prévoyaient que le phénomène ralentirait au fur et à mesure que le lac se réduirait en taille et deviendrait plus salé, car l’eau salée s’évapore moins facilement que l’eau douce. Le changement climatique d’origine anthropique a entraîné une hausse des températures moyennes de plus de 2 degrés Celsius dans le nord de l’Utah depuis le début des années 1900 et a rendu la région plus sujette à la sécheresse. Des études montrent que ce réchauffement représente environ 9% de la baisse des débits des cours d’eau qui arrivent dans le lac. Les relevés satellitaires montrent également une baisse importante des eaux souterraines sous le lac car la sécheresse permanente épuise les aquifères de la région.
Si les humains n’utilisaient pas autant d’eau, le lac pourrait peut-être résister au changement climatique, mais la pression combinée de la sécheresse et de la surconsommation rend cela impossible.
Le nouveau rapport, rédigé par plus de 30 scientifiques de 11 universités et autres instituts de recherche, recommande que les rejets d’urgence des réservoirs d’eau de l’Utah soient autorisés pour faire remonter le niveau du lac au cours des deux prochaines années.
Les conditions météorologiques du début de l’année 2023 ont peut-être donné au Grand Lac Salé une chance de survivre. Après une série de tempêtes en décembre, le manteau neigeux de l’État est déjà à 170 % du niveau normal de janvier. Si cette neige persiste et que les précipitations se poursuivent pendant le reste de l’hiver, cela permettra à l’Utah d’éviter de réduire drastiquement sa consommation d’eau. Les autorités locales espèrent que le lac n’a pas dépassé le point de non-retour.
Source : Yahoo Actualités, The Washington Post.

Le dernier rapport confirme une alerte que j’avais diffusée sur ce blog le 7 décembre 2021 :

Le Grand Lac Salé (Utah) menacé par le réchauffement climatique // The Great Salt Lake (Utah) under the threat of climate change

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A few years ago, I landed in Salt Lake City on my way to Yellowstone National Park, previously crossing Grand Teton National Park. In the minutes before arriving in the capital of Utah, I could see the vast expanse of the Great Salt Lake through the window. With global warming, the size of the lake is shrinking. According to a report, led by researchers at Brigham Young University and published in January 2023, the Great Salt Lake is on track to disappear within five years, imperiling ecosystems and exposing millions of people to toxic dust from the drying lake bed.

The report found that unsustainable water use has shrunk the lake to just 37 percent of its former volume. The ongoing mega-drought that is affecting U.S. West and that is made worse by climate change, has accelerated its decline to rates far faster than scientists had predicted. Current conservation measures are absolutely insufficient to replace the huge volume of water the lake has lost annually since 2020.

The report calls on Utah and nearby states to curb water consumption by a third to a half, so as water can flow from streams and rivers directly into the lake for the next couple of years. Otherwise, the Great Salt Lake is headed for irreversible collapse.

Agriculture accounts for more than 70 percent of the state’s water use, much of it going to grow hay and alfalfa to feed livestock. Another 9 percent is taken up by mineral extraction. Cities use another 9 percent to run power plants and irrigate lawns. There are so many claims on the state’s rivers that, by the time they reach the Great Salt Lake, there’s very little water left. Over the last three years, the lake has received less than a third of its normal stream flow because so much water has been diverted for other purposes. In 2022, its surface sank to a record low, 3 meters below the minimum healthy level.

With less freshwater flowing in, the lake has grown so salty that it’s becoming toxic even to the native brine shrimp and flies that manage to live there. This in turn endangers the 10 million birds that rely on the lake for a rest stop as they migrate across the continent each year.

The vanishing lake may short-circuit the weather system that cycles rain and snow from the lake to the mountains and back again, depriving Utah’s ski slopes. It threatens a billion-dollar industry extracting magnesium, lithium and other critical minerals from the brine.

The Great Salt Lake has also exposed more than 2,000 square kilometers of sediments laced with arsenic, mercury and other dangerous substances, which can be picked up by wind and blown into the lungs of some 2.5 million people living near the lakeshore. About 90 percent of the lake bed is protected by a thin crust of salt that keeps dust from escaping. But the longer the lake remains dry, the more that crust will erode, exposing more dangerous sediments to the air.

Researchers have been taken aback by the rapid pace of the Great Salt Lake’s decline. Most scientific models projected that the shrinking would slow as the lake became smaller and saltier, since saltwater evaporates less readily than freshwater. But human-caused climate change has increased average temperatures in northern Utah by more than 2 degrees Celsius since the early 1900s and made the region more prone to drought. Studies suggest this warming accounts for about 9 percent of the decline in stream flows into the lake. Satellite surveys also show significant declines in groundwater beneath the lake, as ongoing drought depletes the region’s aquifers.

If humans were not using so much water, the lake might be able to withstand these shifts in climate, but the combined pressure of drought and overconsumption makes it impossible.

The new report, drafted by more than 30 scientists from 11 universities and other research institutions, recommends that emergency releases from Utah’s reservoirs should be authorized to get the lake up to a safe level over the next two years.

The weather in 2023 may have given the Great Salt Lake a chance to survive. After a series of December storms, the state’s snowpack is already at 170 percent of normal January levels. If that snow persists and precipitation continues through the rest of the winter, it would enable Utah to avoid making drastic cuts to water consumption. Local authorities hope tthat the lake has not past a point of no return – yet.

Source : Yahoo News, The Washington Post.

