Les glaciers des Ecrins : une mort annoncée

On peut lire sur le site de la chaîne FRANCE INFO un article très complet qui alerte sur la fonte des glaciers dans le massif des Ecrins. Il est un parfait complément à ma note du 17 août 2022 sur la situation dans les Alpes du Sud.

L’auteur de l’article confirme que les chaleurs extrêmes de l’été ont accéléré de manière fulgurante la fonte des glaciers autour de la Meije (3 983 mètres) et font planer le spectre de leur disparition, avec de nombreuses conséquences pour les habitants et l’environnement.

Mes visites dans le Briançonnais en septembre 2021 et septembre 2022 confirment que les glaciers autour de la Meije fondent à une vitesse éclair et les traces de ce désastre sont visibles à l’œil nu. Il suffit d’emprunter à La Grave le téléphérique qui monte lentement vers le glacier de la Girose pour observer les traces de la catastrophe, avec des crevasses à perte de vue, des flancs ridés et une neige qui prend des teintes orangées à mesure que le manteau blanc se rabougrit. Les guides hésitent à conduire les touristes sur le glacier à cause du grand nombre de crevasses, souvent cachées par des ponts de neige.

Le massif des Ecrins, entre les Hautes-Alpes et l’Isère, est aux avant-postes du réchauffement climatique. Les chaleurs extrêmes de l’été ont accéléré de manière fulgurante la fonte des glaciers autour du massif, dont le plus haut sommet, la Barre des Ecrins, dépasse les 4 000 mètres.

A l’arrivée du téléphérique, la vue est magnifique sur le glacier de la Girose. Il faut en profiter car il aura bientôt disparu. Il fond a vue d’oeil; il a perdu cinq mètres d’épaisseur depuis 2021. A 3 200 mètres d’altitude le 10 août 2022, le mercure affichait 8,9°C en fin de matinée, soit plus de deux degrés au-dessus des maximales de saison. Les visiteurs qui avancent sur le glacier sous la conduite des guides découvrent des crevasses de plus de dix mètres où l’eau coule abondamment. C’est le signe que le glacier est malade. L’un des guides m’a expliqué que dans dix ans, ce glacier n’existera plus s’il continue à perdre plus de cinq mètres par an. Bien sûr, la montagne ne va pas s’effondrer, mais tout va changer. Les guides organiseront des courses de rochers; ils décaleront la saison d’alpinisme et ils s’adapteront. Comme dit l’un d’eux, « on n’a pas le choix. »

Selon les scientifiques, la moitié de la surface des glaciers du massif des Ecrins a déjà disparu et les modélisations ne sont guère optimistes. A l’échelle des Alpes, les climatologues prévoyaient une perte de 85 à 95% de ces glaciers à la fin du siècle, mais on se rend compte que ces estimations sont déjà caduques et que tout va plus vite. A la fin du siècle, il n’y aura quasiment plus aucun glacier dans les Alpes. Le Glacier Blanc illustre parfaitement leur fonte dans le Parc National des Ecrins. Il n’y a pas si longtemps, on atteignait son front au bout de quelques dizaines de minutes de grimpette depuis le Pré de Madame Carle. Aujourd’hui, il faut compter au moins deux heures et demie pour observer son front depuis le Refuge du Glacier Blanc.

Comme je l’ai indiqué à propos du glacier d’Argentière dans le massif du mont Blanc, les glaciers sont censés résister à l’été et se régénérer chaque hiver grâce aux nouvelles chutes de neige. Le problème, c’est que les chutes de neige ont été très faibles au cours de l’hiver 2021-2022 et la zone d’accumulation n’a pas pu se régénérer. De plus, le peu de neige tombé a fondu en mai et juin. C’est pourquoi les glaciers ont reculé et se sont amincis.

Face au constat d’un dérèglement climatique qui s’accélère et s’amplifie dans les Alpes qui se réchauffent plus de deux fois plus vite que la moyenne française, les responsables locaux essayent de trouver des solutions. Dans le village de La Grave, au pied de La Meije se pose l’épineux dilemme du remplacement de l’antique téléski du glacier de la Girose, qui permet de monter à 3 550 mètres. Comme je l’ai écrit dans une note précédente, il y a ceux qui prônent son remplacement par un troisième tronçon du téléphérique; et puis il y a ceux qui s’y opposent pour laisser respirer la montagne. Au final, c’est le réchauffement climatique qui aura probablement le dernier mot et mettra tout le monde d’accord..

Le réchauffement climatique en montagne a entraîné la fermeture de plusieurs refuges. Le 19 mai 2022, j’ai consacré une note au refuge de la Pilatte, bien connu des alpinistes, sur l’autre versant de la Meije. L’édifice construit en 1954, perché à 2 577 mètres d’altitude, était en partie construit sur une zone rocheuse instable qui s’est fissurée en raison du recul du glacier. La décompression glaciaire menaçait la bâtisse, dont la salle à manger était traversée par une faille. Il n’était donc plus possible d’accueillir alpinistes et randonneurs.

