La société des records et des extrêmes // The society of records and extremes

Au 21ème siècle, notre société est friande de records et d’extrêmes. Un psychologue pourrait sans doute nous expliquer pourquoi. Peut-être certaines personnes ont-elles besoin de se rassurer en démontrant qu’elles ont accompli un exploit. Quoi qu’il en soit, le Livre Guinness des Records montre qu’ils existent dans des domaines très variés, certains paraissant un peu ridicules. Il convient de préciser que pour être homologué, un record doit être officiellement validé et, si nécessaire, mesuré à l’aide d’instruments fiables.
En ce qui concerne la Nature, on peut citer quelques exemples de records liés aux sons, aux fontaines de lave, aux vagues océaniques ou encore à la vitesse du vent. Nous allons les examiner.

Dans un article précédent, j’expliquais que le son le plus fort jamais entendu a probablement été produit lors de l’éruption du Hunga Tonga-Hunga Ha’apai en 2022. Le bruit a dépassé celui de l’explosion du Krakatau en 1883. J’ai écrit « probablement » car aucun instrument fiable n’a mesuré le bruit à la source même de l’éruption.

Crédit photo: NASA

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On dit souvent que la plus haute fontaine de lave au monde a été observée lors de l’éruption du Kīlauea Iki en novembre-décembre 1959. Elle atteignait 580 m au-dessus de la bouche éruptive.

Crédit photo : Service des parcs nationaux

Cependant, d’autres volcans ont été plus performants. Des fontaines bien plus hautes ont été observées lors de l’éruption de l’Etna (Sicile) le 12 janvier 2011 (600 à 800 mètres de hauteur) et surtout lors de l’éruption du 23 novembre 2013, où elles ont atteint 2,8 km de hauteur. Ces estimations ont été réalisées par l’INGV à partir des images fournies par les webcams.

Bien que cela ne soit pas officiel, on estime que les fontaines de lave lors de l’éruption du Vésuve en 1779 ont atteint des hauteurs de 3 000 mètres.

Selon le Livre Guinness des Records, « la plus haute fontaine de lave volcanique jamais enregistrée mesurait 1 600 mètres (5 250 pieds) de hauteur. Elle a jailli lors de l’éruption du volcan Izu-Ōshima, au Japon, en novembre 1986. » Il semblerait donc que l’Etna ait fait mieux depuis, sans que cela apparaisse dans le Livre Guinness.

Éruption de l’Izu-Ōshima en 1986 (Source: JMA)

La variabilité de ces chiffres montre qu’il existe une grande incertitude quant au record mondial des fontaines de lave.

À titre de comparaison, les fontaines de lave lors de l’Épisode 38 de l’éruption du Kilauea ont été mesurées à 370 mètres, soit plus haut que la tour Eiffel à Paris.

Image webcam

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Lors des tempêtes en mer, les marins signalent d’énormes vagues capables de menacer, voire de faire chavirer les navires. Parfois appelées « vagues scélérates », elles peuvent être destructrices. Bien qu’elles aient été observées, personne n’est parvenu à les mesurer de façon précise depuis les navires.
Les vagues scélérates sont des vagues exceptionnellement hautes et imprévisibles qui peuvent surgir soudainement en haute mer. Également appelées murs d’eau, elles sont disproportionnées par rapport aux conditions marines environnantes. Contrairement aux tsunamis, qui sont générés par des perturbations sous-marines telles que les séismes, les vagues scélérates semblent résulter de la combinaison de plusieurs vagues plus petites qui, sous l’effet de diverses conditions océaniques, associent leurs énergies en une seule vague d’une puissance exceptionnelle.
La plus haute vague scélérate jamais enregistrée (Vague Draupner) mesurait 25,60 mètres de haut et a été détectée par une plateforme pétrolière norvégienne en mer du Nord en 1995. Les chercheurs qui ont étudié cette vague ont constaté qu’elle s’était produite dans des conditions de mer relativement difficiles, caractérisées par des vents forts et des vagues de grande hauteur, ce qui a probablement contribué à sa formation extrême.

Il convient de noter que d’autres vagues scélérates ont pu se produire sans être détectées dans les océans du monde.

