Jeux Olympiques d’Hiver : neige de culture pour assurer l’équité entre les skieurs !

On vient de l’apprendre officiellement : les Alpes françaises accueilleront en 2030 les Jeux olympiques d’hiver. La candidature de notre pays vient d’être validée par le Comité international olympique (CIO), sous réserve de garanties financières apportées par l’État et les régions organisatrices.

Depuis le début, cette candidature suscite une levée de boucliers des défenseurs de l’environnement, qui questionnent l’enneigement à cette échéance et surtout la pérennité d’un modèle économique basé sur le ski dans un contexte de crise climatique.

A l’occasion de la confirmation de l’acceptation de la candidature de la France, un intervenant a indiqué sur France Info que l’enneigement naturel ne poserait pas de problème car la neige de culture est obligatoire pour les Jeux d’hiver. Cette affirmation me semblant surprenante, je me suis lancé dans une recherche. On peut lire dans l’article de TF1 Info qui sert de support à cette note que le possible déficit en neige « n’est pas un sujet, les compétitions se déroulant souvent sur de la neige artificielle en sus de la neige naturelle pour assurer une forme d’équité entre les sportifs, en leur garantissant les mêmes conditions d’enneigement. »

Maître dans l’art de fanfaronner, Laurent Wauquiez, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, a affirmé que « toutes les stations choisies [pour les Jeux de 2030] sont des stations qui, avec les évaluations les plus sceptiques, auront de la neige en 2030. »

Quand on voit la liste des sites envisagés, on peut se poser quelques questions car certains d’entre eux connaissent déjà des difficultés. D’ailleurs, en février 2024, la Cour des comptes a souligné les incertitudes planant sur les stations de ski françaises en raison du réchauffement climatique et d’un modèle quasi uniquement basé sur le ski.

Si on consulte les études et projections sur l’enneigement dans les Alpes en 2030, on se rend compte que la partie est loin d’être gagnée. Ces cinquante dernières années, les Alpes ont perdu en moyenne un mois d’enneigement en hiver. Les redoux sont aussi plus fréquents, ce qui rend les conditions en montagne très changeantes. La situation ne devrait guère évoluer d’ici à 2030 car l’accélération actuelle du réchauffement climatique renforce l’incertitude. La hausse des températures peut impacter la hauteur moyenne de neige, mais aussi la durée de l’enneigement. On se rend compte que les « mauvaises années » sont de plus en plus fréquentes.

Si le déficit de neige naturelle se confirme, il faudra forcément avoir recours aux enneigeurs. Comme je l’ai indiqué plus haut, ils seront de toute façon utilisés en sus de la neige naturelle pour garantir les mêmes conditions d’enneigement à tous les skieurs. Il ne faudrait toutefois pas oublier que le fonctionnement des canons à neige suppose des températures froides, pour que l’eau se transforme en neige. Certes, il existe des enneigeurs pouvant fonctionner avec des températures relativement élevées mais qui demandent une énergie beaucoup plus grande. Bonjour l’empreinte carbone…et la hausse de la facture! On nous fait remarquer que l’eau utilisée par les canons à neige se trouve dans des réserves collinaires, mais ils créent malgré tout des conflits d’usage, avec les agriculteurs notamment, ou des risques pour la biodiversité. La station de La Clusaz vient d’être épinglée par l’Office français de la biodiversité pour avoir pompé l’eau illégalement d’une source pour fabriquer de la neige artificielle.

Source : TF1 Info.

Enneigeurs en pleine action à Sotchi (Crédit photo: CIO)

Enneigeur novelle génération (Photo: C. Grandpey)

Le ski français sur la mauvaise pente ?

Au vu des statistiques, le marché du ski en France se porte bien. Il serait à l’origine de la création d’environ 18 000 emplois directs, auxquels il faudrait ajouter près de 120 000 emplois induits dans les stations. Les recettes de fréquentation dépasseraient les 1 400 millions d’euros, et la contribution du secteur aux exportations commerciales françaises serait estimée à 2 milliards d’euros. Le France se situerait ainsi dans le trio de tête mondial des destinations de ski, aux côtés des États-Unis et de l’Autriche.