Crédit photo: Oisans Tourisme

Les glaciers jouent un rôle essentiel : ils constituent un stock d’eau douce conséquent, alimentent les rivières et les fleuves, et participent à l’irrigation, à l’alimentation ou encore au refroidissement des centrales nucléaires situées dans les vallées. Ils régulent aussi tout un écosystème qui souffre énormément des fortes chaleurs. Au cours de l’été 2022, dans le massif des Ecrins, la végétation avait un mois d’avance, les fauches ont débuté très tôt. On a ramassé des myrtilles fin juin!

Dans la région, le réchauffement climatique fait inévitablement penser au 20 décembre 2020, lorsqu’un effondrement a emporté un pan entier de montagne au Monêtier-les-Bains, au-dessus du Tabuc. C’est le permafrost qui, en se réchauffant, a provoqué l’écroulement. Selon le maire de la localité, « maintenant, en plus des risques d’avalanche et de débordement de la Guisane, on vit avec ce risque d’éboulement. On a été obligé de s’adapter et on va installer des filets métalliques près de certaines habitations. »

Source: France Info.

Certains vont trouver que je me répète avec cette accumulation de notes sur la fonte des glaciers et l’effondrement de nos montagnes. Mon but est de faire prendre conscience une fois pour toutes que le réchauffement climatique (je dis bien « réchauffement »; je refuse de parler de ‘changement’ ou de ‘dérèglement’) n’est pas une illusion, mais un phénomène bien réel. Essayer de s’adapter c’est bien, mais ce n’est pas suffisant. Au cours de mes randonnées dans le Parc des Ecrins, j’ai eu l’occasion de rencontrer des touristes et j’ai été surpris de constater que la plupart n’ont pas conscience de la gravité de la situation.

Il serait grand temps que nos gouvernants – par l’intermédiaire des COP en particulier – s’attaquent aux causes du phénomène et prennent des mesures efficaces – et des décisions contraignantes pour les COP – pour mettre fin, ou au moins ralentir, son évolution galopante. S’ils ne le font pas, ce sont les prochaines générations qui devront payer la facture, et elle sera très salée!

La grotte de glace creusée dans le glacier de la Girose est condamnée à disparaître (Photos: C. Grandpey)

La fonte des glaciers alpins (suite)

Les glaciers de la Meije.

Je rentre d’un séjour dans les Alpes où je voulais voir l’évolution de la fonte des glaciers. En ce mois de septembre 2021, j’avais opté pour les glaciers du massif de la Meije et en particulier celui de la Girose dont un projet de prolongement du téléphérique actuel enflamme le village de La Grave, bien connu de ceux qui, comme moi, ont escaladé à vélo le Col du Lautaret avant de s’attaquer au mythique col du Galibier.

Ma dernière visite dans ce secteur des Hautes Alpes remontait à 2017, année où j’étais également allé explorer les superbes ophiolites du Chenaillet, pas très loin du col du Montgenèvre.

Pour observer l’ensemble des glaciers de la Meije, je me suis hissé au village du Chazelet qui offre un superbe panorama sur la massif. Sans être vraiment surpris, j’ai pu constater que les différentes langues de glace, que ce soit celles du Tabuchet, de la Meije ou du Rateau, continuent leur implacable recul, s’amincissent et raccourcissent à vue d’oeil. Au train où vont les choses, il n’y aura plus trace de glace sur la roche dans un très proche avenir.

 

Je me suis ensuite rendu à La Grave où j’ai pris le téléphérique des Glaciers de la Meije qui, en deux étapes et en déboursant 30 euros aller-retour atteint 3200 mètres d’altitude et fait débarquer les passagers en bordure du glacier de la Girose.

N’ayant jamais effectué cette excursion dans le passé, je ne peux pas établir de comparaison, mais les employés du site avec lesquels j’ai discuté m’ont montré le niveau que la glace atteignait il y a seulement deux décennies. J’ai aussi compris que l’expression « réchauffement climatique » était assez tabou dans la région. Il est bien évident que s’il arrête de faire froid, la neige va devenir de la pluie et l’or blanc va faire cruellement défaut.

Cette volonté d’ignorer le réchauffement climatique et la perspective d’hivers sans neige trouve son couronnement dans un projet qualifié de pharaonique par certains. Il consisterait à prolonger le téléphérique actuel en lui faisant effectuer un bond au-dessus du glacier de la Girose, jusqu’au Dôme de la Lauze à 3500 m d’altitude.

Ce projet fracture en ce moment le village de La Grave. Certains pensent qu’il est nécessaire à la survie de la station – en permettant de rejoindre le domaine de ski des Deux-Alpes, si mes sources sont exactes – tandis que d’autres sont persuadés qu’il va dénaturer la montagne. A l’heure actuelle, le chantier a été retardé car l’administration demande des études complémentaires, et il ne devrait pas reprendre avant 2022.

