Point de non-retour pour les coraux // Tipping point for the corals

Avec le réchauffement climatique, l’expression « point de bascule ou point de basculement » – autrement dit ‘point de non-retour’ – est devenue à la mode, mais pas pour le meilleur. Un « point de bascule » se produit lorsqu’un petit changement fait basculer tout un système vers un nouvel état, en provoquant une transformation importante et durable. Dans le domaine climatique, ces points de non-retour sont des moments précis où la Terre s’est tellement réchauffée que certains effets deviennent irréversibles. Malheureusement, notre planète approche rapidement de multiples points de bascule qui pourraient transformer notre monde, avec des conséquences dramatiques pour les populations et la nature. Parmi ces points de bascule figurent la fonte des calottes glaciaires, le dépérissement de la forêt amazonienne, le blanchissement des récifs coralliens et l’arrêt de courants océaniques vitaux.
Selon un nouveau rapport rédigé par des scientifiques européens, compte tenu de l’état désastreux des récifs coralliens, la Terre a désormais atteint son premier point de basculement en matière de réchauffement climatique d’origine anthropique. Le deuxième rapport mondial sur les points de bascule, publié en octobre 2025, explique que les récifs coralliens d’eau chaude, dont dépendent près d’un milliard de personnes et un quart de la vie marine, sont en train de « dépasser leur point de basculement ». Les récifs coralliens assurent les moyens de subsistance d’un demi-milliard de personnes et fournissent des services écosystémiques. Ils assurent notamment une pêche abondante et la protection vitale des côtes contre les ondes de tempête et la montée du niveau de la mer pour les communautés vivant le long des littoraux. Les coraux sont essentiels à la santé des océans. Bien qu’ils ne couvrent que 0,2 % des fonds marins, ils abritent au moins un quart des espèces marines. Ils offrent un refuge aux jeunes poissons et abritent de petits organismes et des poissons qui servent de nourriture aux poissons de plus grande taille.

Photo: C. Grandpey

Si le réchauffement climatique n’est pas inversé, les vastes récifs tels que nous les connaissons aujourd’hui disparaîtront, même si de petits refuges peuvent survivre et doivent être protégés. Un rapport publié en 2022 a montré que près de 15 % des récifs coralliens ont disparu depuis 2009. Les scientifiques estiment que le point de basculement pour les récifs coralliens se situe probablement autour de 1,2 °C de réchauffement climatique, avec un maximum de 1,5 °C. Au cours des deux années qui ont suivi la publication du Rapport mondial sur les points de bascule, la température globale de la planète a été la plupart du temps supérieure de 1,5 °C au niveau préindustriel. Cela a provoqué des vagues de chaleur marines qui ont entraîné un blanchissement important de 80 % des récifs coralliens. Il est également devenu évident aujourd’hui que le réchauffement climatique dépassera inévitablement 1,5 °C en moyenne, peut-être dès 2030. Par conséquent, les chercheurs ont conclu que les récifs coralliens ont franchi un point de bascule où la majorité d’entre eux souffrent ou subiront un dépérissement généralisé.

Crédit photo: NOAA

La plupart des scientifiques s’accordent à dire que les récifs coralliens ont bel et bien franchi le point de basculement, notamment en Floride et dans les Caraïbes. Certains affirment même que le point de bascule pour les récifs coralliens a été franchi il y a des décennies, et que la transition des récifs coralliens historiques vers un autre type d’écosystème est déjà bien engagée. Le premier épisode de blanchissement corallien à l’échelle mondiale s’est produit en 1998, année particulièrement chaude. Les scientifiques prédisaient alors que ces épisodes de mortalité massive se reproduiraient de plus en plus fréquemment avec la hausse continue des températures due au réchauffement climatique. Ils avaient raison. Par exemple, la Grande Barrière de corail en Australie a connu six blanchissements coralliens à grande échelle au cours de la dernière décennie (en 2002, 2016, 2017, 2020, 2022, 2024 et 2025). Il ne reste aujourd’hui quasiment plus de récifs intacts dans le monde.

Vue de la Grande Barrière (Crédit photo: Wikipedia)

Le dernier rapport mondial sur les points de bascule est un nouveau signal d’alarme pour les gouvernements du monde entier. Ils doivent s’attaquer de toute urgence à la crise des récifs coralliens. La protection locale ne suffit pas ; elle sert trop souvent d’écran de fumée à l’inaction face au réchauffement climatique. Ainsi, des pays comme les États-Unis, l’Australie et l’Arabie saoudite se revendiquent comme des leaders mondiaux en matière de protection des récifs coralliens et de restauration de minuscules zones de ces derniers, tout en refusant de limiter l’utilisation des combustibles fossiles. Cherchez l’erreur !
Source : USA Today via Yahoo News.

