5 mars 2020: «Jour du dérèglement»

Depuis quelques jours, l’épidémie de coronavirus fait la une des médias, et c’est tout à fait normal. Les gouvernements ont pris des mesures de restriction en tout genre, en particulier au niveau des déplacements. Très logiquement, on observe une diminution globale des émissions de CO2 à la surface de la Terre. Il est bien évident que cette situation – il faut l’espérer d’un point de vue sanitaire – ne durera pas éternellement. A court terme – au bout de quelques semaines, voire quelques mois – la vie reprendra son cours. Les entreprises recommenceront à fonctionner normalement et beaucoup voudront rattraper le temps perdu. Inutile de dire que les industries recommenceront à émettre des gaz à effet de serre, et la circulation routière fera de même. On sait qu’une période de confinement est toujours suivie d’une période d’activité accélérée.

La chute actuelle des émissions de CO2, abondamment relayée par les médias, n’est donc que ponctuelle. Comme je l’ai fait remarquer précédemment, les concentrations de CO2 dans l’atmosphère, quant à elles, n’ont pas montré le moindre déclin, Elles atteignaient 414,25 ppm au sommet du Mauna Loa (Hawaii) le 15 mars 2020 (voir ci-dessous). Cela confirme les dires des climatologues qui expliquent qu’il faudra plusieurs décennies pour que l’atmosphère se purifie à condition, cela va de soi, que l’on cesse de manière drastique d’émettre des gaz polluants.

A ce sujet – et la presse n’en a pas beaucoup parlé – il faut savoir que depuis le 5 mars 2020, la France n’est plus neutre en carbone. Inspiré du «Jour du dépassement» proposé chaque année par l’organisation Global Footprint Network, qui calcule la date où la Terre vit à crédit quand l’humanité a consommé toutes les ressources générées par la planète en une année, quatre ONG (L’Affaire du siècle, Greenpeace-France, la Fondation Nicolas Hulot et Oxfam-France) ont créé le «Jour du dérèglement». C’est le moment où les émissions du pays ne sont plus compensées par le captage de CO2 par les terres agricoles, les arbres, les plantes et les cours d’eau. En 2020, cette date du dérèglement tombe le 5 mars. Autrement dit, en deux mois et cinq jours, la France a émis la totalité des gaz à effet de serre qu’elle pourrait émettre en un an si elle respectait son objectif de neutralité carbone.

L’objectif de «neutralité carbone» a été fixé à 2050 par la loi Energie-Climat, promulguée en 2019. À cette échéance, les émissions de gaz à effet de serre devront se situer au-dessous de 80 millions de tonnes de CO2e («e» pour «équivalent», qui permet de prendre en compte l’impact de l’ensemble des gaz à effet de serre comme le méthane).

En utilisant cet objectif pour 2050, le cabinet de conseil indépendant Carbone 4, spécialisé dans la transition énergétique, a utilisé les chiffres officiels du gouvernement. Puis, les membres de ce Cabinet se sont basés sur les chiffres des émissions de 2017, corrigées des variations saisonnières, et ils ont extrapolé les émissions de 2020. Ces résultats ont été obtenus en suivant la tendance de 2011 à 2017. C’est ainsi qu’a été calculée la date du 5 mars.

Grâce aux réductions des émissions nationales qui ont déjà été engagées, la date a été retardée de trois jours en quatre ans. Le rythme de diminution est d’environ 6 millions de tonnes de CO2 par an. À ce rythme on n’atteindra la neutralité carbone qu’en 2085, pas en 2050 !

Cet exercice sera reproduit chaque année, afin de mesurer la différence entre les discours et les actes.

Source : Presse nationale, Le Figaro en particulier.

La courbe de Keeling sur un an (Source: NOAA)

Chine / China: CO2 emissions vs. CO2 concentrations

Suite à l’apparition du coronavirus en Chine, plusieurs documents circulent sur Internet pour montrer, avec tambours et trompettes, que les EMISSIONS de gaz polluants comme le gaz carbonique (CO2) et le dioxyde d’azote (NO2)  sont en baisse dans ce pays suite à la mise au ralenti de l’activité industrielle. C’est tout à fait vrai. Par contre, ce que personne ne dit, c’est que les CONCENTRATIONS de CO2 dans l’atmosphère sont restées stables dans le même temps, comme le montre la courbe de Keeling qui rend compte de ces concentrations sur le volcan Mauna Moa à Hawaii.

