Deux éruptions jumelles au 15ème siècle ont déclenché des décennies de froid autour de la Terre // Twin 15th-century eruptions triggered decades of cold around Earth

Une nouvelle analyse de carottes de glace prélevées en Antarctique révèle qu’il y a près de 600 ans, vers 1458-1459, deux volcans sont entrés en éruption presque simultanément, enveloppant la planète d’un voile de cendres et de soufre. Ce phénomène a déclenché l’une des décennies les plus froides du dernier millénaire et modifié le climat dans les deux hémisphères.
De nouvelles preuves qui se dissimulaient dans la glace de l’Antarctique montrent aujourd’hui que l’événement, longtemps attribué à un seul volcan du Pacifique, était en réalité le résultat d’une double éruption. L’une provenait du Kuwae, un volcan sous-marin situé entre les îles Epi et Tongoa au Vanuatu, l’autre d’un volcan non identifié quelque part dans l’hémisphère sud.

 

Source : Oregon State University

L’étude, publiée dans Communications Earth & Environment en 2025, est le fruit d’une collaboration entre des scientifiques coréens et russes qui ont analysé du verre volcanique microscopique emprisonné au cœur de la glace antarctique. Ces fragments contiennent des indices chimiques qui révèlent à la fois la chronologie et l’origine des éruptions anciennes.
Les années 1450 comptaient déjà parmi les décennies les plus froides de notre ère. Les archives historiques décrivent de très mauvaises récoltes, l’avancée des glaciers et des gelées soudaines de l’Europe à l’Asie.

Pendant des décennies, ces anomalies ont été imputées à l’éruption du Kuwae dont l’éruption remonterait à 1452. Cependant, les carottes de glace de l’Antarctique et du Groenland révèlent deux pics de soufre bien distincts : l’un en 1452 et l’autre en 1458. Le signal le plus fort de 1458 laisse supposer que le refroidissement principal a commencé plusieurs années plus tard qu’on ne le pensait. Les scientifiques ont alors émis l’hypothèse qu’un autre volcan en était responsable.
La dernière étude confirme ces soupçons. Ses auteurs ont découvert que les éclats de verre présents dans la glace antarctique de 1458-1459 présentaient deux compositions chimiques distinctes : l’une dacitique, correspondant à Kuwae, et l’autre rhyolitique, donc d’origine différente. Cela signifie que deux grandes éruptions ont eu lieu sur la planète à quelques mois d’intervalle. Elles ont épaissi le voile d’aérosols qui recouvrait la Terre et amplifié le refroidissement qui a suivi.
Ensemble, ces deux panaches ont réduit les températures mondiales d’environ 0,4 °C pendant plusieurs années. Les cernes des arbres d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Nord confirment une période de croissance raccourcie et des étés exceptionnellement froids qui a duré jusqu’à la fin des années 1460.
Les preuves de cette double éruption proviennent d’une carotte de 30,18 m prélevée près de la station Vostok, en Antarctique oriental, en 2021.

 Vue de la station Vostok (Crédit photo : Arctic and Antarctic Research Institute)

La glace à cette profondeur s’est formée il y a environ six siècles tout en capturant les empreintes chimiques de l’événement de 1458-1459. Les scientifiques ont extrait 14 éclats de verre volcanique de cette glace. Chaque particule étant trop petite pour être analysée avec les techniques de laboratoire conventionnelles, les chercheurs ont eu recours à la microscopie électronique avec spectrométrie de rayons X à dispersion d’énergie. Ils ont mesuré la composition chimique de chaque éclat de verre volcanique. La moitié des éclats présentait une composition dacitique typique de Kuwae, tandis que les autres étaient rhyolitiques, ce qui ne correspondait pas, non plus, aux échantillons du Reclus, un volcan chilien autrefois soupçonné d’être la deuxième source éruptive. Cela signifiait que les éclats rhyolitiques provenaient d’un volcan non répertorié, situé dans l’extrême sud. Les candidats probables se trouvent dans le sud de l’Amérique du Sud, dans les îles subantarctiques, voire dans la péninsule Antarctique proprement dite.
L’analyse des cendres et du dioxyde de soufre (SO2) émis dans l’atmosphère a révélé un schéma compatible avec deux éruptions distinctes. Au final, les preuves plaident en faveur d’un scénario d’éruptions quasi simultanées, où la charge atmosphérique combinée a intensifié le refroidissement au-delà de ce que chacune des éruptions aurait pu produire individuellement.

