Camargue : les flamants roses en danger !

J’ai alerté à plusieurs reprises sur ce blog sur les dangers que faisait peser le réchauffement climatique sur les zones méditerranéennes côtières comme le delta du Nil (note du 12 novembre 2022). Plus près de nous, au cœur du delta du Rhône, la Camargue est menacée par la montée du niveau de la mer (note du 10 novembre 2022), les canicules et les sécheresses qui polluent les sources d’eau douce et rendent les terres infertiles.
Le niveau de la mer autour de la ville de Saintes-Marie de la Mer s’est élevé de 3,7 millimètres par an de 2001 à 2019, soit près du double de l’élévation moyenne du niveau de la mer sur le reste de la planète au cours du 20ème siècle.

Une étude à laquelle a participé le Muséum d’Histoire Naturelle nous apprend aujourd’hui que la montée du niveau de l’eau dans les zones humides à un impact non négligeable sur la survie de plusieurs dizaines d’espèces d’oiseaux.

Il y a quelques jours, je me trouvais au cœur des réserves naturelles camarguaises et je me demandais si les flamants roses, les ibis ou les hérons feront encore partie de nos paysages à la fin du siècle. L’étude que je viens de mentionner montre qu’ils sont, eux aussi, menacés par la montée du niveau de la mer.

On pourrait penser que les flamants et les autres échassiers sont habitués à avoir les pattes dans l’eau, et que quelques centimètres de plus ne sont pas un problème. L’étude montre que lorsqu’on simule la montée du niveau marin dans 938 zones humides de huit pays bordant la Méditerranée, en se basant sur différents scénarios du GIEC, entre un tiers et la moitié des habitats des 145 espèces d’oiseaux vivant dans les zones humides risquent d’être inondés d’ici à 2100, avec une réelle menace pour leur survie.

On pourrait penser que, le milieu étant trop inondé, ces oiseaux iront s’installer ailleurs, mais c’est faux, car ils sont très dépendants de ces zones humides aux eaux saumâtres, donc légèrement salées, mais pas trop. Les flamants, par exemple, sont équipés pour y vivre de becs à la forme particulière, mais adaptés à la recherche de nourriture dans la vase. Ce qui menace les flamants et les autres oiseaux vivant dans ce milieu, ce ne sont pas uniquement quelques centimètres d’eau en plus, c’est aussi une grande salinité des sols qui fera disparaître des végétaux, du plancton et de petits crustacés, autant d’éléments dont ils se nourrissent.

À l’échelle humaine, cette hausse de la salinité du sol rendra la terre stérile et inhabitable bien avant que la mer l’engloutisse. Certains pâturages touchés par le phénomène sont déjà dénudés avec peu de végétation. La teneur anormalement élevée en sel présente des risques pour la santé des organismes qui ne la tolèrent pas.

Comment pourrait on sauver l’habitat des flamants roses et des autres oiseaux dont la nourriture dépend de cet univers d’eau légèrement salée ? Il est hors de question de construire des digues pour protéger l’ensemble des marais ou des estuaires. Ce serait trop coûteux et la solution ne serait que provisoire. L’idée serait plutôt d’envisager des sites de repli pour ces oiseaux, en restaurant des zones humides ailleurs, plus à l’intérieur des terres. On pourrait aussi aider la mer à envahir de nouvelles surfaces non habitées pour recréer des zones gorgées d’eau en permanence. Au-delà de la préservation des oiseaux, ces zones humides pourraient jouer le rôle de tampon lors des crues, tout en filtrant l’eau et en étant des puits de carbone intéressants.

Source : Society for Conservation Biology.  Photos: C. Grandpey

Les flamants nains du lac Natron (Tanzanie) // The lesser flamingos of Lake Natron (Tanzania)

Lors de ma visite à l’Ol Doinyo Lengai, au cœur de la Vallée du Rift, en décembre 2002, j’ai eu l’occasion de parcourir les rives du lac Natron et de voir les innombrables flamants nains qui s’y nourrissent d’algues microscopiques, les cyanobactéries. Elles produisent des substances chimiques qui, chez la plupart des animaux, endommageraient les cellules, le système nerveux et le foie et entraîneraient la mort. Le flamant, lui, peut en consommer des quantités énormes sans effets nocifs. De plus, c’est un pigment produit par l’algue qui lui donne son magnifique plumage rose.
Deux des habitats préférés des flamants nains, le lac Bogoria au Kenya et le lac Natron en Tanzanie, sont hostiles à pratiquement toutes les autres formes de vie. L’eau du lac Natron peut même agresser la peau de l’homme. Dans de telles conditions, les prédateurs (quelques renards qui viennent chaparder des poussins) sont peu nombreux et la concurrence pour la nourriture est minime. C’est pourquoi ces zones humides toxiques abritent d’impressionnantes colonies de flamants.