Il est vrai que la France possède, en particulier dans les Alpes, de superbes domaines skiables et des infrastructures capables d’accueillir des millions de skieurs. Malgré tout, la bonne santé de l’économie du ski montre de nombreuses failles et l’avenir n’est pas très réjouissant. Quand on étudie l’évolution de la fréquentation des stations sur 15 ans, on s’aperçoit qu’elle a stagné, voire légèrement chuté. Des problèmes structurels pourraient bien entraîner la filière française sur la voie de la décroissance.

1) Le premier problème concerne le taux de pénétration de la pratique du ski au sein de la population nationale. En France, seuls 28 % des skieurs viennent de l’étranger. Les perspectives de croissance reposent donc en grande partie sur la capacité à renouveler le vivier de skieurs nationaux. Or, seulement 13 % de la population française s’adonne aux sports d’hiver, et encore, pas toujours de façon régulière. À titre de comparaison, la Suisse est à 34 %.

2) Le deuxième problème concerne le développement immobilier des stations. La France dispose, en théorie, d’une surcapacité d’accueil, mais de trop nombreux logements ne correspondent plus aux nouveaux standards de marché.

3) Le troisième problème concerne la baisse de l’enneigement liée au réchauffement climatique. En France, le Centre d’études de la neige a montré que la hauteur moyenne de neige sur la période 1990-2017 a baissé de 40 cm par rapport à la période 1960-1990. Les stations de basse et moyenne altitude sont les plus menacées. On l’a vu avec la station du Mont-Dore (1050 m d’altitude) qui a été mise en redressement judiciaire.

Selon les projections de l’Institute of Snow and Avalanche Research de Davos, à horizon 2050-2080, la neige aura quasiment disparu dans les Alpes françaises entre 1200 et 1800 mètres d’altitude.

Face à ces problèmes structurels, les solutions envisagées ou mises en place paraissent risquées. Pour faire face au problème d’enneigement, la France s’est dotée d’un réseau d’enneigeurs qui couvre aujourd’hui 37 % des domaines skiables. L’eau nécessaire à la production de cette neige de culture est « empruntée » aux réserves locales avant de leur être rendue via la fonte des neiges. De ce fait, les conflits d’usage avec l’eau potable ne sont pas des cas isolés.

La livraison héliportée de neige, comme à Luchon-Superbagnères dans les Pyrénées est une action désespérée qui donne une piètre image de la France dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Pour faire face au problème de fréquentation et à la pression concurrentielle exercée par les grandes stations internationales, la filière française et les tours opérateurs se sont tournés vers la clientèle étrangère aisée, pour l’essentiel russe ou asiatique. Or, une telle stratégie pose deux problèmes majeurs. D’une part, il s’agit d’une clientèle difficile à fidéliser (effet du Brexit, guerre en Ukraine). D’autre part, la venue de skieurs de l’autre bout du monde implique un bilan carbone désastreux.

Pour assurer l’accueil de cette clientèle exigeante, les projets de constructions de très grandes résidences de standing dans nos massifs se multiplient, avec le risque évident de mettre les ressources naturelles sous tension pour les alimenter en eau et en électricité.

On assiste de plus en plus à une volonté des stations de diversifier leur activités (culture, balnéothérapie, centres aqua-ludiques, etc.) sans savoir quel impact cela aura sur le choix des destinations. Il est bien beau de communiquer sur des superlatifs (comme la création de l’escape ‘game’ le plus haut d’Europe à Val Thorens), ou de vouloir connecter les domaines déjà vastes des Deux Alpes et l’Alpe d’Huez avec un ambitieux projet de téléphérique, mais au final que ressortira-t-il d’une telle politique ? Les belles années du ski français sont probablement derrière nous.

Source : The Conversation.

Vue du projet de téléphérique entre les domaines skiables des Deux-Alpes et de l’Alpe d’Huez. (Source : Skiinfo / YouTube)

L’urgence climatique en montagne

L’année 2022 a été la plus chaude jamais enregistrée en France et les régions de montagne sont plus touchées que les plaines par le réchauffement climatique. Le phénomène est parfaitement visible et se solde par un moindre enneigement, la fonte du permafrost de roche et le recul des glaciers. Les stations de ski sont contraintes de s’adapter à cette nouvelle donne.

Comme je l’ai indiqué dans une note précédente, la station de La Plagne (Savoie) a dû démonter sa gare d’arrivée située sur le glacier de la Chiaupe à plus de 3.250 mètres d’altitude et installer ses remontées mécaniques 200 mètres plus bas. Au total, 3 pistes sur les 130 du domaine seront supprimées.

