Le Groenland : un pôle économique et géostratégique majeur (2ème partie)

Les géants américains de la Tech entendent bien exploiter la Route du Grand Nord, la plus courte entre l’Asie et l’Europe, pour y faire passer leurs câbles de fibre optique. Les centres de stockage des données dans lesquels se trouvent les serveurs sont climatisés pour refroidir les infrastructures ; aller chercher du froid constitue un élément clé. Certains acteurs de la Silicon Valley ont déjà installé des serveurs en Laponie suédoise ou en Islande.

On nous l’a souvent expliqué : les Américains sont très intéressés par les richesses contenues dans le sous-sol groenlandais : or, cuivre, zinc, nickel, graphite, uranium, etc. On trouve aussi des terres rares comme le néodyme qui entre dans la fabrication des aimants industriels, des systèmes de guidage de fusée, et même des moteurs d’avions. Un certain nombre de métaux, comme l’aluminium, le gallium, le germanium ou certains minerais comme le graphite sont considérés comme stratégiques pour l’industrie de Défense. Or les Américains ne produisent pas ou peu de ces matières premières qu’ils doivent envoyer en Chine pour le raffinage. Le Groenland pourrait donc servir de réserve stratégique aux États Unis, ce qui leur permettrait de moins dépendre de la Chine.

Source : Observatoire de l’Arctique

De son côté, la Chine possède 40 % des réserves des métaux stratégiques et contrôle 70% de leur production. En élargissant son emprise géostratégique sur le Groenland, la Chine pourrait atteindre entre 70% et 75% de la production des métaux rares. Dès 2010-2011, le gouvernement chinois a proposé au gouvernement groenlandais la constitution d’un cartel des producteurs de terres rares sur le même modèle que ce qui existe sur le pétrole ou le gaz naturel.

On se rend compte que la volonté de dominer le Grand Nord, que ce soit pour les Américains, les Russes ou les Chinois est avant tout une affaire de stratégie. La Chine souhaite réduire l’espace stratégique américain ou en tous cas le contester, et en même temps augmenter son propre espace stratégique pour le contrôle des ressources ainsi que son emprise spatiale. Il est amusant de voir qu’au sein du Conseil de l’Arctique où elle a, comme la France, un statut d’observateur, la Chine – qui n’a aucun littoral arctique – se présente comme “a quasi Arctic country [un pays presque arctique] .

La Chine souhaite ouvrir sa Route de la Soie du Nord (Source : Marine nationale française)

S’agissant de l’uranium, son extraction au Groenland est interdite depuis 2021 (tout comme le pétrole), à la suite de manifestations et du mouvement “Non à l’uranium”, même si la porte n’est pas complètement fermée à son exploitation en deçà d’un certain seuil. L’industriel français Orano (ex-Areva) a suspendu son programme d’exploration sans jamais avoir engagé de travaux sur le terrain. La société, qui est détenue majoritairement par l’État français, reste à disposition des autorités groenlandaises pour apporter son expertise pour une exploration et une exploitation responsable de l’uranium.

Source : Radio France et autres médias d’information internationaux.

Le Groenland : un pôle économique et géostratégique majeur (1ère partie)

Dès son arrivée à la Maison Blanche à l’issue de la dernière élection présidentielle, Donald Trump a fait part de son désir expansionniste : annexer le Canada, le Canal de Panama et le Groenland. Trump n’est pas le seul à être intéressé par la terre nordique qui est aujourd’hui au centre de l’attention mondiale, autant pour des raisons économiques que géostratégiques.

Cette carte montre à quel point la situation du Groenland dans l’Arctique est susceptible d’attiser les convoitises

Lors de son premier passage à la Maison Blanche, Trump avait proposé au Danemark, dont le territoire en dépend, d’acheter le Groenland, mais il s’était vu imposer un refus catégorique par la Première Ministre danoise. Il est bon de rappeler que le Groenland est resté une colonie danoise jusqu’en 1953, avant de recevoir son autonomie en 1979, renforcée en 2009.

Ce n’est pas la première fois, que les États-Unis ont envie de s’approprier le Danemark. En 1867, le président Andrew Johnson espérait racheter le Groenland au Danemark. En vain. Au lieu de cela, les États-Unis ont acheté l’Alaska à la Russie. En 1946, le président Truman a proposé aux Danois d’acheter le Groenland 100 millions de dollars en or, sans plus de succès.

Durant la Seconde Guerre mondiale, les Américains ont installé plusieurs bases militaires au Groenland où ils ont exploité une mine contenant de la cryolite, un minerai utilisé dans la fabrication de l’aluminium. Durant cette période, ils ont également développé des projets nucléaires comme le grand projet Ice Worm qui consistait à creuser des tunnels sous la calotte groenlandaise. Le but était de militariser et de nucléariser le territoire. L’objectif initial était de stocker 600 missiles sous la calotte glacière. Mais le projet a été abandonné en 1967. Il s’articulait autour du Camp Century qui, aujourd’hui avec le réchauffement climatique, est en passe de devenir un désastre écologique. Voir ma note du 9 août 2016 à ce sujet :

https://claudegrandpeyvolcansetglaciers.com/2016/08/09/groenland-les-secrets-de-la-banquise-greenland-the-secrets-of-the-ice/

Tunnels à l’entrée NE de Camp Century au moment de sa construction en 1959. (Source : U.S. Army)

Sur les 17 bases américaines installées au Groenland, il n’en reste aujourd’hui plus qu’une : la base spatiale de Thulé, rebaptisée Pituffik par les Américains en 2023, que le vice-président J.D. Vance est allé visiter en mars 2025. Elle constitue une base de détection d’alerte précoce de lancement de missiles intercontinentaux en provenance de Russie. Pituffik est idéalement située près du pôle pour surveiller l’espace aérien et maritime, sur le versant arctique russe.

