Dans une note publiée le 11 octobre 2020, j’ai annoncé la sortie du dernier documentaire du National Geographic, The Last Ice, qui raconte à quel point les communautés inuites du Canada et du Groenland sont touchées par la fonte de la glace de mer dans l’Arctique. La diffusion du film est prévue en octobre 2020 sur la chaîne National Geographic WILD. Voici la bande-annonce:
https://www.youtube.com/watch?v=qpZdevJEA7I
Maatalii Okalik, qui a participé à la réalisation du documentaire, vit à Panniqtuuq, un village du Nunavut. Elle est reconnue localement et internationalement pour son travail en faveur de la jeunesse inuite. En tant que présidente du Conseil national de la jeunesse inuite au Canada, elle a sensibilisé aux problèmes auxquels sont confrontés les jeunes, notamment le taux de suicide élevé, l’incertitude professionnelle et l’impact de plus en plus sensible du changement climatique dans la région.
Dans une interview, elle explique les problèmes auxquels doit faire face la population inuite aujourd’hui. Voici l’intégralité de ses propos.
«Les Inuits vivent dans l’Inuit Nunaat (notre patrie), une région de l’Arctique, depuis des millénaires, dans ce que beaucoup considèrent comme l’une des régions les plus inhospitalières de la planète. Pour les étrangers, nous sommes des survivants qui ont réussi à faire face à l’adversité, génération après génération. Mais ce n’est pas ainsi que nous le voyons. Les Inuits ne survivent pas dans l’Arctique – nous prospérons.
Nos chasseurs ont des compétences et des connaissances transmises depuis des générations, ce qui nous permet d’avoir de manière durable de la viande pour nourrir nos familles et nos communautés. Nous savons interpréter la météo, nous déplacer sur la banquise, trouver de la végétation sur la terre et, en 2020, nous connecter virtuellement pour partager ces mêmes informations. Nous nous adaptons et prospérons ensemble.
Pourtant, notre histoire récente a été un immense défi, non pas parce que nous vivons dans une région polaire, mais à cause de l’intrusion du monde extérieur et de ses intérêts.
À partir de la Seconde Guerre mondiale, l’intérêt international pour l’Inuit Nunaat a explosé, d’abord pour des raisons géopolitiques de revendications territoriales, puis à des fins militaires. Peu de temps après, d’autres intérêts à travers le monde ont commencé à s’intéresser à nos ressources, qu’il s’agisse de pétrole, de routes de navigation ou de zones de pêche.
Alors que s’accélérait cet intérêt pour le monde arctique, les Inuits ont été soumis à un traitement horrible et traumatisant de la part de nos gouvernements et institutions religieuses. Alors que les actualités célébraient les explorateurs intrépides partis à la conquête de l’Arctique, des histoires beaucoup moins glorieuses se déroulaient, qui résonnent encore aujourd’hui dans les communautés inuites: enfants enlevés à leur famille et placés dans des pensionnats pour devenir «civilisés» ; familles réinstallées de force dans des localités où elles n’avaient que peu ou pas de connaissances en relation avec le vie dans l’Arctique
Ces atrocités ne se sont pas produites il y a des siècles. Ce sont nos parents et nos grands-parents qui en ont été victimes. Et tandis que les Inuits continuent à s’adapter et prospérer, nous sommes aujourd’hui confrontés à une autre menace : le changement climatique réchauffe rapidement l’Arctique, fait fondre notre glace de mer, rend nos conditions météorologiques moins prévisibles, affecte la faune qui nous entoure et menace notre mode de vie en général.
Nos communautés ne sont accessibles que par avion et par bateau pendant les saisons les plus chaudes. Dans la majeure partie de l’Arctique, l’élevage du bétail est impossible, de même que l’agriculture à grande échelle. Le coût d’importation de la nourriture est prohibitif, ce qui fait que sept Inuits sur dix au Nunavut sont en situation d’insécurité alimentaire. Nous continuons à dépendre de la nature pour subvenir à nos besoins, mais le changement climatique les modifie à un rythme auquel il est de plus en plus difficile de s’adapter.