Suite au manque de neige, plusieurs stations ont été contraintes de reporter l’ouverture de la saison, à commencer par Val Thorens. La station de Tignes s’est contentée d’ouvrir une seule piste au moment de son ouverture fin novembre 2022.

Les Pyrénées françaises sont confrontées au même problème et plusieurs stations ont été contraintes de fermer en fin d’année 2022, comme Gourette ou La Pierre-Saint-Martin.

Selon Météo-France, « l’épaisseur de neige au sol, l’étendue des surfaces enneigées et la durée d’enneigement sont condamnées à diminuer petit à petit au fil des décennies. » Dans ce contexte, le recours à la neige artificielle devient inévitable. Les projets de retenues collinaires se multiplient, mais à l’heure où la ressource en eau se raréfie, l’installation de canons à neige fait polémique. Ainsi, à la Clusaz, un projet de cinquième retenue collinaire a suscité une levée de boucliers avant que la justice ne le suspende.

En constatant l’accélération du réchauffement climatique dans les zones de montagne, on peut se demander si la partie n’est pas perdue d’avance et s’il faut s’entêter à installer des enneigeurs qui risquent ne pas fonctionner avec la hausse des températures.

Il faudra que les stations de ski sortent du déni du réchauffement climatique dans le quel elles se sont enlisées et diversifient leurs activités Plutôt que de tenter de maintenir coûte que coûte l’enneigement de leurs domaines skiables, il faudra que les stations mettent en place des activités annexes pour continuer à faire venir des gens en montagne, que ce soit en hiver ou en été.

Certaines stations de moyenne altitude tentent de déployer un modèle touristique autour des quatre saisons. D’autres ont engagé une transformation profonde , comme Valloire, qui a décidé de fermer ses pistes en dessous de 2.000 mètres d’altitude. De son côté, la station Métabief dans le Haut Doubs prévoit la fin du ski à l’horizon 2030-2035 et oriente ses investissements vers la transition. Mais n’est-ce pas déjà trop tard? L’expression « urgence climatique » prend tout son sens dans nos montagnes.

Plusieurs stations comme Val d’Isère, Tignes ou les Deux-Alpes ont mis un terme au ski d’été à cause de la hausse des températures au cours de l’été 2022. (Photo : C. Grandpey)

Ski : Polémique autour d’une descente !

Dans une note rédigée le 30 juillet 2022, j’indiquais que depuis la veille il n’était plus possible de skier à Zermatt. Le glacier suisse le plus haut d’Europe avait fermé temporairement son accès à cause du manque de neige et des températures trop élevées. De plus, de récentes averses et la gestion de plus en plus difficile des crevasses avaient conduit à la décision de fermeture. A cette époque de l’année, le glacier était fréquenté par les équipes de skieurs de compétition. Le glacier de Zermatt rejoignaint donc les glaciers français de Tignes, des Deux-Alpes ou du Pisaillas, ainsi que celui du Stelvio en Italie.

En octobre 2022, une polémique est en train de naître suite à l’entêtement de la Fédération Internationale de Ski (FIS) qui a décidé de maintenir des épreuves de Coupe du monde de ski alpin à Zermatt les 29-30 octobre et 5-6 novembre au pied du Cervin, malgré des conditions d’enneigement défavorables.

Selon le Français Johan Clarey, médaillé d’argent de la descente olympique à Pékin, « cette course est un non-sens. Beaucoup de coureurs pensent comme moi mais très peu vont le dire. » Il ajoute: « On voit que les conditions sur les glaciers sont de pire en pire chaque année; cette étape demande des moyens énormes en hélicoptère (pour monter le matériel), des moyens humains pour boucher les crevasses, rendre une piste potable… Je ne comprends pas, Ça ne va pas dans le sens dans lequel devrait aller la FIS. »

Il faut reconnaître que beaucoup d’efforts en faveur de l’environnement sont faits dans les stations pour accueillir le grand public. Faire des courses qui vont à l’opposé de cette politique ne donne pas une très bonne image du ski de compétition. En plus, le site de Zermatt est très compliqué; il suppose des transferts pour rentrer de Cervinia à l’hôtel, avec une heure et demie de remontées mécaniques. Bonjour l’empreinte carbone! Les skieurs ne diront rien par peur de sanctions, mais ils seront un bon nombre à ne pas cautionner la décision de la FIS.

Source: presse helvétique.

Le Cervin (Photo: C. Grandpey)