Pour en revenir à la fonte des glaciers, il faut lui associer le dégel du permafrost qui, comme je l’ai souvent souligné, scelle les roches en profondeur à haute altitude et les empêche de s’effondrer. J’ai déjà mentionné les effondrements des Drus en 2005 et de l’arête des Cosmiques en 2018. Il ne faudrait pas oublier celui qui a eu lieu dans le Parc des Ecrins, à La Meije, en août 2018 et plus récemment dans l’impressionnante face nord de l’Olan le 1er septembre 2019. La Meije quant à elle, a connu son plus spectaculaire effondrement en 1964. Mais le réchauffement climatique a causé de nouveaux déboires depuis cette époque. En 2017, le refuge du Promontoire a reçu de plein fouet plusieurs blocs qui se sont détachés de l’amont. En 2018, c’est une partie du pic du Glacier Carré qui s’est effondrée sur le glacier éponyme, réduisant à néant le cheminement de la voie normale.

Source: Parc National des Ecrins

En conclusion, le réchauffement climatique poursuit son œuvre de destruction dans les Alpes. Certaines années, comme 2021, peuvent paraître moins catastrophiques car les canicules ont été moins sévères, mais c’est l’évolution globale du climat qu’il faut prendre en compte et elle n’est pas bonne.

Evettes, Grand Motte, Pisaillas.

Les conditions météo étant optimales en ce début du mois de septembre, j’ai décidé de prolonger mon séjour alpin en basculant côté Maurienne, après avoir franchi les cols du Montgenèvre et du Mont Cenis.

Il y a une vingtaine d’années, j’avais emprunté le sentier qui part du parking de l’Ecot, près du superbe village de Bonneval-sur-Arc, pour atteindre le Cirque des Evettes. Le glacier du même nom se trouvait alors au fond de cette vaste combe et une longue marche très agréable permettait d’atteindre son front. Aujourd’hui c’est fini. Tout comme ses voisins, le glacier est remonté dans la montagne. On se rend parfaitement compte de ce recul glaciaire depuis les premières rampes du col de l’Iseran.

Il n’y a pas si longtemps, le sommet du col de l’Iseran (2770m) était très fréquenté par les adeptes du ski d’été. Tout près, le glacier du Pisaillas permettait de garder le contact avec la neige. Aujourd’hui c’est terminé. Il ne reste plus qu’une maigre langue de glace sous la Pointe du Montet. L’année 2021 a été une exception. La météo pourrie du mois de juillet a permis un enneigement correct et les skieurs ont pu pratiquer leur sport favori jusqu’à la mi-août.

J’ai déjà expliqué sur ce blog (voir ma note du 30 septembre 2019) les problèmes rencontrés sur le glacier de la Grande Motte à Tignes. En septembre 2019, une étude montrait qu’en certains endroits, il y avait encore 60 mètres de glace, mais que le glacier s’amincissait énormément. En l’espace de 20 ans, il a perdu entre 25 et 30 mètres d’épaisseur. Il perd 1,5 mètre d’épaisseur par an. Comme je l’ai indiqué à plusieurs reprises, les stations de ski de basse et moyenne altitude vont d’ores et déjà devoir diversifier leurs activités, avec le risque d’être confrontées à de sérieuses difficultés si elles ne le font pas.

Je suis surpris par le nombre incroyable d’enneigeurs sur les pentes des montagnes. Des retenues collinaires permettent en général de les alimenter, sans utiliser le réseau d’eau à usage domestique, mais est-ce une bonne option ? Pour que ces canons à neige fonctionnent correctement, il faut une température suffisamment basse, ce qui est loin d’être gagné avec le réchauffement climatique actuel !

Photos: C. Grandpey

 

Avalanche à La Grave (Hautes-Alpes)

Une très grosse avalanche a déferlé sur la commune de La Grave (Hautes-Alpes), le 11 février 2021. La coulée de neige s’est déclenchée vers 5 heures du matin au niveau du glacier du Tabuchet. Elle n’a heureusement pas fait de blessé mais les dégâts matériels sont considérables.

Un appel à la vigilance a été lancé par le maire de la localité. En effet, la météo est instable et des chutes de neige sont attendues dans les prochaines heures dans le secteur de La Grave, faisant craindre de nouvelles avalanches. Le maire a peur que des problèmes humains apparaissent avec l’arrivée de nouveaux vacanciers. .

Ce qui vient de se passer à La Grave confirme les propos de Météo France Pyrénées en 2016. A l’époque, les météorologues expliquaient que le changement climatique pourrait accroître certains risques naturels, comme les chutes de blocs en haute montagne, voire certains types d’avalanches. « Pour le moment, les avalanches de neige humide se produisent surtout au printemps. Or les projections climatiques «mettent en évidence un glissement de leur période d’occurrence à l’ensemble de la période hivernale, sous l’effet d’une humidification plus fréquente et à plus haute altitude du manteau neigeux, même au cœur de l’hiver».

Le seul nom de La Grave fait remonter chez moi des souvenirs de cyclotouriste avec l’ascension des cols du Lautaret et du Galibier qui offrent des vues splendides sur le massif de La Meije. Au fil des ans, j’ai pu me rendre compte des effets du réchauffement climatique sur les glaciers de ce massif. Lors de ma dernière visite en 2017, ils avaient perdu une grande partie de leur splendeur d’autrefois.

Le massif de La Meije en 2017 (Photo : C. Grandpey)