Si le Grand Nord représente un espace stratégique majeur pour les Américains, il en va de même pour les Russes. C’est la raison pour laquelle Moscou a construit une nouvelle génération de bateaux brise-glaces à propulsion nucléaire – les Américains sont très en retard dans ce domaine – et a installé six bases aériennes équipées de missiles, dont une se trouve sur un archipel très proche du Groenland.

Suite au désir expansionniste de Trump dans l’Arctique, Vladimir Poutine a prononcé un discours le 27 mars 2025 dans lequel il s’est dit “préoccupé par le fait que les pays de l’OTAN considèrent de plus en plus le Grand Nord comme un tremplin pour d’éventuels conflits.”

Pour Poutine, la voie maritime qui passe au nord de la Sibérie est très importante stratégiquement, car elle n’est pas contrôlable facilement par l’OTAN. Comme je l’explique dans ma conférence « Glaciers en péril », le réchauffement climatique rebat les cartes autour des routes du Nord désormais aussi attractives que les routes du Sud pour les superpuissances. La fonte de la glace va offrir de nouvelles opportunités économiques autour d’une route maritime aujourd’hui sous souveraineté russe.

Le passage du NE (en rouge) offre de nombreux avantages par rapport à la voie de navigation traditionnelle (en bleu)

Source : Radio France et autres médias d’information internationaux.

Réchauffement climatique : l’importance géostratégique grandissante du Svalbard (2ème partie) // Global warming : the growing geostrategic importance of Svalbard (Part 2)

La présence russe au Svalbard remonte aux années 1930, époque où Moscou voulait exploiter le charbon sur le Spitzberg, la plus grande et principale île du Svalbard. L’émission « Des trains pas comme les autres » a consacré un très intéressant reportage à la partie du Svalbard occupée par la Russie. Philippe Gougler y rencontre le seul habitant de Pyramiden, une ville fantôme. Le reportage n’est plus accessible en replay. Vous pourrez toutefois visionner un bon documentaire diffusé sur YouTube et, malheureusement, entrecoupé de publicités. Je vous conseille de commencer à regarder après 5 minutes de présentation publicitaire :

https://www.youtube.com/watch?v=__Qpt3waDak

Depuis l’invasion russe de l’Ukraine, le Svalbard fait également partie du différend arctique Russie-OTAN. L’archipel est proche de la péninsule russe de Kola, qui abrite une partie de l’arsenal de Moscou et où est basée sa flotte du Nord, qui comprend des sous-marins nucléaires. Il faut savoir qu’environ 53 % du littoral de l’Arctique appartient à la Fédération de Russie et que plus de 2,5 millions de personnes y vivent, soit près de la moitié de la population de l’Arctique. De ce fait, le Svalbard est un élément clé de la sécurité et de la défense russes. Son emplacement pourrait aussi être déterminant pour permettre à l’OTAN de contrôler la flotte russe du Nord en cas de conflit ouvert.

La Russie et l’OTAN ont toutes deux renforcé leur présence militaire dans l’Arctique, preuve de l’importance de cette région. Pour l’Alliance atlantique, il est essentiel de protéger les voies de transport et les communications entre les États-Unis et l’Europe ; c’est pourquoi l’OTAN a renforcé sa présence militaire dans le Nord.

Les liens entre la Russie et la Chine se renforcent dans l’Arctique. Par exemple, Moscou envisage de construire un centre éducatif pour la science et la culture dans la ville fantôme de Pyramiden à laquelle je faisais référence précédemment. Il n’est pas exclu que, par le biais de cette institution, d’autres pays amis de Moscou consolident leur présence dans la région.

Avec le réchauffement climatique et l’ouverture de nouvelles voies de navigation dans l’Arctique, l’importance géostratégique du Svalbard est inévitablement amenée à grandir dans les prochaines années…

Source : France Info.

Pyramiden, vitrine utopique de l’Union Soviétique (Crédit photo: Wikipedia)

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The Russian presence in Svalbard dates back to the 1930s, when Moscow wanted to exploit coal on Spitsbergen, the largest and main island of Svalbard. The French TV program « Des trains pas comme les autres » devoted a very interesting report to the part of Svalbard occupied by Russia. Philippe Gougler met the only inhabitant of a ghost town. The report is no longer available in replay. You can, however, watch a good documentary broadcast on YouTube and, unfortunately, interspersed with commercials. I advise you to start watching after 5 minutes of advertising presentation:
https://www.youtube.com/watch?v=__Qpt3waDak

Since the Russian invasion of Ukraine, Svalbard has also been part of the Russia-NATO Arctic dispute. The archipelago is close to the Russian Kola Peninsula, which houses part of Moscow’s arsenal and where its Northern Fleet, which includes nuclear submarines, is based. It is important to know that about 53% of the Arctic coastline belongs to the Russian Federation and that more than 2.5 million people live there, almost half of the Arctic population. As a result, Svalbard is a key element of Russian security and defense. Its location could also be crucial for NATO to control the Russian Northern Fleet in the event of an open conflict.
Both Russia and NATO have increased their military presence in the Arctic, demonstrating the importance of this region. For the Atlantic Alliance, it is essential to protect the transport routes and communications between the United States and Europe; this is why NATO has increased its military presence in the North.
The ties between Russia and China are strengthening in the Arctic. For example, Moscow is considering building an educational center for science and culture in the ghost town of Pyramiden that I referred to earlier. It is not excluded that, through this institution, other countries friendly to Moscow will consolidate their presence in the region.
With global warming and the opening of new shipping lanes in the Arctic, the geostrategic importance of Svalbard is inevitably set to grow in the coming years…
Source: France Info.