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With global warming, “tipping point” has become a fashionable expressio, but not for the best. A “tipping point” occurs when a small change tips a system into a new state, causing significant and long-term transformation. With the climate, these points of no return are specific moments when the planet has warmed so much that certain effects become irreversible. Unfortunately, we are rapidly approaching multiple Earth system tipping points that could transform our world, with devastating consequences for people and nature.The tipping points include melting ice sheets, Amazon rainforest dieback, the bleaching of coral reefs and the collapse of vital ocean currents.

According to a new report by scientists in Europe, with the dire condition of the Earth’s coral reefs, the planet has now reached its first tipping point for human-caused global warming. Their second Global Tipping Points Report, released in October 2025 warns that warm-water coral reefs, on which nearly one billion people and a quarter of all marine life depend, are « passing their tipping point. » Coral reefs support the livelihoods of half a billion people, and they provide ecosystem services that include supporting abundant fisheries and providing vital coastal protection from storm surges and rising sea levels for communities living behind them.

Overall, corals are vital to the health of the oceans. Although they cover only 0.2% of the ocean floor, they are home to at least a quarter of all marine species. They provide safety for juvenile fish and are home to small organisms and fish that provide food for larger fish.

Unless global warming is reversed, extensive reefs as we know them today will be lost, although small refuges may survive and must be protected.

A report released in 2022 showed that almost 15% of the planet’s reefs have vanished since 2009. It has been assessed by scientists that the coral reef tipping point is likely around 1.2 degrees Celsius global warming and at a maximum of 1.5 degrees global warming, In the two years since the Global Tipping Points Report was released, the world has spent most of the time at 1.5 degrees above the pre-industrial level. This has caused marine heatwaves that have led to severe bleaching impacts on 80% of the world’s coral reefs. It has also become clear that the world will inevitably exceed 1.5 degrees average global warming, perhaps as soon as 2030. Therefore, the researchers have concluded that coral reefs have passed a tipping point where a majority of them are suffering or will suffer widespread dieback.

Most experts agree that coral reefs have indeed passed their tipping point, especially in Florida and the Caribbean. Some even say that we passed the tipping point for coral reefs decades ago, and the transition from historical coral reefs to a different type of ecosystem is already well underway. The first global-scale coral bleaching event occurred in 1998 which was a particularly hot year. Scientists predicted then that these mass mortality events would reoccur more and more frequently as temperatures continued to increase due to global heating. They were right: The Great Barrier Reef in Australia, for example, has experienced widespread and severe coral bleaching six times in the past decade (in 2002, 2016, 2017, 2020, 2022, 2024 and 2025). There are now almost no unbleached reefs left anywhere in the world..

Once again, the latest Global Tipping Points Report is a wake-up call for the world’s governments to deal urgently with the coral reef crisis. Local protection isn’t enough – and too often it’s a smokescreen for inaction on climate change. For example, countries like the USA, Australia and Saudi Arabia claim to be world leaders in protecting reefs and restoring tiny patches of them, while they still refuse to curtail fossil fuels.

Source : USA Today via Yahoo News.

Points de non-retour climatiques // Climate tipping points

En raison du réchauffement climatique, la température de la planète augmente à un rythme encore jamais vu, mais il peut être difficile de savoir exactement si, où, comment et quand nous atteindrons le point de non-retour tant redouté par les scientifiques, même si ce point de basculement a probablement été atteint dans certains endroits du globe. Une agence de recherche britannique est en train de mettre au point un système qui permettrait de déterminer ce point et nous empêcher de le dépasser.
L’Agence de recherche et d’invention avancées – Advanced Research and Invention Agency (ARIA) – vient de lancer un programme « moonshot » d’une valeur de 106 millions de dollars pour développer un système d’alerte précoce permettant de savoir à quel moment la Terre se rapproche d’un point de non-retour climatique qui aurait des répercussions durables sur tout ce qui se trouve sur la planète.
Le système d’alerte est conçu pour se concentrer sur deux régions clés. La première est la calotte glaciaire du Groenland qui ferait monter considérablement le niveau de la mer si elle continuait à fondre. L’autre est l’affaiblissement du gyre de l’Atlantique Nord, un grand courant qui tourne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre au sud du Groenland. Les scientifiques pensent que ce courant a joué un rôle dans le Petit âge glaciaire au 14ème siècle, avec de nombreuses répercussions environnementales. (Voir mon article du 27 novembre 2024 sur la mer d’Irminger)
Au cours du plan quinquennal proposé par le programme, l’équipe scientifique espère réduire l’incertitude quant au moment où les points de non-retour pourraient se produire, leur impact et leurs effets à long terme. En développant ces systèmes d’alerte, les chercheurs « pourraient être en mesure de changer la façon dont nous concevons le réchauffement climatique et notre façon de nous y préparer ».
Le développement de ce type de programme, s’il réussit, sera d’une grande aide pour sensibiliser aux effets du réchauffement climatique et rétablir un certain équilibre avant que la situation ne s’aggrave trop. Les scientifiques ont déjà tiré la sonnette d’alarme sur l’impact de la montée du niveau des océans. Début 2024, ils ont alerté sur un événement d’extinction dans les Keys de Floride avec la disparition du cactus arbre de Key Largo (Key Largo Cactus Tree).

