L’agonie de la Mer de Glace (France) [suite]

Après un premier chapitre consacré à la hausse des températures dans le monde, ma conférence « Glaciers en péril, les conséquences du réchauffement climatique » débute par la situation dans les Alpes et en particulier la Mer de Glace. J’ai visité le glacier pour la première fois à l’âge de 8 ans. Dans les années 1950-1960, il n’y avait pas besoin d’un télécabine et plus de 400 marches pour atteindre la grotte percée dans le glacier. On y accédait pratiquement de plain pied.

Aujourd’hui, le réchauffement climatique a eu raison de la Mer de Glace. Les repères annuels qui ponctuent la descente par l’escalier métallique montrent avec quelle vitesse le glacier a fondu. On peut presque affirmer qu’à l’instar de l’Okjökull en Islande il est à l’agonie, voire mort.

Un article paru sur le site de la radio France Info nous montre une autre conséquence de l’effet du réchauffement climatique sur la Mer de Glace. Au cœur du glacier, la centrale hydroélectrique est, elle aussi, rattrapée par la hausse des températures et EDF a engagé une course contre la montre pour trouver un nouveau point de captage.

Grégoire Lecalot, journaliste à France Info, explique que l’on accède à la centrale par une galerie de deux kilomètres de long, creusée dans la montagne. Au bout de cette galerie, il faut escalader un escalier de fer particulièrement pentu. On arrive enfin au niveau des trois prises d’eaux qui montrent parfaitement la course engagée entre EDF et la fonte du glacier. Un technicien de l’exploitation explique qu’il y a 10 ans, le glacier et la prise d’eau pour capturer l’eau étaient beaucoup plus bas. Compte tenu du réchauffement climatique, il a fallu creuser une nouvelle galerie d’environ un kilomètre pour aller chercher l’eau plus haut. Les températures n’ayant pas cessé de grimper et le glacier n’ayant pas cessé de fondre, il faut de nouveau aller chercher l’eau différemment.

Ces nouveaux travaux vont coûter 3 millions d’euros, à ajouter aux 25 millions qu’il avait fallu consacrer à la recherche de l’actuel point de captage de l’eau. Ce dernier, similaire à une cascade, débouche sur une salle souterraine. Des ouvriers y travaillent au renforcement des parois. Il faut faire vite car la salle n’est accessible que trois mois par an. Au centre, un bassin recueille l’eau du torrent glaciaire. Le plafond de la salle est constitué de la glace du glacier de la Mer de Glace. Pour le moment, son épaisseur est de plusieurs dizaines de mètres, mais il va continuer de fondre a raison de 40 à 50 mètres par an.

L’avenir de la Mer de Glace s’annonce très sombre. Dans sa conclusion, Grégoire Lecalot explique que « si le réchauffement climatique se poursuit au même rythme, les générations futures ne verront plus de la Mer de Glace qu’un lac et un torrent de montagne. La centrale électrique sera peut-être toujours là mais elle captera l’eau au débouché du torrent, à l’air libre, comme de nombreuses autres. Les huit kilomètres de galeries creusées au cœur du massif du mont Blanc ne raconteront alors plus qu’une vieille histoire. »

Vous pourrez lire le reportage dans son intégralité à cette adresse :

https://www.francetvinfo.fr/economie/energie/reportage-au-coeur-de-la-centrale-hydroelectrique-de-la-mer-de-glace-rattrapee-par-le-rechauffement-climatique_4975395.html

Voici la Mer de Glace en août 1956 :

La voici en septembre 2020 :

France: Sécheresse et centrales nucléaires

Cet été, la sécheresse a affecté de nombreux départements et les températures du début d’automne n’ont pas arrangé la situation. De toute évidence, les médias ont pour consigne de ne pas affoler la population, mais il faut bien se rendre à l’évidence : la situation est sérieuse.  Les médias en parlent peu, mais les épisodes de sécheresse, susceptibles de se multiplier dans les prochaines années, risquent fort d’impacter le fonctionnement des centrales nucléaires dont les besoins en eau sont considérables.

Une centrale nucléaire a besoin d’eau en permanence pour évacuer la chaleur produite par la réaction nucléaire, et ce même à l’arrêt. En bord de mer ou sur les cours d’eau à fort débit, les centrales fonctionnent en circuit « ouvert » : chaque réacteur prélève près de 50 mètres cubes par seconde pour ses besoins en refroidissement. L’eau est ensuite rejetée à une température plus élevée.

Sur les cours d’eau où le débit est plus faible, les centrales nucléaires fonctionnent en circuit dit « fermé » : chaque réacteur pompe près de 2 à 3 mètres cubes par seconde dont une partie est ensuite évaporée dans les tours de refroidissement d’où s’échappe un panache blanc caractéristique ; le reste est ensuite rejeté.

