Si l’éruption du Piton de la Fournaise fut exceptionnelle, ce fut également une belle réussite pour les scientifiques qui se relaient en permanence à l’Observatoire. Elle a montré également le rôle de l’instrumentation et en particulier des sismographes qui sont, à mon avis, les éléments les plus importants de l’équipement volcanologique.
Voici un bref rappel de la chronologie des événements :
– Depuis la fin de l’éruption précédente début 2007, le tremor éruptif se maintient à un niveau qui montre que la chambre magmatique est loin de s’être vidée. Vers la mi-mars, le niveau s’élève encore et l’Observatoire annonce dans ses bulletins « une éruption à moyen ou court terme, une affaire de semaines ou de jours ».
– Effectivement, le 30 mars commence la deuxième éruption de l’année avec une première phase de neuf heures qui s’achève le lendemain. On sent bien que le volcan n’a pas dit son dernier mot car la sismicité reste bien présente et l’Observatoire n’exclut pas « une ouverture d’une fissure à basse altitude ».
– Bien vu, puisque le 2 avril débute la deuxième phase de l’éruption, avec une fissure éruptive dans les Grandes pentes, dans le prolongement de la précédente. L’activité se concentre désormais entre 600 et 500 mètres d’altitude, près du rempart du Tremblet, générant d’importantes coulées de lave, qui coupent la route nationale sur 1, 3 km de longueur.
La crainte d’une nouvelle phase éruptive, peut-être hors Enclos, se développe alors. L’Observatoire décide donc de placer des sismographes dans la zone du Tremblet. Rien ne se passe, hormis une fausse alerte. Les fontaines de lave atteignent près de 200 mètres de hauteur et s’accompagnent d’un dégazage intense.
Dans le même temps, la sismicité reste très élevée sur le sommet. Les sismos enregistrent des secousses de magnitude entre 2 et 3, avec un événement de 3,3, du jamais vu depuis la création de l’Observatoire. Les scientifiques sont formels : le sommet va s’effondrer. Ils rappellent que la lave accumulée au cours des dernières éruptions dans le Cratère Dolomieu pèse terriblement sur le plancher. De plus, ce même plancher repose plus ou moins sur du vide après la vidange soudaine de la chambre magmatique en aval, dans le secteur du Tremblet. Là encore, le pronostic se vérifie. Le 6 avril, le Cratère Dolomieu commence à s’effondrer, laissant apparaître un gouffre d’un volume de l’ordre de 50 millions de mètres cubes, profond de 300 mètres.
Le 10 avril, le tremor disparaît des sismographes. C’est la fin de l’éruption qui, selon une première estimation, a émis entre 25 et 30 millions de mètres cubes de lave. Le tremor sera présent encore quelques jours sur les sismos, histoire de laisser le temps au réservoir magmatique de se vider complètement.
Pour comprendre la réussite du pronostic scientifique, il faut se placer dans le contexte général de l’Ile de la Réunion. Le volcan se trouve à la verticale d’un point chaud, comme le Kilauea à Hawaii. La lave y est particulièrement chaude, fluide et bien dégazée, ce qui explique d’ailleurs la vitesse de sa progression. Si l’on se réfère à ce type de volcanisme, on peut dire que de grands pas ont été franchis au cours des 50 dernières années dans la compréhension du comportement du volcan. Ces progrès ont même permis de formuler des hypothèses sur l’évolution d’une éruption, avec des chances de succès, comme les derniers événements viennent de le montrer. Les volcanologues américains obtiennent d’ailleurs des résultats semblables sur la grande Ile d’Hawaii où les volcans sont truffés d’instruments qui permettent de comprendre assez bien ce qui se passe dans les entrailles de la terre.
En revanche, si l’on se réfère à un volcan comme l’Etna qui appartient à un volcanisme plus complexe et pas franchement de point chaud, les choses se corsent. La prévision devient beaucoup plus hasardeuse. Les dernières séquences éruptives sur le Cratère SE le prouvent parfaitement. Personne à l’INGV n’avait prévu ces événements. Pas plus d’ailleurs qu’avait été prévu l’écoulement de lave sur la Sciara del Fuoco à Stromboli.
S’agissant des volcans de subduction, comme Soufrière Hills à Montserrat ou le Merapi en Indonésie, c’est encore le domaine de l’inconnu. On sait ce qu’ils sont capables de faire : explosions, nuages de cendres, nuées ardentes… En revanche, nous sommes incapables de prévoir leur comportement. Il est vrai que l’instrumentation mise en place sur ces volcans est souvent très limitée. De plus, la lave émise n’a rien à voir avec celle de la Réunion ou d’Hawaii. Autant la lave du Piton de la Fournaise est fluide et bien dégazée, autant celle du Mérapi est visqueuse et chargée en gaz prêts à exploser. Il ne faut pourtant pas se décourager. Rien ne dit que dans les 50 prochaines années les nouvelles technologies ne nous permettront pas de faire des pronostics aussi justes que sur le Piton!