Quand un chasseur passe à travers la glace parce qu’elle n’a plus la même solidité que pour les générations précédentes, il ne s’agit pas d’un problème politique, c’est une question de survie. Le changement climatique ne respecte ni les frontières ni les opinions politiques, et nous sommes en première ligne pour en constater les effets.
Aujourd’hui, notre glace en voie de disparition attire de nouveaux étrangers, intéressés par des routes de navigation auparavant inaccessibles, des ressources à extraire et des profits à réaliser. Une fois encore, les Inuits sont perdus dans les tractations internationales, alors que les journaux font leur Une sur les ours polaires, les travaux scientifiques et les statistiques.
J’ai vu ces changements de mes propres yeux. Je me souviens avoir parlé avec une femme dont le mari est mort quand il est passé à travers la glace. Son corps n’a jamais été retrouvé et elle a dû organiser ses obsèques sans avoir eu la possibilité de l’enterrer. Sa perte n’a pas seulement eu un impact sur la famille, mais sur toute la communauté que ce chasseur avait aidé à nourrir.
Ce genre d’histoires est plus fréquent que ce que l’on peut lire dans les journaux. Le changement climatique a un impact humain bien réel sur les Inuits. Alors que la fonte de la glace change les paysages sur lesquels nous vivons depuis des générations, nous nous battons pour maintenir le bien-être de nos communautés et préserver l’accès aux terres de chasse de nos ancêtres. Lorsque nous ne pouvons plus compter sur notre principale source de nourriture, lorsqu’elle est épuisée par les activités d’étrangers, cela ne fait qu’exacerber la menace croissante qui pèse sur notre survie.
Avant l’arrivée des étrangers, les Inuits géraient les ressources d’une manière qui était et continue d’être durable, responsable et respectueuse, comme des milliers d’autochtones continuent de le faire dans le monde. Ce n’est pas un hasard, et au moment où tout le reste du monde commence à ressentir les conséquences du changement climatique, j’ai le sentiment que nous avons beaucoup de connaissances à partager.
L’Arctique n’est pas la dernière frontière. L’Arctique n’est pas un territoire magique à l’autre bout de la Terre. L’Arctique est notre maison et nous, les Inuits, devrions avoir le droit de décider de ce qui s’y passe. Ce que nous vivons aujourd’hui, ce sont des symptômes de notre histoire. De nombreux Inuits vivent dans des maisons surpeuplées. De nombreux Inuits sont en situation d’insécurité alimentaire. Nous avons l’un des taux de suicide les plus élevés au monde.
Pourtant, malgré ces défis, nous réussissons toujours à vivre à partir de la nature incroyable et des ressources qui nous entourent. Non pas comme quelque chose à conquérir ou à prendre, mais comme quelque chose dont nous faisons partie. Notre langue, notre culture et notre mode de vie sont étroitement liés à notre terre, à notre eau et à notre glace.
Les Inuits tirent la sonnette d’alarme du changement climatique depuis des décennies et nous espérons que le monde commencera à nous écouter, à prendre des décisions basées sur ce qui est le mieux pour des décennies et des siècles, dès maintenant plutôt que dans des jours et des semaines. Pour prospérer, et pas seulement survivre. »
Source : Yahoo News.
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In a post released on October 11th, 2020, I announced the released of the National Geographic’s latest documentary, The Last Ice, which tells the harrowing story of how Inuit communities in Canada and Greenland are being impacted by the melting sea ice in the Arctic. The film is expected to broadcast on National Geographic WILD this October. Here is the trailer:
https://www.youtube.com/watch?v=qpZdevJEA7I
Maatalii Okalik, the author and subject of the documentary, comes from Panniqtuuq, a village in Nunavut. She is recognized locally and internationally for her work as an Inuit youth advocate. As the President of Canada’s National Inuit Youth Council, she built awareness around the unique issues facing Inuit youth, including high suicide rates, occupational uncertainty, and the growing regional impact of climate change.
In an interview, she explains the problems the Inuit population has to face today. Here is the entirety of her declaration.