Concernant l’effet sur le climat, ces éruptions jumelles ont prolongé le refroidissement en bloquant simultanément la lumière du soleil dans les deux hémisphères. Cela explique pourquoi le refroidissement des années 1450 a été plus fort et plus durable. L’intégration du comportement du double panache dans les modèles climatiques pourrait améliorer les prévisions des variations de température et des délais de récupération de l’atmosphère après une éruption. L’étude montre également qu’il est important de combiner les données des deux régions polaires.
Source : The Watchers.

Références scientifiques :

1 Antarctic ice reveals two volcanoes erupting simultaneously may have caused 15th-century cooling – Phys.org – October 22, 2025

2 Origin of the 1458/59 CE volcanic eruption revealed through analysis of glass shards in the firn core from Antarctic Vostok station – Seokhyun Ro et al. – Nature – October 20, 2025 – https://doi.org/10.1038/s43247-025-02797-x – OPEN ACCESS.

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A new analysis of Antarctic ice cores reveals that nearly 600 years ago, around 1458–1459 CE, two massive volcanoes erupted almost simultaneously, shrouding the planet in a veil of ash and sulfur that triggered one of the coldest decades of the last millennium and altered weather across both hemispheres.

New evidence preserved in Antarctic ice now shows that the event long attributed to a single volcano in the Pacific was in fact a dual eruption, one from Kuwae in Vanuatu and another from an unidentified volcano somewhere in the Southern Hemisphere.

The study, published in Communications Earth & Environment in 2025, was the result of a collaboration between Korean and Russian scientists who analyzed microscopic volcanic glass trapped deep inside Antarctic ice. These fragments hold chemical clues that reveal both the timing and origin of ancient eruptions.

The 1450s were already one of the coldest decades in the Common Era. Historical records describe failed harvests, advancing glaciers, and sudden frosts stretching from Europe to Asia. For decades, these anomalies were blamed on the eruption of Kuwae, a massive submarine volcano in the Pacific, believed to have erupted in 1452

However, Antarctic and Greenland ice cores reveal two distinct sulfur spikes: one in 1452 and another in 1458. The stronger signal in 1458 suggestd the main cooling began several years later than previously thought. Scientists began to believe that another volcano, was responsible.

The new study confirms that suspicion. It found that glass shards in the 1458–1459 layer of Antarctic ice have two distinct chemical compositions: one dacitic, matching Kuwae, and another rhyolitic, belonging to a different source.This means two large eruptions struck the planet within months of each other, thickening the global aerosol haze and amplifying the cooling that followed.

Together, the twin plumes reduced global temperatures by roughly 0.4°C for several years. Tree rings from Asia, Europe, and North America confirm a period of shortened growing seasons and unusually cold summers that lasted well into the late 1460s.

The evidence comes from a 30.18 m firn core drilled near Vostok Station in East Antarctica in 2021. The ice at that depth formed roughly six centuries ago, capturing the chemical fingerprints of the 1458/59 event. Scientists in their labs later extracted 14 volcanic glass shards from that layer. As each particle was too small to analyze using conventional laboratory techniques, the researchers resorted to electron microscopy with energy-dispersive X-ray spectrometry. They measured the chemical composition of each shard. Half of the shards showed a dacitic composition typical of Kuwae, while the rest were rhyolitic, inconsistent with samples from Reclus, a Chilean volcano once suspected of being the second source. This meant the rhyolitic shards came from an undocumented volcano somewhere in the far south. The likely candidates lie in southern South America, the sub-Antarctic islands, or even the Antarctic Peninsula itself.

The analysis of the ash and sulfur dioxide (SO2) sent into the atmosphere revealed a pattern consistent with two separate eruptions. In the end, the evidence strongly supports a near-simultaneous eruption scenario, where the combined atmospheric load intensified cooling beyond what either eruption could have achieved alone.

As far as the effect on the climate is concerned, such dual eruptions prolong cooling by keeping sunlight blocked from both hemispheres simultaneously. This helps explain why the 1450s cooling was stronger and longer-lasting than expected from Kuwae alone. Including dual-plume behavior in climate models could improve predictions of post-eruption temperature changes and recovery times. The research also shows the importance of combining data from both polar regions.

Source : The Watchers.

Scientific references:

1 Antarctic ice reveals two volcanoes erupting simultaneously may have caused 15th-century cooling – Phys.org – October 22, 2025

2 Origin of the 1458/59 CE volcanic eruption revealed through analysis of glass shards in the firn core from Antarctic Vostok station – Seokhyun Ro et al. – Nature – October 20, 2025 – https://doi.org/10.1038/s43247-025-02797-x – OPEN ACCESS.