Ayant évolué dans un environnement aussi hostile avec peu de rivaux, les flamants nains auraient du mal à s’adapter à un style de vie plus compétitif ailleurs. Malgré cela, leur nombre dans la nature diminue chaque année. Les hommes sont en grande partie responsables de cette situation. Les habitats des zones humides ont été pollués par des produits chimiques agricoles et des eaux usées. Le déclin de la prolifération d’algues signifie que certaines populations de flamants meurent de faim. Si les humains prélèvent trop d’eau dans un lac ou si le changement climatique entraîne une évaporation excessive, les niveaux de salinité deviennent instables. Les populations de cyanobactéries peuvent alors exploser et les oiseaux finissent par consommer de nouvelles espèces qui peuvent les empoisonner et causer de très nombreuses pertes.
Les tentatives d’extraction du carbonate de sodium (Na2CO3) – à des fins industrielles – du lac Natron représentent un autre danger. L’exploitation minière perturberait la vie de ces oiseaux qui tendent à nicher loin du rivage, sur des îles qui ont été isolées par les inondations. Étant donné la lenteur avec laquelle les flamants roses s’adaptent et évoluent vers de nouvelles aires de nidification, toute modification dans l’évolution du lac Natron doit être évitée. Les perturbations anthropiques ont déjà conduit les flamants nains à abandonner des sites de reproduction et, en 1993, les eaux polluées des lacs Bogoria et de Nakuru ont tué plus de 20 000 flamants nains, le premier exemple d’une série de morts récurrentes.
Le dernier projet d’exploitation minière du lac Natron a été retiré mais d’autres projets n’ont pas été définitivement abandonnés. Les groupes de conservation environnementale restent vigilants. La surveillance et la protection de la population de flamants du lac Natron constituent une priorité absolue. L’extraction à grande échelle du carbonate de sodium serait une catastrophe pour l’espèce et pourrait voir les flamants devenir officiellement menacés.
L’importance de ces zones humides et apparemment hostiles est évidente. La vie dans les lacs de la vallée du Rift dépend d’un équilibre délicat. Il est clair que nous nuisons déjà à ces écosystèmes uniques et fragiles. Si les humains devaient y provoquer des changements drastiques, les colonies de flamants roses disparaîtraient à jamais.
Sources: France Info, The Independent.

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During my visit to Ol Doinyo Lengai volcano in the heart of the Rift Valley in December 2002, I had the opportunity to walk along the shores of Lake Natron and see the innumerable lesser flamingos that feed on microscopic blue-green algae, also called cyanobacteria. They produce chemicals that, in most animals, can fatally damage cells, the nervous system and the liver. The lesser flamingo, however, can consume enormous amounts with no ill effects. It is a pigment in the algae that gives them their colourful plumage.

Two of the lesser flamingo’s preferred habitats, Lake Bogoria in Kenya and Lake Natron in Tanzania, are hypersaline and hostile to practically all other forms of life. Lake Natron water can even strip away human skin.With few other animals able to cope in such conditions, there is minimal competition for food, and these toxic wetlands are home to massive flocks.

Having evolved in such a hostile environment with few rivals, they would have trouble adapting to a more competitive lifestyle elsewhere. The number of lesser flamingos in the wild is decreasing each year. And humans are to blame. Wetland habitats have been polluted by agricultural chemicals and sewage. Declining algal blooms mean some populations are starving to death. If humans take too much water from a lake, or climate change causes excess evaporation, then salinity levels will become unstable. Populations of cyanobacteria can explode and the birds end up consuming new species which can poison them and cause mass deaths.

Attempts to extract sodium carbonate (Na2CO3) from Lake Natron represents another danger. Mining would disturb the birds who like privacy when breeding and tend to nest far from shore, on remote islands that have been isolated by flooding. Given how slow flamingos are at adapting and changing to new nesting areas, any Natron development must be avoided. Anthropogenic disturbances have previously caused lesser flamingos to abandon suitable breeding sites, and back in 1993, polluted water in Lake Bogoria and nearby Nakuru killed more than 20,000 lesser flamingos, the first of a series of recurring deaths.

The latest mining proposal has been withdrawn but such developments have not been completely shelved. Conservation groups remain alert. Monitoring and protecting the population at Lake Natron is the top priority for lesser flamingo conservation. Large-scale soda ash extraction would be disastrous for the species and could see the flamingos become officially vulnerable or even endangered.

The importance of these unique, and apparently hostile, wetlands is clear to see. Life in the Rift Valley lakes is a delicate balance. And it is clear that we are already harming these unique and fragile ecosystems. If humans were to cause drastic changes, their spectacular pink inhabitants would vanish forever.

Sources : France Info, The Independent.

L’Ol Doinyo Lengai

Paysage du Rift Africain

Flamants du lac Natron

(Photos: C. Gtandpey)