Le fonctionnement des centrales nucléaires en été exige un débit suffisant, d’où certains arrangements pour conserver suffisamment d’eau dans les fleuves. J’habite en Limousin où la Vienne – qui prend sa source sur le Plateau de Millevaches – refroidit en aval la centrale de Civaux. On a l’habitude de dire que mille vaches alimentent six veaux ! Il faut savoir qu’en cas de sécheresse, EDF prélève de l’eau sur le lac de Vassivière, situé sur le Plateau, pour que la Vienne continue à refroidir la centrale de Civaux. Entre début juillet et aujourd’hui, EDF a utilisé plus de 50 % des réserves d’eau des retenues du Thaurion et de la Maulde pour soutenir le débit de la Vienne. En effet, le département de la Haute-Vienne a connu un déficit pluviométrique de 60 % par rapport à la normale en août, avec une pointe à 74 % en septembre. Cette sécheresse, associée à des températures chaudes (supérieures de 2.4° C à la normale) a eu un impact sur l’écoulement des cours d’eau.

Les rejets d’eau chaude des centrales nucléaires ne font pas le bonheur des milieux aquatiques. Ces rejets thermiques agissent comme une barrière qui réduit considérablement les chances de survie des poissons grands migrateurs comme les saumons et truites des mers. Leur impact est d’autant plus important en période de fortes chaleurs, avec des fleuves au débit réduit et à la température en hausse.

Etant donné que la loi fixe des limites au réchauffement des fleuves, EDF peut se voir contrainte de réduire la puissance de certains réacteurs et pourrait théoriquement être conduite à les arrêter en cas de trop forte chaleur, mais tout arrêt de réacteur représente un manque à gagner d’un million d’euros par jour, si bien que le fournisseur d’électricité s’efforce d’obtenir des dérogations. Ainsi, pendant la canicule de 2003, un grand nombre de centrales ont bénéficié de dérogations successives. Dans les années suivantes, chaque centrale a eu droit à une réglementation plus souple, avec une température limite en aval à ne pas dépasser basée sur une moyenne de 24heures. Si, en cas de « canicule extrême et nécessité publique », les limitations habituelles ne peuvent être respectées, un décret de 2007 autorise à modifier encore les conditions de rejets thermiques.

En temps normal, les centrales nucléaires sont autorisées à rejeter dans l’eau d’importantes quantités de substances radioactives. La chaleur favorisant la prolifération des amibes, EDF a tendance à utiliser plus de produits chimiques en été, notamment pour éviter que les tours de refroidissement se transforment en foyers de légionellose. En dessous d’un débit particulièrement bas, les rejets chimiques dans les cours d’eau sont interdits. Ces substances sont alors stockées dans de grands réservoirs en attendant des conditions plus propices. Le problème, c’est que ces stockages précaires ne permettent de tenir que quelques semaines. Bien que la situation ne se soit encore jamais présentée, EDF pourrait être contrainte d’arrêter les centrales si la sécheresse perdurait alors que ces réservoirs sont pleins. Dans tous les cas, ces substances seront rejetées plus tard dans l’année. Or un grand nombre de communes prélèvent leur eau potable dans les cours d’eau, comme Agen (Lot-et-Garonne), à seulement 20 km en aval de la centrale nucléaire de Golfech. Et bien des agriculteurs utilisent cette eau polluée pour arroser leurs cultures. Les conséquences sont faciles à imaginer.

Le changement climatique et la multiplication des épisodes extrêmes risquent d’aggraver la pression sur les cours d’eau. Arrivera le jour  où bon nombre de centrales ne pourront plus produire d’électricité. Des études prédisent une baisse de débit d’étiage des fleuves de 20 à 40 % d’ici à 2050, mais il ne sera sans doute pas nécessaire d’attendre cette date. Dès 1995, les commissaires-enquêteurs en charge de l’enquête publique pour la centrale de Civaux avaient émis un avis défavorable, estimant que les rejets prévus n’étaient pas compatibles avec le débit de la Vienne.

Source : Réseau Sortir du Nucléaire.

NB : On pourrait accuser l’auteur de l’article de manquer d’objectivité car on connaît la position du réseau par rapport au nucléaire. Pourtant, force est de constater que les épisodes de sécheresse à répétition vont poser de sérieux problèmes à la production d’électricité par les centrales. Il ne faudrait pas oublier non plus que les barrages hydroélectriques dépendent des rivières et que leur production pourrait être rapidement affectée si le débit des cours d’eau chute trop rapidement dans les prochaines années.

Vue de la centrale nucléaire de Civaux (Crédit photo: Wikipedia)