The report confirms an alert I had released on this blog on December 7th, 2021 (see above).

Le Grand Lac Salé en juin 1985 (Source : NASA)

 

Le Grand Lac Salé en juillet 2022 (Source : NASA)

Le Grand Lac Salé (Utah) menacé par le réchauffement climatique // The Great Salt Lake (Utah) under the threat of climate change

Situé dans la partie nord de l’Utah, le Grand Lac Salé est le plus grand lac salé du continent américain et le quatrième lac endoréique* au monde. C’est aussi l’un des cinquante plus grands lacs de la planète. Une année ordinaire, la superficie du lac est de 4 400 km2 mais sa taille fluctue selon le volume des précipitations. Ainsi, en 1963, le lac ne recouvrait plus que 2 460 km2 alors que sa taille était de 8 547 km2 en 1983.
Selon un nouveau rapport publié dans le Salt Lake Tribune, le réchauffement climatique fait des ravages dans le Grand Lac Salé et le transforme en « une flaque d’eau ». Le lac s’est rétréci de façon spectaculaire et ne contient plus que la moitié de sa moyenne historique. L’Utah est l’un des nombreux États de l’Ouest des Etats Unis à connaître des conditions de sécheresse extrême que les chercheurs attribuent au réchauffement climatique. En juillet 2021, l’eau du lac a atteint un nouveau niveau catastrophique.
Le réchauffement climatique est en grande partie responsable de la vitesse à laquelle le Grand Lac Salé disparaît, mais le détournement par l’Homme des cours d’eau qui s’y déversent a également affecté son niveau. Au final, selon le Salt Lake Tribune, de plus en plus de rivages sont désormais exposés, avec une menace pour les artémias qui vivent dans ce qui reste du lac et les oiseaux qui en dépendent pour se nourrir.
Bien que l’eau du lac ne soit pas potable pour la population, elle abrite un écosystème qui présente des effets bénéfiques. Les tempêtes de neige à effet de lac, par exemple, apportent de l’eau à une grande partie de la région environnante. En revanche, l’assèchement du lac constitue une menace pour la qualité de l’air à Salt Lake City et introduit davantage de poussière dans le manteau neigeux. Comme dans l’Arctique, on observe un déclin de l’albédo, ce qui fait fondre la neige plus tôt dans l’année; cela perturbe encore davantage l’approvisionnement en eau dans l’écosystème environnant. Le lac est confronté à une séquence d’événements en cascade contre laquelle les scientifiques mettent en garde depuis longtemps.
Plus globalement, les climatologues expliquent qu’à mesure que nous changeons le climat, nous modifions également fondamentalement la quantité d’eau que nous obtenons et où nous l’obtenons; nous modifions aussi l’intensité des tempêtes, les précipitations, la sévérité des sécheresses et des inondations, la demande en eau des cultures et de la végétation qui nous entoure.
Sources : Yahoo News, Salt Lake Tribune.

* Le lac est endoréique ce qui signifie que toute l’eau entrant dans le lac en ressort uniquement par évaporation et non par un cours d’eau. Le lac est de ce fait beaucoup plus salé que les océans. En effet, les sels s’accumulent au fil des ans sans pouvoir être transportés hors du lac. La profondeur maximale du lac est 10,7 mètres, avec une moyenne de 4 mètres.

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Lying in the northern part of Utah, the Great Salt Lake is the largest salt lake of the American continent and the fourth endorheic* lake in the world. It is also one of the fifty laqrgest lakes on the planet. In a typical year, the surface area of the lake is 4,400 km2 but its size fluctuates with the amount of precipitation. Thus, in 1963, the lake covered only 2,460 km2 while its size was 8,547 km2 in 1983.
Climate change is taking a toll on the Great Salt Lake, rendering it “a puddle of its former self,” according to a new report published in the Salt Lake Tribune. The lake has shrunk dramatically and now holds only half as much as its historical average. Utah is one of several Western states experiencing extreme drought conditions that researchers have linked to climate change, and in July 2021, the lake’s water level hit a new low.

Climate change is a major driver behind the rate at which the Great Salt Lake is disappearing, but human diversion of tributaries that empty into it has also affected its water level. The result, according to the Salt Lake Tribune, is that more shoreline is now being exposed, threatening the brine shrimp that live in what remains of the lake and the birds that rely on them for food.

While the lake’s water is not drinkable for humans, it is home to an ecosystem that benefits them. Lake-effect snowstorms, for instance, help generate water for much of the surrounding area. The exposed dry lake, meanwhile, poses a threat to the air quality in Salt Lake City and is adding more dust into the snowpack, causing it to melt earlier in the year, further disrupting the supply of water in the surrounding ecosystem. It is a cascading sequence of events that scientists have long warned about.

More globally, climate scientists explain that as we change the climate, we are also fundamentally changing how much water we get and where we get it, the intensity of storms, rainfall patterns, the severity of droughts and floods, the demand for water from crops and from our natural vegetation.

Sources: Yahoo News, Salt Lake Tribune.

* The lake is endorheic which means that all the water entering the lake comes out only by evaporation and not by a stream. The lake is therefore much saltier than the oceans. This is because salts accumulate over the years without being able to be transported out of the lake. The maximum depth of the lake is 10.7 meters, with an average of 4 meters.

Photo du Grand Lac Salé prise par le satellite Sentinel -2B en août 2018 après des années de sécheresse. La différence de couleurs entre les parties nord et sud du lac est provoquée par la présence d’une ligne de chemin de fer.