Source: MIT Technology Review.

Gyre de l’Atlantique Nord (Source : ESA)

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Because of global warming, global temperatures are rising at an accelerated rate, but it can be hard to know exactly where, how, and when we will hit the feared point of no return, although this tipping point has probably been reached in some places. A United Kingdom research agency is developing a system to help determine that point and hopefully prevent us from going past it.

The Advanced Research and Invention Agency (ARIA) has just launched a « moonshot » program worth $106 million to develop early warning systems to alert when the Earth gets close to a climate tipping point, which would have ongoing impacts for everything on the planet.

The warning system is designed to focus on two key areas. The first is the Greenland Ice Sheet, which would dramatically raise sea levels if it continued to melt. The other is the weakening North Atlantic Subpolar Gyre, a large current that spins counterclockwise south of Greenland. Scientists believe that current played a part in the Little Ice Age in the 14th century, which had a wide array of environmental impacts. (See my post of 27 November 2024 about the Irminger Sea)

Over the program’s proposed five-year plan, the scientific team hopes to reduce uncertainty about when these tipping points could happen, their impact, and their long-term effects. By developing these warning systems, the researchers  » might be able to change the way that we think about climate change and think about our preparedness for it. »

Developing this kind of program, if successful, will be a huge help in raising awareness about the effects of an overheating planet and hopefully bringing things back into balance before it progresses too far. Scientists have already sounded the alarm on the impact of rising sea levels, announcing earlier in 2024 that an extinction event has already occurred in the Florida Keys with the loss of the Key Largo tree cactus.

Source : MIT Technology Review.

https://www.technologyreview.com/

Nouvelle mise en garde sur l’affaiblissement de l’AMOC // New warning about the weakening of AMOC

Chaque année au mois d’octobre se tient à Reykjavik (Islande) l’Assemblée du Cercle Arctique. Elle rassemble plus de 2000 participants de plus de 60 pays. L’Assemblée 2024 a eu lieu du 17 au 19 octobre. Dans une lettre ouverte, 44 experts de premier plan en matière de circulation océanique, originaires de 15 pays, ont averti une fois de plus que la poursuite des émissions de gaz à effet de serre pourrait déclencher un refroidissement régional de l’océan autour de l’Atlantique Nord. Ils ont appelé le Conseil nordique des ministres à prendre ce risque très au sérieux.
Les données satellitaires et les mesures océanographiques montrent déjà une tendance au refroidissement à long terme dans l’Atlantique subpolaire. Ce phénomène est annoncé depuis longtemps par les modèles climatiques et résulte d’un affaiblissement de la circulation méridionale de retournement de l’Atlantique (AMOC), le tapis roulant qui transporte d’énormes quantités de chaleur dans l’Atlantique Nord et détermine ainsi les conditions de vie des populations d’Europe, de la région arctique et au-delà.
Une série d’études scientifiques sur le climat menées ces dernières années montre que le risque de franchir un point de non-retour dans la circulation océanique atlantique a, jusqu’à présent, été sous-estimé.
Dans la lettre, les experts expliquent que la seule façon de limiter le risque de franchir ce point de non-retour est de renforcer l’effort global de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les scientifiques appellent à un effort urgent et significatif pour limiter le réchauffement climatique et réduire les émissions le plus rapidement possible afin de rester proche de l’objectif de 1,5°C fixé par l’Accord de Paris.
Source: Met Office islandais.

Évolution de la température moyenne annuelle dans un scénario de doublement du CO2 dans lequel l’AMOC s’est complètement arrêté. (Source : Science Advances, 7 – 2017)

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The 2024 Arctic Circle Assembly took place in Reykjavík (Iceland) betwen October 17th and 19th, 2024. In an open letter, 44 leading experts on ocean circulation and tipping points from 15 countries warned that continued greenhouse gas emissions could trigger a regional cooling around the North Atlantic. They appealed to the Nordic Council of Ministers to take this risk seriously

Satellite data and oceanographic measurements already show a long-term cooling trend in the subpolar Atlantic. This phenomenon has long been predicted by climate models and results from a weakening of the Atlantic Meridional Overturning Circulation (AMOC), which transports huge amounts of heat into the North Atlantic Region and thus determines life conditions for all people in Europe, the Arctic region and beyond.