Crédit photo: Wikipedia

S’agissant des vagues océaniques, on les associe souvent au surf. Teahupo’o, à Tahiti, est célèbre pour ses vagues puissantes qui peuvent atteindre 6 mètres de haut. Des vagues similaires sont observées à Banzai Pipeline, à Hawaï. La plus grande vague jamais surfée a été enregistrée à Nazaré, au Portugal, avec une hauteur de 26,21 mètres.

En 1959, dans la baie de Lituya, en Alaska, un glissement de terrain a déclenché la plus grande vague jamais enregistrée, mesurant 524 mètres de hauteur. De la même manière, le tsunami de 2004 dans l’océan Indien a engendré des vagues de plus de 30 mètres de haut, causant des morts et d’importants dégâts. Cependant, ces deux événements n’étaient pas dus à la mer ou à l’océan proprement dits. Ils ont été provoqués par des facteurs extérieurs.

Glissement de terrain et vague de Lituya (Source : Fritz et al. 2001)

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Lors des tempêtes et des ouragans, les vents peuvent atteindre des vitesses très élevées.

En 1934, un vent violent a balayé l’observatoire du Mont Washington, dans le New Hampshire, avec des rafales de 372 km/h.

En 2017, l’ouragan Irma a semé la destruction sur son passage, arrachant des toits et déracinant des arbres avec des vents dépassant les 298 km/h. Les records varient selon le lieu, la cause et les instruments de mesure.

D’après l’OMM, le vent de surface le plus fort jamais enregistré a atteint 407 km/h (253 mph). Cette vitesse a été mesurée à Barrow Island (Australie) par une station météorologique automatique lors du passage du cyclone tropical Olivia, le 10 avril 1996. L’OMM utilise uniquement les vitesses enregistrées par les instruments, et non des estimations ou des calculs.

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À noter que les vents les plus violents du système solaire soufflent sur Neptune à une vitesse de 1770 km/h (1 100 mph) selon la NASA, 2100 km/h selon d’autres sources.

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In the 21st century, our society is fond of records and extremes. A psychologist would probably explain why. Maybe some people need to reassure themselves by showing they have performed a feat of strength. Anyway, the Guinness Book of World Records shows that they exist in a variety of domains, some of them looking a bit ridiculous. It should be added that to be registered, a record should be officially ratified, and if necessarry measured by reliable instruments.

As far as Nature is concerned, we can mention a few of them about sounds, lava fountains, ocean waves or wind speed.

In a previous post, I explained that the loudest sound was probably produced during the 2022 eruption of the Hunga Tonga-Hunga Ha’apai eruption, surpassing the noise emitted by the 1883 explosion f Krakatau. I wrote probably because there was no reliable instrument to measure the noise at the source.

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It is often said that the tallest lava fountain in the world was observed during the November-December 1959 Kīlauea Iki eruption. They reached 580 m above the vent.

However, much taller fountains were observed during Mount Etna‘s 12 January 2011 eruption (600-800 meters high) and above all during the eruption of 23 November 2013 when they reached 2.8 km high. The estimates were made by the INGV from the images provided by the webcams.

While not official, it is believed that lava fountains during Mt. Vesuvius‘ 1779 eruption reached heights of 3,000 meters. I

According to the Guinness Book of World Records, « the tallest volcanic fire fountain ever recorded measured 1,600 m (5,250 ft) in height. It occurred during the eruption of the Izu-Ōshima volcano, Japan in November 1986. »

These different figures show that there is a lot of uncertainty about the world record of lava fountains.

As a comparison, the lava fountains during Episode 38 of the Kilauea eruption were measured at 370 meters, higher than the Eiffel Tower in Paris.

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During the storms at sea, sailors report huge waves able to threaten or even capsize the ships. Sometimes called « rogue waves », they can be destructive. Although they have been seen, nobody was really able to measure them.

In 1959 in Lituya Bay, Alaska, a landslide triggered the largest wave ever recorded with 524 meters. In the same way, the tsunami in the Indian Ocean in 2004 triggered waves more than 30 meters high that caused deaths and damage. However, both events were not caused by the sea or the ocean itself.

Rogue waves are an unusually large and unexpected wave that can appear suddenly in the open ocean, posing significant dangers to ships. Also referred to as walls of water, they are disproportionately tall and steep, compared to the surrounding sea conditions. Unlike tsunamis, which are generated by underwater disturbances like earthquakes, rogue waves seem to arise due to the merging of several smaller waves, which, due to various oceanic conditions, combine their energies into a single, exceptionally powerful wave.

