Le dégel du permafrost de roche et ses conséquences dans les Alpes (2ème partie : les conséquences)

L’article de la Revue de Géographie Alpine (https://journals.openedition.org/rga/2806) indique que la stabilité des parois rocheuses de haute montagne se dégrade fortement depuis deux décennies.

En marge du fonctionnement «normal» de la haute montagne, on observe depuis plusieurs années dans les Alpes des phénomènes dont l’intensité ou la nature est inhabituelle : écroulements rocheux de grande ampleur, déstabilisation voire rupture de glaciers rocheux. Si le manque d’observations anciennes ne permet pas d’affirmer avec certitude qu’il s’agit bien de phénomènes nouveaux, des études de cas détaillées les relient sans équivoque au réchauffement climatique et en particulier à ses épisodes chauds. La plupart de ces phénomènes peuvent constituer un aléa pour les populations, leurs habitations, les infrastructures et les pratiques sportives sur les versants de la haute montagne.

Trois écroulements de grande ampleur se sont produits dans la région du massif du Mont Blanc au cours des deux dernières décennies, pour lesquels la dégradation du permafrost a été évoquée comme facteur probable de déclenchement. La niche d’arrachement de l’écroulement de la Brenva en janvier 1997, située entre 3400 et 3700 m d’altitude en exposition SE, est probablement caractérisée par un permafrost tempéré. Une possible advection de chaleur par circulation d’eau en profondeur le long des fractures a pu y permettre la dégradation localisée du permafrost. Il en est vraisemblablement de même pour l’écroulement du Crammont en décembre 2008, qui s’est détaché d’une paroi exposée nord entre 2400 et 2650 m d’altitude également en contexte de permafrost tempéré, et pour celui du Pilier Bonatti en juin 2005, qui culminait à 3660 m d’altitude dans la face ouest des Drus.

De nombreux glaciers rocheux alpins ont récemment commencé à présenter des modalités de déplacement inhabituelles. Le détachement du glacier rocheux du Bérard dans les Alpes françaises reste à ce jour un des deux seuls cas connus au monde. Les premiers signes de cette déstabilisation remontent au moins à 2004, suivis par deux phases majeures au cours de l’été 2006. Outre le rôle de la topographie, les causes évoquées pour ce phénomène sont l’augmentation de la température de l’air des années 1990, les vagues de chaleur des étés 2003 et 2006, et les conditions hydro-nivo-météorologiques des semaines qui ont précédé le détachement.

En Vanoise, des données satellitaires ont récemment permis de détecter le glacier rocheux déstabilisé de Pierre Brune, dont la morphologie présente des signes manifestes de fortes déformations. Une reconstitution partielle du phénomène indique que les premières fractures sont apparues entre 1952 et 1970, suivies par une accélération de la déstabilisation entre 1990 et 2001.

L’un des principaux effets de la perte de glace due à la dégradation du permafrost est le développement de phénomènes «cryokarstiques», c’est à dire des affaissements superficiels par perte de volumes en profondeur. Plusieurs thermokarsts naturels ont été observés en France ces dernières années. Le cas le plus spectaculaire est le Lac du Plan de Chauvet, en Haute Ubaye, qui se forme puis se vide à travers la glace en provoquant des crues torrentielles. Six vidanges ont eu lieu depuis 1930, les plus récentes en 1997 et 2008. Tous les cas de thermokarst identifiés à ce jour se développent dans des secteurs avec une présence probable du permafrost, dont plusieurs sont des marges proglaciaires contenant de la glace morte héritée du Petit Age Glaciaire. Il s’agirait donc à proprement parler de formes de dégradation glaciaires, mais qui affectent des corps de glace qui n’ont pu se maintenir que grâce à des conditions de permafrost.

Dans sa conclusion, l’article explique que si la prévision des grands écroulements reste presque impossible, l’identification de sites potentiellement dangereux du fait d’autres phénomènes est possible. A la demande des services tels que l’ONF qui ont en charge la gestion des risques naturels en montagne, un inventaire exhaustif des glaciers rocheux a ainsi été entrepris dans les départements alpins français à partir de l’interprétation de photographies aériennes et d’observations de terrain. L’objectif de cet inventaire est de repérer tous les glaciers rocheux susceptibles de présenter un danger et tous les lacs en contact avec des glaciers rocheux. Une évaluation de l’aléa conduit ensuite à l’établissement d’une liste de sites à surveiller.

Par ailleurs, un travail de recensement de près de 1800 infrastructures (refuges, remontées mécaniques, dispositifs paravalanches, etc.) présentes en contexte de permafrost et/ou de retrait glaciaire dans les Alpes françaises vient d’être réalisé, dont 55 % présenteraient un risque de déstabilisation. Des dommages ont d’ores et déjà été observés sur nombre d’entre elles, avec des conséquences socio-économiques parfois lourdes (fermeture et chômage techniques,, etc.).

Photo: C. Grandpey