Cela confirme ce que j’écris depuis longtemps: il faudra des décennies – à condition que l’on cesse immédiatement d’envoyer des gaz à effet de serre – pour que l’atmosphère retrouve un semblant d’équilibre. Jean-Louis Etienne avec qui je discutais de ce sujet l’an dernier pensait qu’il faudrait un siècle pour arriver à une situation convenable.

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Following the appearance of coronavirus in China, several documents can be found on the Internet showing, with drums and trumpets, that the EMISSIONS of polluting gases like carbon dioxide (CO2) and nitrogen dioxide (NO2) are dropping in this country following the slowdown of industrial activity. It is totally true. However, what nobody says is that the CO2 CONCENTRATIONS in the atmosphere have remained stable at the same time, as shown by the Keeling Curve which accounts for these concentrations on Mauna Moa volcano in Hawaii.
This confirms what I have been writing for a long time: it will take decades – provided that we immediately stop sending greenhouse gases – for the atmosphere to return to a semblance of equilibrium. Jean-Louis Etienne with whom I discussed this subject last year thought that it would take a century to reach an acceptable situation.

Émissions de CO2 vs. Concentrations de CO2

Les médias nous racontent ces jours-ci avec tambours et trompettes que, grâce au Coronavirus en Chine, les émissions de CO2 ont baissé car les industries chinoises tournent au ralenti. Selon le site Carbon Brief le 19 février, ces émissions se sont réduites d’au moins 100 millions de tonnes par rapport à l’an dernier, soit une réduction d’un quart.

Tout le monde se réjouit, mais il ne faudrait pas s’emballer trop vite ! C’est encourageant, mais cette situation appelle deux remarques :

1) Il s’agit des émissions de CO2, à ne pas confondre avec les concentrations de ce même gaz dans l’atmosphère qui, elles, n’ont guère varié depuis le début de l’épidémie. Ainsi, selon la Scripps Institution, elles atteignaient 414,36 ppm le 1er février, 415,67 ppm le 10 et 413,62 ppm le 18 de ce même mois, ce qui reste une concentration extrêmement élevée.

Il faudrait une réduction des émissions de CO2 sur une très longue période – et pas seulement en Chine – pour que l’on observe une réduction significative des concentrations de ce gaz dans l’atmosphère. Comme me le faisait remarque le Dr Jean-Louis Etienne il y a quelque temps, à supposer que l’on puisse arrêter les émissions de CO2 dans le monde d’un coup de baguette magique, il faudrait au moins un siècle pour que notre planète retrouve un semblant d’équilibre.

2) On peut s’attendre à un plan chinois de relance économique lorsque la crise sanitaire sera terminée, avec forcément davantage de charbon consumé…et de CO2 émis !

Les gaz à effet de serre ont de beaux jours devant eux !

Concentrations de CO2 au sommet du Mauna Loa (Hawaii) le 18 février 2020 (Source: Scripps Institution)

La hausse des émissions de CO2 liées à l’énergie en 2018 // Increase of energy-related CO2 emissions in 2018

Un rapport diffusé par l’Agence Internationale de l’Energie (AIE).explique que les émissions de gaz à effet de serre du secteur de l’énergie (avec trois postes majeurs: le pétrole, le charbon et le gaz) devraient encore croître en 2018 après avoir atteint un niveau record en 2017. C’est une bien mauvaise nouvelle à quelques semaines de la COP24 prévue en décembre à Katowice (Pologne). La réunion de Katowice est censée finaliser l’accord de Paris qui entrera en vigueur en 2020 et appelle à limiter le réchauffement climatique « bien en dessous » de 2°C, voire 1,5°C si possible.

Suite à ma note sur la Courbe de Keeling, il est bon de rappeler que la notion de concentration de CO2 est à distinguer de ces chiffres concernant les émissions de CO2. Les émissions représentent ce qui entre dans l’atmosphère en raison des activités humaines, la concentration indique ce qui reste dans l’atmosphère au terme des interactions entre l’air, la biosphère et les océans. D’une année à l’autre, la concentration de CO2 peut s’accélérer ou ralentir en raison de phénomènes naturels comme El Niño, ce qui signifie que la tendance n’est pas forcément exactement la même que pour les émissions de CO2 liées à la combustion des énergies fossiles.