“Inuit have lived in Inuit Nunaat (our homeland) in the Arctic for millennia, in what many see as one of the most inhospitable areas of the planet. To outsiders, we’re survivors, having managed to beat the odds generation after generation. But that’s not how we see it. Inuit don’t survive in the Arctic—we thrive.
Our skilled hunters have knowledge that has been passed down for generations, allowing us to sustainably harvest nutritious meat for our families and communities. We know how to read the weather, navigate the sea ice, find vegetation on the land, and, in 2020, how to connect with one another virtually to share this same information. We adapt and thrive together.
But our recent history has been one of immense challenges, brought on not because we live in a polar region but because of the arrival of the outside world and their interests.
Beginning around the time of World War II, international interest in Inuit Nunaat in the Arctic exploded, at first for geopolitical reasons of sovereign land claims, and then or military purposes. Soon after, varied interests around the world began to see our resources, whether it was oil, efficient shipping routes, or abundant fish stocks.
As this interest in the Arctic world accelerated, Inuit were subjected to horrific and traumatic treatment by our governments and religious institutions. While newsreels celebrated intrepid explorers conquering the Arctic, countless untold stories were unfolding that still echo in Inuit communities today: Children taken from their families and placed in residential schools to become “civilized,” families forcibly relocated to communities where they had little if any knowledge or relations in the name of Arctic
These atrocities didn’t happen centuries ago. They happened to our parents and to our grandparents. And while Inuit still adapt and thrive, today we’re dealing with a less obvious threat. Climate change is rapidly warming the Arctic, melting our sea ice, making our weather less predictable, affecting the wildlife around us, and threatening our overall way of life.
Our communities are only accessible by air, and in warmer seasons by boat. In the majority of the Arctic, raising livestock isn’t realistic, and neither is wide-scale agriculture. The cost of importing food is prohibitively high, resulting in seven of 10 Inuit in Nunavut being food-insecure. We are still dependent on the natural world to sustain us, but climate change is altering it at a rate that’s harder and harder to adapt to.
When a seasoned hunter falls through the ice because it no longer forms the way it has for generations before, that’s not a political issue, it’s a matter of survival. Climate change doesn’t respect political borders or opinions, and we’re on the front lines of seeing the effects.
Today, our disappearing ice is attracting new outsiders, interested in previously inaccessible shipping routes, resources to extract, and profit to be made. But Inuit are once again lost in the international conversation, as news headlines focus on polar bears, scientists, and statistics.
I’ve seen these changes firsthand. I remember speaking with a woman whose husband died when he fell through the ice. His body was never recovered and she had to hold his funeral without having a chance to bury him. His loss didn’t just impact their family, but the entire community that he helped support and feed.
These kinds of stories are more common than what you read in the newspaper. There are very real human impacts on Inuit as the climate changes. As the melting ice changes the landscapes we’ve lived on for generations, we are fighting to maintain our communities’ wellbeing and preserve access to the lands of our ancestors to hunt. When we can’t rely on our main source of food, when it is depleted by the actions of outsiders, that just exacerbates the growing threat to our survival.
Prior to outsiders arriving, Inuit managed resources in ways that were and continue to be sustainable, responsible, and respectful, as countless thousands of Indigenous peoples continue to do throughout the world. This is no accident, and as the rest of the world begins to experience the global, interconnected consequences of climate change, I feel that we have so much knowledge to share.
The Arctic is not the final frontier. The Arctic is not a magical land at the end of the Earth. The Arctic is our home, and we as Inuit should have the right to decide what happens here. Everything that we are experiencing today are symptoms of our history. Many Inuit live in overcrowded homes. Many Inuit are food-insecure. We have one of the highest suicide rates in the world.
And yet, despite these challenges, we still sustain ourselves from the incredible natural world and resources surrounding us. Not as something for us to conquer or take, but as something we’re a part of. Our language and our culture and way of life is so connected to our land, our water, and our ice.
Inuit have been ringing the alarm bells of climate change for decades, and we hope that the world will begin to learn from us. To make decisions based on what’s best for decades and centuries from now rather than days and weeks. To thrive, and not just survive.”
Source : Yahoo News.
Répartition de la population côtière circumpolaire, autochtone et non autochtone (Source : Arctic Council)