The highest rogue wave ever recorded measured 25.60 meters in height and was detected by a Norwegian oil platform in the North Sea in 1995. Researchers studying this wave noted that it occurred in a relatively harsh sea state, characterized by strong winds and significant wave heights, which likely contributed to its extreme formation.

It should be noted that other rogue waves may have occured unnoticed in the world’s oceans.

As far as ocean waves are concerned, they are often mentioned about surf. Teahupo’o, Tahiti, is famous for its powerful waves that may be 6 meters high and draw experienced surfurs. Similar waves are observed at Banzai Pipeline, Hawaii. The biggest wave ever surfed was recorded in Nazaré, Portugal, with a height of 26.21 meters.

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During storms and hurricanes the winds can reach very high speeds.

In 1934, a « Big Wind » whipped the Mount Washington Observatory in New Hampshire at 231 mph (372 km/h).

In 2017, Hurricane Irma left a path of destruction, blowing off roofs and uprooting trees with winds over 185 mph (298 km/h).

There are different records depending on where the wind occurred, what created it, and which instrument measured it. According to WMO, the strongest recorded surface wind is 253 mph (407 km/h). That wind was measured at Barrow Island (Australia), by an automated weather station during Tropical Cyclone Olivia on April 10, 1996. WMO uses only speeds recorded by instruments, not estimates or calculations.

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It can be added that the strongest winds in the solar system are on Neptune, where they blow at 1,100 mph (1,770 km/h), according to NASA, and even 2,100 km/h, according to other sources.

Le risque de tsunami en Mer Tyrrhénienne // The tsunami hazard in the Tyrrhenian Sea

Il y a quelques semaines, la 5 rediffusait, dans le cadre de Science Grand Format, un documentaire intitulé « Baie de Naples, la colère des volcans », réalisé en 2020. Une séquence du film est consacrée au Stromboli et en particulier aux tsunamis déclenchés par les effondrements du volcan. Le dernier en date a eu lieu à la fin de l’année 2002. J’ai consacré plusieurs notes sur ce blog au risque de raz-de-marée sur l’île éolienne.

Les relevés géologiques révèlent qu’au cours du dernier millénaire, le Stromboli se serait partiellement effondré et aurait déclenché au moins un tsunami entraînant des destructions dans le port de Naples.

Depuis le début du 20ème siècle, une centaine de tsunamis ont été observés en Méditerranée et dans les mers qui lui sont reliées, ce qui représente 10 % du total des tsunamis sur Terre pendant cette période. Ces tsunamis, généralement provoqués par des séismes, n’ont toutefois pas causé de dégâts majeurs. Mais rien ne dit qu’un tsunami dévastateur n’est pas susceptible de se produire. Comme on a pu l’entendre dans le documentaire, il est préférable de disposer d’un système de surveillance et d’alerte, au cas où.

Depuis l’Antiquité, on sait qu’au moins trois événements de ce type se sont produits en Méditerranée occidentale, avec à leur source le Vésuve, mais surtout l’Etna et le Stromboli. Après avoir effectué des coupes géologiques dans des couches situées entre 170 et 250 m du rivage de Stromboli, une équipe de volcanologues de l’INGV et du département des Sciences de la Terre de l’Université de Pise a publié un article dans la revue Nature qui conseille de réévaluer le risque de tsunami sur les rives de la mer Tyrrhénienne. Trois strates constituées de dépôts de sable noir, de toute évidence en provenance de Stromboli, ont été observées sur la côte napolitaine. Le sable et les roches en forme de galets à l’intérieur ont très probablement été apportés par trois tsunamis. La datation au carbone 14 a révélé que ces trois tsunamis se sont produits entre le 14ème et le 16ème siècle. La littérature de l’époque confirme ces événements. Par exemple, le poète et humaniste florentin Pétrarque raconte qu’il a assisté à ce qui semble être un tsunami à la fin de l’année 1343, avec des dégâts dans les ports de Naples et d’Amalfi. Il n’existe aucune trace écrite de séismes à cette époque en Sicile ou en Italie. En revanche, il existe des traces d’une éruption volcanique importante vers 1350. Les volcanologues pensent donc qu’une partie du Stromboli s’est effondrée, générant le tsunami observé par Pétrarque. Ils pensent aussi qu’un événement similaire s’est produit en 1456.