A string of scientific climate studies in the past few years suggests that the risk of passing the tipping point for a major ocean circulation change in the Atlantic has so far been underestimated.

In the letter, the experts expalin that the only way to limit the risk of passing this tipping point, is through greater urgency and priority in the global effort to reduce emissions. The scientists call for an urgent and increased effort to limit global warming and reduce emissions as quickly as possible in order to stay close to the 1.5°C target set by the Paris Agreement.

Source : Icelandic Met Office.

Point de non-retour pour les glaciers pyrénéens

Le 29 septembre 2018, au retour d’un séjour dans les Pyrénées, j’expliquais que la situation climatique et glaciaire était préoccupante, voire catastrophique. Depuis le sommet du Pic du Midi de Bigorre, les traces de neige ou de glace étaient quasiment inexistantes sur l’ensemble du massif. Cette triste constatation n’est guère surprenante. En effet, entre 1959 et 2010, les températures ont augmenté dans les Pyrénées de 1,2°C. Les climatologues de Météo France pensent qu’elles pourraient augmenter de 4°C à l’horizon 2050 et de 7°C à la fin du 21ème siècle !

Le compte Twitter Météo Pyrénées compare, en images, le recul perpétuel des glaciers dans les Pyrénées, en particulier depuis une trentaine d’années. Vous trouverez l’ensemble des images sur le site actu.fr.

Les climatologues de la région publient des photos comparatives des glaciers, photographiés en juillet et août, à des dizaines d’années d’écart. Ces photos parlent plus que les longs discours. Certains glaciers qui s’étendaient sur plusieurs hectares de montagne  il y a un siècle comme ceux du Taillon, au dessus de Gavarnie (Haute-Pyrénées), ou du Seil de la Baque vers Luchon (Haute-Garonne) sont, en effet, se sont réduits comme peau de chagrin…

Le 18 septembre 2017, j’ai publié une note à propos du glacier d’Aneto sur lequel s’attardent également les climatologues pyrénéens. Au début du mois d’août 2020, sur les 30 à 40 mètres de glace encore présents sur l’Aneto, on pouvait encore mesurer 1,10 à 1,30 mètre de neige hivernale. Avec les fortes chaleurs enregistrées depuis le début du mois d’août, cette neige est en train de fondre rapidement et le glacier va être de nouveau à vif. C’est tous les ans la même chose : les étés passent et il n’y a plus suffisamment d’accumulation de neige pour empêcher les glaciers d’être à vif.

Le compte Météo Pyrénées a également posté deux photos prises à un mois d’intervalle, en juillet puis août 2020, sous le glacier du Seil de la Baque dans le Luchonnais. Le recul des glaciers pyrénéens a été spectaculaire au cours des six dernières années. C’est le cas du glacier de l’Oulette situé au pied du Vignemale, entre 2300 et 2400 mètres d’altitude ; son recul est impressionnant entre 2008 et 2019. À ce rythme, il risque de disparaître dès les prochaines années. Pareil pour le glacier du Seil de la Baque dans le Luchonnais. Il n’y a quasiment plus rien par rapport à ce que l’on pouvait y trouver il y a 20 ans.

Les climatologues de  Météo Pyrénées constatent que 17 glaciers ont été rayés de la carte entre 2000 et 2016 et le phénomène va malheureusement se poursuivre inexorablement car rien n’est fait pour ralentir le réchauffement climatique. On se dirige vers la disparition totale, à très court terme, de tous les glaciers pyrénéens, en tout cas bien avant 2050 qui était la date avancée par les climatologues jusqu’à ces dernières années. Les températures en haute montagne sont un indicateur sans appel. Le 17 septembre 2018, j’expliquais sur ce blog que cela faisait 91 jours le 15 septembre qu’il n’y avait pas eu de gel au Pic du Midi de Bigorre, à 2877 mètres d’altitude. La dernière journée de gelée – avec – 1,6°C – datait du 14 juin.

Comme ceux du Groenland, les glaciers des Pyrénées ont bel et bien atteint le point de non retour !

Cirque de Gavarnie et brèche de Roland vus depuis le Pic du Midi (Photo : C. Grandpey)

Glacier d’Aneto en 1986 et 2009 (Source : Swisseduc)