Effets planétaires de phénomènes naturels // Planetary effects of natural phenomena

Depuis la nuit des temps, la planète Terre a été victime de phénomènes naturels majeurs qui ont affecté ou bouleversé les formes de vie à sa surface. On peut citer à l’extinction des dinosaures il y a 66 millions d’années suite à la chute d’une météorite sur la Péninsule du Yucatan au Mexique, ou suite à des éruptions volcaniques colossales dans les Trapps du Deccan en Inde, ou par les deux, selon les théories.
Plus tard, les Dix Plaies d’Égypte sont souvent liées à l’éruption cataclysmale du volcan de Santorin (Grèce) au 16ème siècle avant notre ère. Elle a mis fin à la civilisation minoenne.

En 1257 se produisit une éruption volcanique dont l’origine est longtemps restée un mystère qui a été résolu par deux volcanologues français, Jean-Christophe Komorowski et Franck Lavigne, entre 2010 et 2013 : l’éruption eut lieu sur le volcan Samalas, sur l’île de Lombok en Indonésie. Les climatologues qui l’ont étudiée à leur tour indiquent que cette éruption fut si puissante que, par la masse de particules volcaniques expulsées et en circulation dans l’atmosphère, elle provoqua des dérèglements climatiques à l’échelle du monde. L’hémisphère sud fut d’abord touché, suivi de l’hémisphère nord et, en particulier, de l’Europe où, à certains endroits, la température chuta de manière sensible et durable pendant au moins un an. En lisant les archives religieuses de l’époque, on apprend que Londres fut frappée par une période de grand froid, en plein été 1257. Les pluies incessantes rendirent les routes boueuses, en même temps que des milliers de personnes mouraient de faim et de maladie du fait de récoltes insuffisantes liées au mauvais temps. En Allemagne, les annales de la ville de Spire révèlent qu’au cours de cette même année 1257, les températures étaient très faibles pour la saison. Les nuages bas et le brouillard qui recouvraient le pays à ce moment-là étaient probablement issus du déplacement des immenses masses de particules volcaniques dans l’atmosphère, depuis l’Indonésie à travers le globe.

Un peu plus tard dans le Moyen Âge, 1453 est souvent retenue par les historiens comme l’année décisive où Constantinople, la capitale de l’empire byzantin, fut conquise par les Turcs ottomans, marquant ainsi la disparition d’un des plus grands empires de l’histoire et, avec lui, la fin de la période médiévale. L’Histoire raconte aussi que le 25 mai 1453, quatre jours avant l’assaut final des Turcs sur Constantinople, un épais brouillard enveloppait la ville assiégée. Pour les chercheurs du 21ème siècle, cette brume s’explique par un événement de plus grande ampleur que le siège de Constantinople : l’éruption  du volcan Kuwae, une caldeira sous-marine au Vanuatu en 1452. Elle a souvent été baptisée « l’éruption oubliée ». L’île volcanique de Kuwae fut détruite et prit la forme d’un gigantesque cratère. L’événement envoya quelque 35 km3 de matières volcaniques dans l’atmosphère, ce qui produisit un immense nuage de poussière qui parcourut le globe et fit écran au rayonnement solaire. Cela provoqua, comme en 1257, une baisse de la température mondiale allant jusqu’à 1°C pendant un ou deux ans. Les conséquences de l’éruption ne furent pas seulement observées à Constantinople. Au Caire, en Egypte, les crues du Nil furent insuffisantes ; la famine régna à Moscou ; en Chine, les chroniques mentionnent des chutes de neige pendant quarante jours au sud du Fleuve Jaune. L’éruption au Vanuatu affecta donc des espaces extrêmement éloignés les uns des autres.

Beaucoup plus près de nous, les catastrophes naturelles de l’automne 2017 ont, elles aussi, dépassé les frontières nationales et provoqué d’importants bouleversements à plusieurs endroits de la planète. Les ouragans Harvey, Irma, Jose, Katia, Maria, Lee et Ophelia ont mis en péril des régions et des populations entières. Le golfe du Mexique et l’archipel des Caraïbes ont été les principales zones touchées. En effet, l’ouragan Ophélia a pris une trajectoire inédite en remontant le long de la façade atlantique européenne avant de frapper l’Irlande. Ses effets se sont faits ressentir jusqu’à Londres ou encore aux Pays-Bas et en Belgique. En France, le long de la côte atlantique, on a pu observer, de manière assez inattendue, un ciel rouge-orangé digne des tableaux réalisés après l’éruption du Tambora en 1815.