La découverte confirme donc le risque de tsunamis générés par le Stromboli dans la mer Tyrrhénienne méridionale.

Note inspirée d’un article paru sur le site de Futura-Sciences.

Le tsunami de la fin 2002 a fait suite à un effondrement de la Sciara del Fuoco à la fois au-dessus et au-dessous du niveau de la mer. Le seul effondrement subaérien n’aurait pas suffi à provoquer une telle vague. Depuis 2002, d’autres effondrements spectaculaires de la Sciara del Fuoco ont été observés, sans toutefois provoquer de tsunamis dévastateurs.

Il faudrait savoir quelle était au 14ème siècle la morphologie du versant septentrional du Stromboli. Etait il plus volumineux qu’aujourd’hui ? Quelle masse de matériaux était susceptible de s’effondrer dans la mer ? Aujourd’hui, un effondrement majeur de la Sciara del Fuoco ou de la partie nord du Stromboli ne semble pas à l’ordre du jour, mais une surveillance des déformations de l’édifice volcanique est préférable, par prudence.

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A few weeks ago, the French TV channel La 5 broadcast again, as part of Science Grand Format, a documentary entitled « Bay of Naples, the wrath of volcanoes », made in 2020. A sequence of the film is dedicated to Stromboli and in particular to the tsunamis triggered by the collapses of the volcano. The most recent one took place at the end of 2002. I have devoted several posts on this blog to the risk of tidal waves on the Aeolian Island.
Geological records reveal that during the last millennium, Stromboli partially collapsed, triggering at least one tsunami that caused destruction in the port of Naples.
Since the beginning of the 20th century, about a hundred tsunamis have been observed in the Mediterranean and in the seas connected to it, which represents 10% of the total tsunamis on Earth during this period. These tsunamis, usually caused by earthquakes, however, did not cause major damage. But nothing says that a devastating tsunami is not likely to occur. As could be heard in the documentary, it is better to have a surveillance and alert system, just in case.
Since antiquity, we know that at least three events of this type have occurred in the western Mediterranean, with Vesuvius at their source, but most often Mt Etna and Stromboli. After having carried out geological sections in layers between 170 and 250 m from the shore of Stromboli, a team of volcanologists from the INGV and the Department of Earth Sciences of the University of Pisa published an article in the journal Nature which advises to reassess the tsunami risk on the shores of the Tyrrhenian Sea. Three strata made up of black sand deposits, obviously coming from Stromboli, were observed on the Neapolitan coast. This sand and the pebble-like rocks it contained were most likely brought in by three tsunamis. Carbon-14 dating revealed that these three tsunamis occurred between the 14th and 16th centuries. The literature of the time confirms these events. For example, the Florentine poet and humanist, Petrarch recounts that he witnessed what appears to be a tsunami at the end of the year 1343, with damage to the ports of Naples and Amalfi. There is no written record of earthquakes at this time in Sicily or Italy. On the other hand, there are traces of a major volcanic eruption around 1350. Volcanologists therefore believe that part of Stromboli collapsed, generating the tsunami observed by Petrarch. They also believe that a similar event occurred in 1456.
The discovery therefore confirms the risk of tsunamis generated by Stromboli in the southern Tyrrhenian Sea.
This post was inspired by an article published on the Futura-Sciences website.
The late 2002 tsunami followed a collapse of the Sciara del Fuoco both above and below sea level. Subaerial collapse alone would not have been enough to cause such a wave. Since 2002, other spectacular collapses of the Sciara del Fuoco have been observed, without however causing devastating tsunamis.
It would be necessary to know what was in the 14th century the morphology of the northern slope of Stromboli. Was it bigger than today? What mass of material was likely to collapse into the sea? Today, a major collapse of the Sciara del Fuoco or the northern part of Stromboli does not seem to be on the agenda, but monitoring the deformations of the volcanic edifice is preferable, out of caution.

Effondrement pyroclastique à Stromboli (Crédit photo : La Sicilia)

Dégâts occasionnés par le tsunami de 2002 (Photo: C. Grandpey)