Du point de vue des lois de la physique et de la chimie, la limitation du réchauffement planétaire à 1,5ºC est possible, mais il faudrait, pour la réaliser, des changements sans précédent. C’est ce qu’a expliqué le GIEC dans son dernier rapport publié le 8 octobre 2018 (voir ma note à ce sujet). Au rythme actuel, le seuil de 1,5°C serait atteint entre 2030 et 2052.

Pour rester en dessous de 1,5°C de réchauffement, il faudrait une baisse émissions de CO2 de 45% d’ici 2030 par rapport à leur niveau de 2010 pour parvenir à un bilan nul des émissions aux alentours de 2050. C’est un secret de polichinelle ; le monde ne se dirige pas vers les objectifs de l’accord de Paris ; il s’en éloigne. Alors que les énergies renouvelables ont fortement augmenté, leur croissance n’est toutefois pas assez importante pour inverser les tendances des émissions de CO2.

En 2017, selon l’AIE, la consommation mondiale d’énergie primaire avait avoisiné 14 050 millions de tonnes équivalent pétrole. (Mtep), ce qui correspond à une hausse de 2,1% par rapport à 2016 et de 40% par rapport à 2000. La part des énergies fossiles dans la demande énergétique mondiale est à un niveau stable depuis plus de trois décennies malgré la forte croissance des énergies renouvelables.

La consommation de charbon avait augmenté de près de 1% en 2017, après deux années de déclin, en raison d’une forte demande asiatique pour sa production d’électricité. Les consommations de pétrole et de gaz naturel au niveau mondial avaient respectivement augmenté de 1,6% et 3%. La production du parc nucléaire mondial avait augmenté de 3%.

Les énergies renouvelables ont représenté près d’un quart de la hausse de la consommation mondiale l’an dernier. Leur développement est tiré par les filières productrices d’électricité (+6,3% en 2017), en particulier par l’éolien, le solaire photovoltaïque et l’hydroélectricité.

Source : Agence Internationale de l’Energie, Global Climat.

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A report released by the International Energy Agency (IEA) explains that greenhouse gas emissions from the energy sector (with three major fields: oil, coal and gas) are expected to increase. in 2018 after reaching a record high in 2017. This is bad news just a few weeks before COP24 in December in Katowice (Poland). The Katowice meeting is supposed to finalize the Paris agreement, which will come into force in 2020 and calls for limiting global warming « well below » 2°C, or 1.5°C, if possible.
Following my note on the Keeling Curve, it is worth remembering that the notion of CO2 concentration is to be distinguished from the figures concerning CO2 emissions. Emissions represent what enters the atmosphere because of human activities, whereas the concentration indicates what remains in the atmosphere in the wake of the interactions between the air, the biosphere and the oceans. From one year to the other, the CO2 concentration can accelerate or slow down due to natural phenomena like El Nño, which means that the trend is not necessarily exactly the same as for the CO2 emissions related to the burning of fossil energies.
From the point of view of the laws of physics and chemistry, the limitation of global warming to 1.5ºC is possible, but it would require unprecedented changes. This was explained by the IPCC in its latest report published on October 8th, 2018 (see my note on this topic). At the current rate, the 1.5°C threshold would be reached between 2030 and 2052.
To stay below 1.5°C of global warming, it would be necessary to reduce CO2 emissions by 45% by 2030 compared to their 2010 level to achieve zero emissions in the 2050’s. It is an open secret; the world is not moving towards the objectives of the Paris Agreement; it is moving away from it. Even though renewable energies have risen sharply, their growth is not large enough to reverse CO2 trends.
In 2017, according to the IEA, the world’s primary energy consumption was around 14,050 million tonnes of oil equivalent. (Mtoe), which corresponds to an increase of 2.1% compared to 2016 and 40% compared to 2000. The share of fossil fuels in global energy demand has been stable for more than three decades despite the strong growth of renewable energies.
Coal consumption increased by almost 1% in 2017, after two years of decline, due to strong Asian demand for electricity generation. World oil and natural gas consumption increased by 1.6% and 3%, respectively. The output of the world’s nuclear power stations increased by 3%.
Renewables accounted for almost a quarter of the increase in global consumption last year. Their development is driven by the electricity generating sectors (+ 6.3% in 2017), in particular by wind, solar, photovoltaic and hydropower.
Source: International Energy Agency, Global Climat.

Estimation préliminaire (en violet) des émissions de CO2 en gigatonnes (109 tonnes) pour 2018. [Source : IEA]