Comme au Moyen Age, les catastrophes naturelles de 2017 ont, elles aussi, dépassé les frontières nationales et provoqué d’importants bouleversements à plusieurs endroits de la planète. Toutefois, l’une des différences fondamentales avec le Moyen Âge est que ce type d’événement pourrait devenir plus intense et donc plus destructeur à l’avenir, du fait du dérèglement climatique. Le monde est donc de plus en plus connecté face aux phénomènes environnementaux. Il faudrait que TOUS les gouvernements retiennent la leçon car le problème ne se règlera jamais à la seule échelle nationale.

Note inspirée d’un article paru dans Actuel Moyen Age et qui m’a aimablement été communiqué par Dominique Belmer, fidèle lectrice de mon blog.

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Since the dawn of time, planet Earth has been the target of major natural phenomena which have affected or upset the forms of life at its surface. One might refer to the extinction of dinosaurs that were exterminated 66 million years ago by the fall of a meteorite on the Yucatan Peninsula in Mexico, or by major volcanic eruptions in the Deccan Traps in India, or by both, according to the theories.

Later, the Plagues of Egypt – also called Ten Biblical Plagues – are often related to the eruption of Santorini Volcano in the sixteenth century B.C. which brought an end to the Minoan civilisation.

In 1257 there was a volcanic eruption whose origin has long remained a mystery that was solved by two French volcanologists, Jean-Christophe Komorowski and Franck Lavigne, between 2010 and 2013: the eruption took place on the Samalas Volcano, on Lombok Island in Indonesia. The climatologists who studied the event indicate that this eruption was so powerful that,  the mass of volcanic particles that was expelled circulated in the atmosphere and caused climatic disturbances at the scale of the world. The southern hemisphere was first hit, followed by the northern hemisphere and, in particular, Europe, where in some places the temperature fell significantly and persistently for at least a year. Reading the religious archives of the time, we learn that London went through a period of great cold in the summer of 1257. The roads were muddy because of the rain while thousands of people were dying of hunger and disease because of insufficient harvests due to bad weather. In Germany, the annals of the city of Spire reveal that during 1257, the temperatures were very low for the season. The low clouds and fog that covered the country at that time were probably the result of the massive masses of volcanic particles moving into the atmosphere, from Indonesia across the globe.
A little later in the Middle Ages, 1453 is often remembered by historians as the year when Constantinople, the capital of the Byzantine Empire, was conquered by the Ottoman Turks, marking the death of one of the greatest empires in history and, with it, the end of the medieval period. History also tells us that on May 25th, 1453, four days before the final assault of the Turks on Constantinople, a thick fog enveloped the besieged city. For 21st century researchers, this haze can be explained by an event of greater magnitude than the siege of Constantinople: the eruption of the Kuwae Volcano, an underwater caldera in Vanuatu in 1452. It was often called “the forgotten eruption”. The volcanic island of Kuwae was destroyed and took the form of a gigantic crater. The event sent some 35 cubic kilometres of volcanic material into the atmosphere, producing a huge cloud of dust that circled the globe and screened solar radiation. As in 1257, this caused a drop in global temperature of up to 1°C for one or two years. The consequences of the eruption were not only observed in Constantinople. In Cairo, Egypt, the floods of the Nile were insufficient; famine rprevailed in Moscow; in China, chronicles mention snowfalls for forty days south of the Yellow River. The eruption in Vanuatu therefore also affected extremely remote areas.
Closer to us, the natural disasters of the autumn 2017 have also gone beyond national borders and caused major upheavals in many parts of the world. Hurricanes Harvey, Irma, Jose, Katia, Maria, Lee and Ophelia have endangered entire regions and populations. The Gulf of Mexico and the Caribbean archipelago were the main affected areas. Indeed, Hurricane Ophelia took an unprecedented course up the Atlantic coastline before hitting Ireland. Its effects have been felt as far as London or the Netherlands and Belgium. In France, along the Atlantic coast, one observed, quite unexpectedly, a red-orange sky worthy of paintings made after the eruption of Tambora in 1815.
Like in the Middle Ages, the natural disasters of 2017 have also transcended national borders and caused major upheavals in many parts of the world. However, one of the fundamental differences with the Middle Ages is that this type of event could become more intense and therefore more destructive in the future, due to climate change. The world is therefore increasingly connected to environmental phenomena. ALL governments should learn the lesson because the problem will never be solved at the national level.
Note inspired by an article in Actuel Moyen Age and which was kindly communicated to me by Dominique Belmer, a faithful reader of my blog.

Complexe volcanique Rinjani (Ile de Lombok)  [Crédit photo : Wikipedia]

Localisation des volcans sous-marins Kuwae et Makura (Source : Wikipedia)